Theresa Dunn est une étudiante qui s'éveille à la sexualité dans les bras d'un de ses professeurs, Martin. Mais celui-ci met brusquement fin à leur relation avant qu'elle soit diplômée. Elle retourne vivre chez ses parents, d'origine polono-ilrandaise et catholiques, qui lui préfèrent depuis toujours sa soeur aînée, Katherine. Pourtant celle-ci vient de quitter son mari et d'avorter clandestinement pour vivre plus librement dans son propre appartement.
Theresa devient professeur pour des enfants sourds et se révèle douée et attentionnée. Cette apparence sage et ordonnée cache une double vie puisque, le soir venu, elle traîne dans les bars à la recherche d'une aventure sans lendemain. C'est ainsi qu'elle fait la connaissance de Tony, un jeune séducteur vaniteux, qu'elle ramène chez elle, ayant emménagé dans un studio du même immeuble que sa soeur. Ils consomment de la cocaïne et font l'amour.
C'est un déclic pour Theresa qui a toujours souffert de son physique depuis que, enfant, elle a été opérée d'une scoliose dont elle a découvert l'origine congénitale et qui a poussé sa tante, atteinte de la même malformation, au suicide. Tony absent, elle fait la connaissance d'un travailleur social, James, qu'elle fréquente et qui plait à ses parents, mais avec lequel elle n'a aucune relation sexuelle car il préfère se préserver pour le mariage...
Diane Keaton, dont je parlai hier en rédigeant une critique sur Reds, vient de mourir à l'âge de 79 ans. Depuis que je l'avais vue dans Annie Hall de Woody Allen (1977), rôle pour lequel elle reçut l'Oscar de la meilleure actrice, c'était quelqu'un que j'avais toujours plaisir à voir au cinéma. Elle a mené une carrière exemplaire, conservant intact le charme particulier qu'elle avait à ses débuts, mélange de fraîcheur et d'intelligence.
Car, dans les films, il y a deux catégories d'actrices : celles qui vous séduisent par leur beauté, leur charisme, même si ensuite vous découvrez leur talent ; et celles qui vous happent par leur intelligence vive, leur jeu nuancé, leur personnalité, même si elles ne sont pas dénuées de beauté physique. Diane Keaton faisait partie de cette seconde catégorie : elle vous attirait par cette espèce d'éclat que possèdent les gens évidemment inspirants intellectuellement.
Elle avait débuté à 24 ans sur grand écran et avait connu la célébrité deux ans plus tard, en 1972, grâce au Parrain de Francis Ford Coppola, où elle interprétait le rôle de Kay Adams, la femme de Michael Corleone (Al Pacino, dont elle fut la compagne à la ville). Ce n'était pas si précoce pour une actrice qui allait ensuite enchaîner des longs métrages jusqu'en 2024.
On retient surtout d'elle qu'elle fut la muse, l'amie puis la compagne de Woody Allen qui lui écrivit sur mesure Annie Hall mais avec qui elle tourna aussi Woody et les robots (1973), Guerre et Amour (1975), Intérieurs (1978), Manhattan (1979) et Meurtre Mystérieux à Manhattan (1993). Mais ce qui la distinguait, c'était le talent et le style.
Diane Keaton avait de la classe, au point d'être devenue une icone de la mode, créant un look qui a été copiée, encore aujourd'hui, une sorte d'élégance bohème et chic, tout à fait raccord avec ce que ses rôles disaient d'elle par ailleurs. Dans Reds, elle était autant en avant que Warren Beatty lui-même.
Alors, oui, j'aurai pu vous parler d'elle en évoquant Annie Hall, mais c'était choisir la facilité, et j'ai revu Looking for Mr. Goodbar (en vo), un de ses rôles les plus marquants, même si c'est aussi le plus terrible personnage qu'elle a campé - ceux qui l'ont vu savent de quoi je parle, avec cette fin qui vous crucifie littéralement.
A l'origine, il y a le livre de Judith Rossner, un best-seller dont s'est emparé le scénariste et réalisateur Richard Brooks. Plus qu'une adaptation, c'est une sorte de nouvelle version de l'histoire, pas toujours bine inspirée d'ailleurs. Rossner dressait le portrait d'une femme en quête de plaisir sexuel et dont la quête se doublait d'une pulsion quasi-suicidaire.
