dimanche 31 août 2025

WAR MACHINE (David Michod, 2017)


2009. Le général 4 étoiles Glen McMahon, reconnu pour son efficacité lors de la guerre en Irak, est envoyé en Afghanistan où il doit évaluer la situation et en faire un rapport détaillé pour que le gouvernement américain sache comment mettre fin à la guerre en cours. Seule limite à sa mission : il ne doit réclamer aucun renfort de troupe. Sauf que McMahon et son bras droit, le major général Greg Pulver, sont convaincus de pouvoir gagner la guerre et demande au Président Obama 40 000 soldats supplémentaires pour sécuriser la province de Helmand et stabiliser le pays.


Evidemment, la Secrétaire d'Etat refuse ses exigences, les jugeant incompatibles avec le fait que des élections doivent se tenir dans le calme. McMahon comprend qu'on ne l'a pas envoyé là pour régler un conflit mais pour nettoyer le bazar laissé par ses prédécesseurs et préparer le retrait de l'armée américaine. Il divulgue alors secrètement son rapport en l'envoyant au "Washington Post", qui le publie, et accorde une interview au magazine télé "60 Minutes" dans laquelle il explique n'avoir parlé qu'une fois, en visioconférence, à Obama en 70 jours.
 

Le Président américain cède partiellement à la requête de McMahon en lui accordant 10 000 soldats supplémentaires mais en prévenant que, d'ici 18 mois, les Etats-Unis se retireront d'Afghanistan. Furieux, McMahon part pour Paris pour réclamer aux forces de la coalition les hommes qui lui manquent...


Netflix n'a pas produit War Machine mais l'a récupéré après que le studio qui l'avait financé ait rechigné à le distribuer, sans doute pour ne pas embarrasser Barack Obama, dont le second mandat se terminait. Ted Sarandos, le patron de la plateforme de streaming, a dû se frotter les mains en récupérant ce long métrage avec une star du calibre de Brad Pitt en tête d'affiche.


La critique n'a pourtant pas été tendre avec ce brûlot. Mais David Michod en adaptant le livre de Michael Hastings, The Operators, livre un objet hybride fascinant et terriblement drôle. L'objectif était clairement d'en faire une satire qui renvoyait dos à dos des généraux belliqueux et une administration démocrate surtout soucieuse de quitter un conflit qu'elle n'avait pas initié, rejeté par l'opinion et coûteux.


Pour se convaincre de la direction prise par le cinéaste, il suffit d'observer l'interprétation de Brad Pitt. L'acteur a toujours été tiraillé entre un jeu à l'économie, qui met en valeur son côté cool et charmeur, et le surjeu, où il peut se défouler sur un personnage qui le permet. On l'a vu ainsi dans L'Armée des 12 Singes (Terry Gilliam, 1995) ou Inglorious Basterds (Quentin Tarantino, 2009).
 

La façon dont il incarne ce "Glenimal" McMahon est sans ambiguïté : il en fait non pas des kilos mais des tonnes, arborant des mimiques grotesques, tirant le rôle vers la farce. Ce haut gradé est une caricature de l'authentique général Herbert McChrystal dont le comportement et les choix sont identiques à ceux de son double fictif.

En fait, toute l'intrigue repose sur un malentendu qu'un crétin pareil ne peut pas intégrer : quand McMahon/McChrystal arrive en Afghanistan, il croit que c'est pour gagner une guerre, sauf que l'administration en place veut au contraire préparer le retrait des troupes car c'est devenu un bourbier et une ruine.

Malgré sa conviction qu'il peut se débarrasser des talibans et des insurgés, McMahon commet une erreur fatale : les afghans en ont assez de ce qui est devenue une armée d'occupation et plus une force de paix ou même de médiation. La sortie de cette guerre sera un camouflet complet, un échec militaire, politique et une catastrophe humaine. Les talibans reprendront le pouvoir et les américains comme toute la coalition repartiront la queue entre les jambes.

