vendredi 10 octobre 2025

LE CIEL PEUT ATTENDRE (Buck Henry & Warren Beatty, 1978)


Joe Pendleton, quaterback sur le déclin de l'équipe des Rams de Los Angeles, veut finir sa carrière en remportant le Super Bowl. Mais alors qu'il part s'entraîner au stade en vélo, il est percuté et tué par un camion. Il arrive au ciel où son escorte le guide mais il refuse de le suivre, estimant que son heure n'est pas venue. Ses protestations forcent Mr. Jordan, le supérieur de l'escorte, à examiner la situation et à confirmer qu'il y a eu une erreur puisque Joe ne devait mourir que le 20 Mars 2025 à 10 h. 17.


Il est disposé à le renvoyer sur Terre mais un problème se pose : son corps a été incinéré. Il lui propose donc plusieurs enveloppes charnelles à même d'accueillir son âme puisque leurs propriétaires vont mourir. Il choisit celle du riche homme d'affaires Leo Farnsworth après avoir vu Betty Logan qui est venue lui demander d'annuler un projet industriel très polluant en Angleterre et sous le charme de laquelle Joe tombe.


Toutefois, en reprenant en main le business de Farnsworth, Joe ne renonce pas au Super Bowl et convainc son entraîneur, Max Corkle, de le préparer physiquement après avoir racheté l'équipe des Rams. Tout cela sans se rendre compte que la femme de Farnsworth, Julia, et son amant, Tony Abbott, l'assistant personnel du multimillionnaire, conspirent pour l'éliminer afin d'hériter de sa fortune et de se marier...


Heaven can wait (en vo) est le remake d'un film d'Alexander Hall, datant de 1941, avec Robert Montgomery et Claude Rains. C'est aussi le premier film comme (co)réalisateur de Warren Beatty, qui se fait aider ici par Buck Henry (interprète de l'escorte). A tout point de vue, c'est une oeuvre étrange et après l'avoir vue, je ne sais même trop quoi en penser.


Débuter derrière la caméra en signant un remake est déjà peu commun et semble dénoter un manque d'inspiration, alors que la plupart des acteurs qui deviennent cinéastes s'investissent dans un long métrage personnel. C'est d'autant plus singulier que, jusque-là, si Beatty était connu pour intervenir sur les scénarios des films dans lesquels il n'était qu'acteur, il ne semblait pas ambitionner de diriger un film.


Ensuite, ce premier effort ressemble à une espèce d'acte de contrition. A Hollywood, tout le monde savait que Beatty n'était pas un saint : c'était un fêtard invétéré, un collectionneur de conquêtes féminines, et aussi un emmerdeur sur les plateaux (son interventionnisme n'était toléré que parce qu'il avait du succès au box office).


Mais le plus étonnant reste peut-être que Beatty ne souhaitait pas jouer dans son propre film : en effet, il souhaitait confier le rôle principal à... Muhammad Ali ! Mais le champion de boxe déclina l'offre, préférant encore disputer des matchs sur un ring plutôt que de s'essayer à la comédie - et pourtant, dieu sait que Ali était un acteur né.

Donc, Le Ciel peut attendre (en vf) est une comédie fantastique. Mais malgré les efforts d'Elaine May (et Beatty, qui supervisait le script) pour en moderniser les éléments narratifs, le fantastique est étonnamment désuet et le comique n'est pas très drôle. C'est plutôt comme si on nous invitait à rire mais sans rien pour provoquer l'hilarité. Plutôt embarrassant.

Non, en vérité, c'est plutôt une comédie romantique, très fleur-bleue en fait, où un homme meurt, se réincarne dans le corps d'un autre, et tombe amoureux d'une femme qui ignore tout de la situation. Par une injustice divine, on le prévient qu'il n'occupera ce corps que pour un temps limité (le temps de lui en trouver un plus conforme à son métier), et quand il est sur le point d'être aimé en retour, il doit renoncer.

Bien entendu, un twist final, par ailleurs très beau car très sobre et subtil, permettra aux amoureux d'être réunis. Mais cela souligne que le vrai thème de l'histoire, ce n'est pas tant de rire de la mort que d'en traverser les vicissitudes. "Mourir, la belle affaire", comme chantait Jacques Brel... Mais aimer en étant mort, quelle galère !

Oh, bien sûr, May et Beatty ont su injecter de l'humour dans leur projet et il se matérialise dans les seconds rôles : d'abord par le couple formé de la femme et de l'assistant personnel de Farnsworth, amants et comploteurs, dont ls tentatives pour se débarrasser du mari et patron échouent toujours ; ensuite par le coach des Rams, que Joe doit convaincre de sa nouvelle condition.

La cupidité des uns et la stupéfaction de l'autre fournissent des rebondissements plutôt amusants, qui ponctuent l'intrigue, mais finissent par l'alourdir aussi - surtout quand Julia et Abbott réussissent enfin à éliminer Farnsworth mais que cela déclenche une enquête policière laborieuse. Ce subplot est vite exaspérant et rallonge la sauce jusqu'à la rendre imbuvable.

En revanche, quand le film détaille la romance contrariée entre Betty et Leo/Joe, c'est bien plus efficace. La tendresse avec laquelle Beatty traite cela est tout à fait étonnante, contrastant avec son image public de Don Juan couchant avec toutes les femmes qu'il peut. C'est encore plus troublant parce qu'il donne alors la réplique à une de ses ex.

Pour en revenir à la partie fantastique, la naïveté de sa représentation laisse songeur. D'un côté, on est tenté de penser que Beatty a voulu conserver cet aspect pour rendre hommage au film de 41. De l'autre, ces scènes dans un Au-Delà nuageux où les morts montent dans un jet pour accéder au paradis a quand même de quoi faire ricaner. En bref, ça ne fonctionne jamais.

Et ce qui est encore plus dommageable, c'est qu'on nous explique que lorsque Joe prend le corps de Farnsworth, tout le monde voit Farnsworth (sauf que le spectateur, lui, n'a jamais vu à quoi ressemblait ce type). Donc, ça aurait été logique que Beatty laisse un autre acteur à l'écran mais non, c'est encore lui. Du coup, impossible de ne pas sourire en regardant ses partenaires lui donner la réplique comme s'il ne voyait pas Warren Beatty.

Beatty n'a jamais été un acteur renversant, mais quand il devait composer un personnage bien écrit, bien caractérisé, il s'en sortait bien. Là, il se joue lui-même, mais très sympa, très attachant, un peu benêt aussi. Ce n'est qu'à moitié concluant, comme s'il n'arrivait pas tomber le masque, à se livrer complètement dans ce qui aurait pu être un exercice vertigineux sur sa propre image, son propre personnage.

Heureusement il a su s'entourer : Julie Christie est divine, son jeu est formidablement nuancé, elle ferait passer n'importe quoi, même ce scénario improbable et sa relation avec un patron sans scrupules qui change du tout au tout rien que pour elle. James Mason campe ce Mr. Jordan et convoque avec lui le vieil Hollywood que Beatty paraît vouloir saluer à travers lui. Jack Warden, Charles Grodin et Dyan Cannon sont fabuleux, parfaitement castés.

Drôle de film. Mais trois ans plus tard, Beatty aura complètement changé de dimension avec sa fresque Reds, qui l'imposera comme un vrai grand cinéaste, loin de ce premier essai bancal.

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