En somme, chercher Mr. Goodbar, c'était surtout le trouver et avec lui, rencontrer son destin. Ce qu'en a fait Brooks n'est pas la même chose : pour lui, l'héroïne est certes une femme qui multiplie les aventures sexuelles mais qui le fait avec une sorte de naïveté et qui ne voit pas arriver le danger. Dans le livre, elle cherche ce danger et les conséquences seront terribles. Pourtant le film en ayant la même fin n'a pas du tout la même vibe.
Brooks a sans doute eu peur que, en suivant littéralement l'intrigue du livre, le public considère Theresa comme une fille perdue d'avance, que ce qui lui arrive soit en quelque sorte inévitable, voire moral. En supprimant cette pulsion de mort qui l'habite, Theresa, chez Brooks, devient davantage une victime et son sort est à la fois cruel et poignant.
Par ailleurs, Brooks met du temps à vraiment démarrer son histoire : les premières scènes entre Theresa et Martin, son professeur et amant, ne mène nulle part, sinon à une rupture inévitable, mais qui ne justifie pas le comportement de Theresa ensuite. Le spectateur devine très bien et tout seul qu'elle mène une double vie nocturne parce qu'elle en a toujours eu envie. Martin n'était que celui qui lui a fait perdre sa virginité, et les autres hommes ensuite profitent d'elle comme elle profite d'eux.
Le contexte familiale et le passé de Theresa sont aussi très lourdement exposés par Brooks : elle a souffert dans sa chair, mais aussi spirituellement avec des parents catholiques rigoristes, et surtout un père autoritaire. En ce sens, la voir coucher avec des hommes souvent plus âgés qu'elle revient à souligner qu'elle cherche auprès d'eux un père de substitution.
Seuls deux hommes échappent à ce standard : Tony est un amant fougueux et intrusif et James un prétendant possessif mais qui se refuse au sexe avant le mariage. Malgré leurs différences, ce qui les unit, c'est leur jalousie et leur colère quand ils constatent qu'ils ne peuvent contrôler Theresa, qui, après son expérience avec Martin, ne veut plus être dépendante d'un homme, se marier, avoir des enfants.
Ce qui est le plus réussi dans le film, c'est la manière dont Brooks réussit à mettre en parallèle ce contraste frappant entre Theresa le jour, enseignante douée et chaleureuse pour des gamins handicapés, et Theresa la nuit, aventurière libérée et inconsciente. Sa soeur Katherine est tout aussi délurée qu'elle mais sans que ça la rende heureuse, épanouie. Theresa, elle, s'émancipe de plus en plus.
Le climax de l'histoire est aussi son dénouement. Là-dessus, Brooks est fidèle au livre de Rossner, pourtant le malaise est durable. Si cette fin avait été imaginée par un homme, on l'aurait accusé d'avoir jugé et condamné son héroïne. Mais dans la mesure où c'est celle d'une femme, on peut se demander si la romancière ne s'est pas rangée à une sorte de conformisme encore plus dérangeant selon lequel une femme libérée sexuellement doit quand même payer cette liberté.
A la recherche de Mr. Goodbar (en vf) a révélé Richard Gere, totalement survolté et flippant dans le rôle de Tony. William Atherton a aussi cet aspect inquiétant dans le rôle de James, mais il me paraît sous développé. Tuesday Weld apparaît aussi trop peu alors que ses scènes sont marquantes et même déchirantes.
Et puis donc il y a Diane Keaton. Brooks expliqua qu'il avait dû batailler avec elle pour les scènes de sexe car elle était très timide - et à cette époque il n'y avait pas de coordinateur d'intimité. Alors il les tournait en faisant sortir tout le monde de la pièce à part le cadreur et le preneur de son. Mais la performance de Keaton est remarquable d'intensité et d'audace.
Quoique, avec elle, le terme de "performance" est malvenue. C'était une actrice tellement subtile qu'elle ne donnait jamais l'impression de performer. Il y a chez elle, même ici, dans ce film, une sorte de légèreté qui est assez prodigieuse. C'est peut-être, pour cela, qu'elle est la première comédienne américaine aussi moderne. Et qu'elle l'est restée, parce qu'il n'y a aucune affectation dans son jeu. Et cela fait qu'elle a peu/pas d'héritière.
C'est une immense artiste qui vient de partir, une comme on n'en voit que rarement au cinéma, une actrice qui a révolutionné en douceur son métier et qui a inspiré les réalisateurs de telle manière que toutes ses consoeurs ne boxaient pas dans la même catégorie qu'elle - Al Pacino, Woody Allen, Warren Beatty et tant d'autres de ses partenaires l'affirmeraient. Farewell Ms. Keaton.
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