Rétrospectivement, et avec la rapidité qu'on connaît au cinéma américain pour examiner son Histoire et ses failles, il apparaît que Obama a été un Président aussi calamiteux que George W. Bush et guère meilleur que Trump puis Biden ensuite. Comme le dit le major général Greg Pulver au journaliste Sean Cullen, Obama est un excellent orateur mais un mauvais chef.

Ce n'est pas être un supporter du Parti Républicain de l'admettre : Trump est un bouffon délirant et incompétent, mais Obama n'a pas été un bon Président. Qu'a-t-il laissé ? Rien de notable. Il a gagné un Prix Nobel de la paix immérité. C'était surtout une caricature de politicien cool, aimable, qui a eu la tête de Ben Laden. Mais son bilan est misérable. Il n'a ni réglé les tensions raciales, ni assaini son parti et la vie politique en général et il a livré les Etats-Unis à Trump, un démagogue dangereux et crétin.

Ces critiques, elles étaient déjà présentes, en sourdine, dans Cogan : Killing Them Softly, déjà avec Pitt (dont j'ai parlé il y a peu). Et j'y vois le dépit du comédien, qui doit être un Démocrate comme beaucoup de ses confrères, envers le Centre-Gauche américain. Le bide Biden et le retour de Trump ont dû, comme beaucoup, achever de le dégoûter.

Pendant les deux tiers de sa durée, War Machine est donc abominablement drôle, grâce à son écriture impitoyable et sa star déchaînée (impossible de ne pas éclater de rire en le voyant faire son footing ou en observant sa main droite crochu, comme paralysée par un tic d'ancien fumeur de cigare). Puis le film bascule dans sa dernière ligne droite, lors de la visite de McMahon à Paris.

Là, il rencontre un journaliste de "Rolling Stone", Sean Cullen (Scoot McNairy, implacable), qui veut écrire un article sur son équipe, sa stratégie, et McMahon accepte sur les conseils de Matt Little, son spécialiste en relations publiques. Le résultat sera dévastateur. Puis, lors d'une conférence de presse, où il expose, avec morgue, son plan infaillible pour gagner la province de Helmand, il rencontre un obstacle encore plus inattendu.

Face à une représentante allemande (Tilda Swinton, royale comme d'hab') qui pointe que son exposé en dit plus long sur son ambition personnelle, son moment de gloire rêvé, que son envie de libérer réellement les afghans, McMahon est décontenancé. Le masque tombe. En voix off, Cullen note que si les généraux ont des cheveux blancs, c'est moins à cause des décisions dramatiques qu'ils prennent qu'à cause de la crainte d'échouer à la face du monde.

Le dénouement est à la fois pathétique, triste et absurde. L'Amérique se retirera bien mais c'est Biden qui ramènera les "boys" au pays en... 2021 ! Ce serait risible si ce n'était pas aussi tragique. Mais bien sûr, il n'y a plus personne pour se désoler du sort des afghans à nouveau sous le joug des talibans.   

Michod lâche donc délibérément la bride à Pitt, qui est prodigieux drôle et affligeant à la fois. Il l'entoure de comédiens solides mais dirigés pour rester sobres en contrepoint : Topher Grace, Lakeith Stanfield (fabuleux en bidasse dépassé), Wil Poulter, Emory Cohen, Anthony Michael Hall, Meg Tilly (merveilleuse en épouse délaissée)... Et Ben Kingsley, formidable dans la peau de Hamid Karzaï.

War Machine porte bien son nom mais ce n'est pas un film à la gloire de la guerre : au contraire, c'est une charge d'autant plus ravageuse qu'elle est grotesque sur les guerres entamées sans rationalité et bouclées sans humanité. 

CRIMINAL, TOME 1 : LÂCHE ! (Ed Brubaker / Sean Phillips)



Leo Patterson est connu dans le milieu comme le meilleur organisateur de braquages. Mais il est considéré comme un trouillard. Son dernier casse s'est mal déroulé avec la mort de son ami Terry Watson. Depuis il a raccroché, se contentant de piquer le portefeuille des passants. Mais quand la veuve de Terr, Greta, le lui demande, il se sent obligé d'accepter un nouveau coup.

