dimanche 19 octobre 2025

JOHN McCABE (Robert Altman, 1971)


1902. John McCabe arrive en cheval dans une petite ville minière et entre dans le bar. Il dresse une nappe rouge sur une table et invite qui le veut à jouer au poker avec lui. Le tenancier pense le reconnaître et raconte que cet étranger est un fin tireur. Quelques jours après, il descend à Bearpaw acheter trois prostituées et convainc quelques artisans de lui construire un bordel de fortune où les mineurs et les habitants du coin pourront venir se détendre. Rapidement, il devient populaire et devient le chef de ce bourg.


Arrive Constance Miller, une prostituée anglaise, qui propose à McCabe de devenir associés : elle connait bien les maisons de passe et les filles, pendant qu'elle s'occupera d'elles, il pourra se concentrer sur la gestion du bar au rez-de-chaussée. Ils deviennent amants même si elle le fait payer à chaque fois qu'il s'offre ses charmes. Leur commerce devient florissant et permet au patelin de devenir prospère car McCabe emploie quelques hommes pour servir à boire, à manger, protéger l'établissement.


Mais cette réussite attire les convoitises : ainsi Sears et Hollander, deux représentants de la Harrison Shaughnessy Mining Company de Bearpaw, offrent 5 500 $ à McCabe pour toutes ses possessions. Persuadé qu'il peut en réclamer le triple, il s'attire les foudres de Constance qui lui explique que Harrison Shaughnessy n'est pas homme à accepter de tels refus et qu'il enverra des tueurs pour l'éliminer. McCabe tente de renégocier avec les représentants mais ceux-ci sont repartis...


Une info : lorsque je m'apprête à regarder un film, je ne lis jamais de critique concernant avant. En revanche, après, il m'arrive de le faire, pour confronter mon ressenti à l'analyse d'un professionnel, mais ce n'est pas automatique. Surtout quand je rédige mon propre article, j'essaie de le faire vierge de toute influence. Je me documente juste sur le tournage pour glaner quelques anecdotes.


Un problème : j'ai toujours eu du mal avec le cinéma de Robert Altman. J'ai découvert ce cinéaste très tardivement, avec The Player (1992), puis Shortcuts (1993) et Prêt-à-Porter (1994). J'ai bien aimé le premier, moins le deuxième, pas du tout le troisième. Et depuis j'ai du mal à me motiver pour (re)découvrir ses classiques, comme ce McCabe & Mrs. Miller (en vo).


Un autre problème : j'aime beaucoup le couple que formait Warren Beatty et Julie Christie et donc, après avoir longtemps tourné autour, il fallait que je vois John McCabe (en vf), considéré par beaucoup comme leur chef d'oeuvre. Le dernier problème : avec les chefs d'oeuvre, il faut se méfier car c'est du quitte ou double. Soit on rejoint la liste de adorateurs, soit on passe à côté.
 

John McCabe est, d'après l'American Film Institute, le 8ème meilleur western de tous les temps (la liste complète à retrouver ici). Soyons sérieux : ce classement est sidérant (aucun Sergio Leone ! Et le Altman est devant La Chevauchée Fantastique ?!). Mais bon, on n'est jamais à l'abri d'un miracle.

Mais le miracle n'a pas eu lieu pour moi. Altman, dans les années 60-70, était un demi-dieu : une Palme d'Or à Cannes (pour M.A.S.H.) et une flopée de films cultes, puis la traversée du désert pendant les 80's, jusqu'à la renaissance avec The Player et tout le monde s'est mis à l'adorer de nouveau. Je ne prétends pas être un expert de son cinéma, donc j'ai vu McCabe & Mrs. Miller sans trop de préjugés.

On pourrait dire que Altman a voulu faire un anti-western : il ne convoque pas le clichés habituels, évite le folklore, même l'époque de l'histoire indique la fin du genre (on est en 1902). Pourtant il ne peut complètement s'en passer car le western est un genre si codifié que, lorsqu'on s'y essaie, même de loin, il y a des règles immuables.

John McCabe est introduit au cours d'une partie de poker et d'une légende selon laquelle il aurait tué un homme. Cela suffit à en faire un héros de western. Plus tard, il tient un bordel et a une romance avec une prostituée, dont il a fait aussi son associé. Il tient tête à des représentants d'une compagnie minière. Puis affronte des tueurs à gages envoyés par cette même compagnie.

Tout cela, ce sont des éléments de western, et toute la singularité d'Altman, toute sa volonté à esquiver ce que représente le genre, ne peuvent rien contre cela. Pourtant on sent une résistance farouche de sa part à ne pas sacrifier aux rites de passage : l'affrontement final justement est anti-spectaculaire au possible, mais même là, avec le décor neigeux, la brutalité des duels, cela renvoie au Grand Silence de Sergio Corbucci (1968).

Je n'ai rien contre les artistes qui essaient de revisiter les genres, à en contourner les codes, à les maltraiter même. Pourvu que l'histoire m'emporte et que le style soit puissant. Du style, ce film n'en manque pas : Altman a tourné en décors naturels et il réussit brillamment à en tirer parti pour créer une ambiance étonnante.