Greta a en effet entendu parler d'une affaire par Seymour proposée à Leo : il s'agit de l'attaque d'un fourgon contenant des diamants d'une valeur de 5 M $ qui sont aussi de pièces à conviction contre des trafiquants. Leo recrute son ami Donnie la tremblote qui joue les épileptiques dans des rames de métro pour dépouiller les passagers. Puis il explique son plan à Seymour et à Jeff, le flic ripou qui les a tuyautés.


Leo se méfie - à juste titre. Jeff et Seymour le doublent, Greta est blessée par balles durant le casse. Mais elle part avec lui en emportant la valise remplie de diamants... Mais qui contient en vérité 16 kg d'héroïne pure...


Octobre 2006 : Ed Brubaker est scénariste pour Marvel qui a, à cette époque, un label, Icon, pour publier des comics en creator-owned par leurs auteurs maison. Le scénariste renoue à cette occasion avec Sean Phillips, qui avait été l'encreur de Scene of the Crime (dessiné par Michael Lark et publié par Image Comics), et lance Criminal.


Il s'agit d'un projet à long terme, longuement mûri par l'auteur, qui veut renouer avec le genre policier qu'il adore et dont chaque arc narratif mettra en scène des personnages différents mais évoluant dans un même cadre, à différentes époques. En pratique, cela signifie que le héros d'une histoire pourra ensuite n'être qu'un second rôle ou un figurant dans la suivante et vice-versa.

Coward (en vo) est la première de ces histoires criminelles. Elle met en scène Leo Patterson, fils du légendaire gangster Tommy Patterson, arrêté, condamné et incarcéré pour le meurtre d'un autre malfrat, Teeg Lawless. Leo a appris au contact de son père et de son partenaire, Ivan, dont il a aujourd'hui la garde car il est atteint de la maladie d'Alzheimer, comment être un bon pickpocket.

Mais le garçon a développé depuis son plus jeune âge un génie véritable pour organiser des braquages, préparant minutieusement chaque coup. Mais avec une aversion radicale pour les armes. Et la volonté de ne pas finir derrière les barreaux d'une prison comme son père. Il se dit prudent. On le traite de trouillard. De lâche.

Son dernier casse s'est mal passé, son ami Jerry est mort, abattu par la police. Seymour s'adresse à lui pour une affaire facile : un vol de diamants. C'est un inspecteur de police ripou, Jeff, qui propose le coup. Autant de raisons de refuser. Jusqu'à ce que Greta, la veuve de Jerry, s'en mêle et ne convainque Leo d'accepter, au moins pour la dédommager.

Le récit de Brubaker est un modèle du genre : découpé en deux parties et cinq épisodes, on assiste d'abord aux préparatifs et à l'exécution du braquage, puis à la cavale et à la revanche de Leo et Greta quand, immanquablement, ils se font doubler. L'astuce, ici, c'est que les fugitifs sont partis avec le butin. Leur problème : ce ne sont pas des diamants mais de l'héroïne promise à un caïd.

Tout d'abord, on lit quelque chose de finalement très classique, pour ne pas dire convenu. Mais ce qui fait la différence, c'est la personnalité de ce héros atypique, Leo Patterson, génie de l'organisation, mais considéré comme un pleutre. Il a toutefois raison d'être méfiant et le lecteur n'a pas de mépris pour lui parce qu'il sait qu'il a raison. 

Puis tout s'emballe : au fur et à mesure qu'on découvre qui est derrière tout ce mic-mac, le danger devient palpitant et le sort de Leo et Greta précaire. Le lecteur éprouve alors une réelle empathie pour ce couple, d'autant plus qu'il traîne avec eux un vieillard sénile et toxico et que la mère et la fille de Greta seront bientôt menacées à leur tour.

La série noire impose que cela se finisse mal et Brubaker ne fait preuve d'aucun sentimentalisme, ce qui rend à la fois son histoire poignante et cruelle, mais aussi crédible. Le simple postulat de base - un dernier coup avant de raccrocher - est la promesse que ça va mal se passer, qu'il y aura des morts, du sang et des larmes. C'est donc convenu, mais ça n'en reste pas moins efficace.

Surtout, grâce à Sean Phillips, les personnages prennent vie et ont de la chair. Leurs looks sont parfaitement conçus, leur environnement admirablement rendu, et l'action est toujours d'une impeccable lisibilité. Phillips n'est pas un artiste démonstratif, il est tout entier au service de l'intrigue et des ambiances.

Pas d'excentricité visuelle donc, mais quelque chose de brut, d'autant qu'à cette époque encore l'artiste a un trait encore très anguleux, et les couleurs de Val Staples appuient les contrastes. C'est l'autre principe du genre : toujours être simple, direct, expressif, expressionniste même. Si le dessinateur semble prendre ses marques, on sent l'énorme potentiel et l'investissement total dans chaque case, chaque page.

Ce premier tome est aujourd'hui disponible dans une Intégrale (en trois tomes), en vf, chez Delcourt (voir ci-dessous). 


Et servira de base pour une adaptation filmé pour Prime Vidéo (dont la date de programmation n'a pas encore été arrêtée), mais supervisée par les auteurs et doté d'un casting de première classe (Charlie Hunnam, Adria Arjona, Richard Jenkins, Garrett Hedlund, Emilia Clarke, Luke Evans, Logan Browning...). Si ça, ça ne vous donne pas envie de découvrir Criminal...

samedi 30 août 2025

F1 - LE FILM (Joseph Kosinski, 2025)


Ancien prodige de la Formule 1, Sonny Hayes a vu sa carrière stoppée net après un grave accident lors du Grand Prix d'Espagne en 1993. Depuis, il a divorcé plusieurs fois, dilapidé sa fortune et court là où on veut encore de lui. Ce qui ne l'empêche pas de briller comme quand il effectue un relais lors des 24 h. de Daytona. C'est après cette course que son ancien partenaire et rival Ruben Cervantes lui propose de devenir deuxième pilote de son écurie, APXGP.


Ce n'est pas un cadeau : l'équipe n'est jamais montée sur un podium de toute la saison et le premier pilote est un débutant aussi ambitieux qu'arrogant. S'il ne gagne pas au moins une course d'ici à la fin de la saison, les investisseurs fuiront et APXGP sera liquidé avec Ruben. Sur la piste de Silverstone, Sonny fait un essai dans le baquet d'une voiture et s'il n'est pas à l'aise avec ce véhicule plus moderne que ceux qu'il a pilotés jadis, il détecte vite ce qui peut être amélioré. 


Joshua Pearce, l'autre coureur, pense déjà à l'avenir et demande à son agent de lui trouver une place ailleurs. Il rate d'ailleurs complètement sa course lors du Grand Prix de Grande-Bretagne. Sonny ne lui en tient pas rigueur et au Grand Prix de Hongrie, il exploite les failles du règlement en entrant volontairement en collision avec un autre pilote, obligeant l'intervention de la voiture de sécurité et permettant, quand la course reprend, à Joshua de réduire l'écart avec les leaders...


F1 - The Movie (en vo) est le pur produit d'une recette éprouvée trois ans auparavant par le duo formé par le producteur Jerry Bruckheimer et le réalisateur Joseph  Kosinski avec Top Gun : Maverick. Durant le tournage, il fut question d'un caméo avec le septuple champion du monde Lewis Hamilton, mais qui ne se concrétisa pas, faute de temps pour ce dernier.


Hamilton invita Kosinksi au Grand Prix d'Austin et ce fut une sorte d'épiphanie pour le cinéaste, impressionné par la puissance et la technique des bolides. Il pitcha une histoire à Bruckheimer qui dit "banco !" et développa un script avec l'aide de Ehren Kruger. Mais restait un défi de taille : comment attirer un public en masse pour un film sur la Formule 1 ?
 