Le bled où se situe l'action est à peine un village : tout semble être en cours de construction - ou, plus exactement, comme si tout ce qui y est construit n'avait jamais pris le temps d'être achevé par les habitants. C'est sale, le temps est pourri (il pleut un crachin permanent, la neige devient de la gadoue), les gens du coin ont l'air de primitifs, alcoolisés, drogués, demeurés.

C'est saisissant et le directeur de la photo, le grand Vilmos Szigmond, capte ça avec une précision quasi documentaire. McCabe fait de ce trou à rats un endroit fréquentable mais sur lequel plane malgré tout le poids du destin, une sorte de chape de plomb, résumé avec l'épisode du cowboy qui vient se taper toutes les putes du bordel, qui en part aimé de toutes, et se fait tristement descendre par un pistolero qui lui refuse l'accès à une passerelle vers un drugstore.

Szigmond éclaire les intérieurs de façon stupéfiante aussi : des lampes à pétrole fournissent le minimum de lumière pour qu'on voit briller une dent en or (dans la bouche de McCabe) ou perler une larme sur la joue d'une veuve, mais la plupart du temps il règne en ces lieux une pénombre angoissante, entre chien et loup, pas davantage accueillante qu'à l'extérieur.

Là où, pour moi, le bât blesse, c'est l'histoire. Altman avait lu le roman d'Edmund Naughton pendant le tournage de M.A.S.H. et avait demandé à Brian McCay d'en tirer une adaptation. Ce dernier a rédigé le script en cinq semaines et ce n'est qu'ensuite que Warner a acquis les droits du livre. Mais une fois sur le plateau, Altman ne s'est servi du texte que comme une base, laissant improviser les acteurs suivant des indications qu'il leur fournissait.

Comme beaucoup de cinéastes américains de cette époque, qui allait créer le New Hollywood, Altman adorait la Nouvelle Vague française, en particulier Jean-Luc Godard et ses méthodes de tournage en extérieurs, avec une équipe réduite, des comédiens en roue libre, cette impression que le film se fabriquait en temps réel puis se recomposait au montage.

Un exemple de l'importation de ces méthodes chez Altman était que les personnages pouvaient dialoguer en parlant tous en même temps, comme dans la "vraie vie". Mais l'écueil de cette façon de procéder, c'est que, finalement, les dialogues sont escamotés la plupart du temps et il faut suivre le déroulement de l'intrigue par l'action.

Or d'action, il n'y en a pratiquement pas ici : le rythme est languide, on passe d'une scène à l'autre sans vraiment se soucier de faire des transitions, ce qui est est et c'est ainsi, rien n'est expliqué, justifié, tout paraît couler de source. C'est un faux naturalisme où l'ellipse règne et tant pis si vous restez sur le bord de la route.

A part la dernière partie, où McCabe doit composer avec des tueurs qui le jaugent avant de se décider à le piéger (car, entre temps, il est descendu à Bearpaw et a rencontré un avocat), et où donc la structure est plus classique, tout ce qui précède traîne en longueur ou saute des étapes. Et là, par contre, on ne recule devant aucune facilité (comme la romance entre McCabe et Mrs. Miller, même si elle reste tarifée).

J'ai lu que le film était une critique du capitalisme à travers le commerce de la prostitution et le portrait des habitants misérables du patelin, mais aussi des tractations des représentants de la compagnie minière... Mouais... C'est une film parfait, selon Roger Ebert, comme rêvent d'en produire tous les cinéastes, par accident ou avec tous les efforts du monde... Mettons.

Moi, j'y ai surtout vu ce que j'appelle de la nostalgie idolâtre facile, vous savez quand on est persuadé qu'à une époque le cinéma américain ne comptait que de grands films, un genre de "c'était mieux avant", particulièrement à la mode quand il s'agit des années 70, du New Hollywood. Sauf qu'il y a eu de grands et meilleurs films avant, et même, hé oui, après.

J'adore le cinéma US des 70's, mais je juge sur pièces, j'évite les généralités flatteuses. Et dans le cas d'Altman et de John McCabe en particulier, je n'ai pas été convaincu ni conquis. Ce n'est certainement pas un chef d'oeuvre, encore moins un des dix meilleurs westerns de tous les temps (et assurément pas le 8ème meilleur). Je me suis gentiment ennuyé, presque assoupi (au son des chansons de Leonard Cohen qu'on entend dans le film et sur lequel le montage a été bâti pendant 9 mois).

Ceci dit Warren Beatty est excellent, il n'est en vérité jamais meilleur que dans la peau de ces hommes qui n'ont rien d'aussi glorieux que leur légende et surtout il ne les joue jamais en voulant les rendre aimables. Julie Christie est superbe et son alchimie avec Beatty n'est plus à prouver, ce qu'elle fait avec son rôle est tout en délicatesse, en mélancolie, vraiment superbe.

J'ai Le Privé de Altman dans ma liste de films à voir, parce que j'aime Elliott Gould (qui devait d'ailleurs incarner McCabe - Mrs. Miller était prévu pour Patricia Quinn). J'espère quand même être plus enthousiaste. Mais je vais quand même attendre encore un peu avant de le regarder.

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