D'autres, et pas des moindres, s'y sont essayés : Le Mans (Lee Katzin, 1971, avec Steve McQueen), Grand Prix (John Frankenheimer, 1966), ou plus récemment Days of Thunder (Tony Scott, 1990) ou Rush (Ron Howard, 2013) - liste non exhaustive. Surtout, Netflix a produit une série de documentaires, Formula 1 : Pilotes de leur destin, depuis 2019, énorme carton et expérience immersive.


Comment lutter contre le récit d'authentiques champions élevés au rang de vedettes grâce à la plateforme de streaming ? Comme je le disais plus haut : en reproduisant une recette éprouvée, celle de Top Gun : Maverick, en remplaçant les avions de chasse par des F1 et Tom Cruise par Brad Pitt. Seulement ça ?

Il y a en quelque sorte deux films en un ici : le premier, c'est effectivement une sorte de version de Top Gun : Maverick sur piste. Un vétéran reprend du service pour sauver une écurie appartenant à un vieil ami et rival tout en formant un débutant au circuit et aux courses. En 150', l'affaire est pliée avec une efficacité redoutable.

On ne voit pas le temps passer. Le film enchaîne les clichés comme la bande son enfile les morceaux rock et la partition de Hans Zimmer. Toutes les cases sont soigneusement cochées : la différence de philosophie entre le coureur sur le retour et son partenaire ambitieux et vaniteux, la romance avec la directrice technique, l'anxiété du patron d'écurie, les Grands Prix spectaculaires, etc.

Mais franchement il faut être de mauvaise foi pour ne pas apprécier F1 - Le Film. C'est extrêmement divertissant, merveilleusement filmé. Bruckheimer, qui a refusé de communiquer le budget du film (prêtant ainsi le flanc aux rumeurs les plus extravagantes), a convaincu Apple de signer un énorme chèque pour constituer une écurie fictive plus vraie que nature.

Le tournage a eu lieu lors d'authentiques courses, avec zéro image de synthèse, et des acteurs formés à la conduite à grande vitesse (coachés par Lewis Hamilton himself, qui est co-producteur). Les voitures d'APXGP sont des Formule 2 modifiées avec quinze caméras embarquées et développées par Mercedes. C'est bluffant. Et grisant.

Les courses ont une intensité incroyable et même si le tout est très prévisible, on sait que ça fait partie du contrat passé entre le cinéaste et le public, venu pour goûter un plat en particulier, qu'il a déjà adoré. Mais Kosinski est assez malin pour ne pas reproduire tout à l'identique : une équipe de F1 n'est pas un groupe d'aviateurs militaires. Ici, ce qui doit capter notre attention, ce sont deux pilotes.

Le second film, c'est celui qui fera le plus parler les critiques. Est-ce que F1 - le film est autre chose qu'une adaptation de Top Gun : Maverick ? Autrement dit : est-ce que ce ne serait pas quand même un peu une arnaque qui se fiche de la gueule du public en re-racontant la même chose ? Est-ce que décliner une formule, ce n'est pas le degré zéro de la création ?

Toutes ces interrogations sont légitimes et donc je ne reproche à personne de penser que F1 - le film ne vaut pas grand-chose. Que nous apprend-t-il qu'on ne saura pas en regardant d'autres films sur cet univers ou des docus ou même des retransmissions d'essais ou de vraies courses automobiles ? Effectivement : rien.

Kosinski ne va jamais plus loin que ce qu'il promet : des sensations fortes, un blockbuster estival. Certes, nous faire croire au comeback d'un pilote qui aurait l'âge de la star qu'il incarne (61 ans), c'est déjà beaucoup (même si, au début, on cite quelques vétérans qui ont couru face à des concurrents qui auraient pu être leur fils). Mais on n'est justement pas dans du docu, dans le réalisme.

F1 - le film a pour lui une honnêteté indéniable : il ne cherche pas à nous faire croire à l'incroyable. Il veut juste nous distraire. Le scénario produit des péripéties et des rebondissements improbables et prévisibles. Le marché qu'on passe avec ce genre de productions, ce n'est pas d'y croire, mais d'embarquer. Et ce n'est pas méprisable.

Par ailleurs, on peut quand même y lire une sorte de message, de métaphore. Brad Pitt, qui incarne avec une coolitude absolue Sonny Hayes, est lui-même devenu un vétéran. Il a encore ce physique incroyable pour un sexagénaire qui fait de lui un sex symbol comme à ses débuts. Mais ces dernières années, l'examen de sa filmographie révèle quelque chose de troublant.

Pitt s'est comme qui dirait fait une spécialité des rôles d'homme du passé qui observe avec un mélange de détachement et de mélancolie l'époque où il a été révélé et aujourd'hui. Et en plus de trente ans de carrière, il s'en est passé des choses, si bien qu'il a l'air d'une sorte de survivant, comme Tom Cruise ou Keanu Reeves.

Du coup, le voir camper Sonny Hayes devient plus profond qu'il n'y paraît. En 1993, Aerton Senna courait encore (plus pour longtemps, il mourra un an après), et les conditions dans lesquelles les coureurs s'affrontaient paraissent insensées aujourd'hui, avec des véhicules blindés d'électronique, des règlements plus stricts, encore plus d'argent en jeu, etc.

Ce qu'incarne Sonny, ce n'est pas seulement un temps révolu, c'est une certain romantisme sportif, qu'on peut éprouver dans d'autres disciplines (le foot, le tennis, etc.). Quand Sonny regarde Joshua Pearce toujours pendu à son téléphone portable, en quête de like, courant pour la gloire plus que pour le plaisir, l'ivresse même, c'est exactement comme si Pitt regardait Damson Idris.

Pitt est encore très bel homme mais il a désormais des rides, une silhouette plus massive. En revanche son jeu s'est nuancé - en fait c'est à peine s'il joue encore : il n'a plus à composer un personnage, c'est au personnage de se mouler sur Pitt. Mais tout ça en fait un acteur bien meilleur, plus attachant, plus séduisant encore, plus subtil aussi.

Damson Idris est lui aussi comme son personnage, on le devine ambitieux mais devenant sympathique, et on lui souhaite le meilleur. Toutefois, sa manière d'interpréter Joshua Pearce est fidèle à ce qu'on peut en attendre : c'est une composition. Il fait des efforts pour exister à l'écran quand Pitt n'a qu'à être là, apparaître, dire ses répliques, et ça suffit. C'est la différence entre une star et un rookie.

Javier Bardem est sobre dans le costume du patron en détresse et Kerry Condon réussit à donner chair à un rôle fin comme une feuille de papier. C'est peut-être ce qui manque le plus à ce film : des seconds rôles soignés (dans Top Gun : Maverick, les jeunots qui entouraient Tom Cruise formait une troupe plus consistante).

F1 - le film n'est sûrement pas un grand film, mais c'est de l'entertainment très abouti, parfaitement huilé, et le véhicule impeccable pour sa star, au sommet de son art. Et c'est parce qu'il remplit la mission qu'il s'est fixé, comme son héros, qu'il mérite le respect.

vendredi 29 août 2025

BURN AFTER READING (Ethan & Joel Coen, 2008)


Lorsqu'il apprend qu'il est rétrogradé à cause de son alcoolisme, Osborne Cox préfère démissionner de son poste d'analyste de la CIA. Rentré chez lui, il décide d'écrire ses Mémoires pour se venger de l'Agence qu'il juge sur le déclin et il l'annonce à sa femme, Katie, une médecin, qui, elle, entreprend, sans le lui dire, une procédure de divorce. Car elle veut refaire sa vie avec son amant, un Marshall, Harry Pfaffer, pourtant encore marié et totalement paranoïaque. 


Sur le conseil de son avocat, Katie transmet à la secrétaire de ce dernier un CD-Rrom rempli d'informations sur les ressources financières d'Osborne, mais aussi le brouillon de ses Mémoires qui se trouve dessus sans qu'elle le sache. La secrétaire égare ce disque dans les vestiaires de Hardbodies, la salle de sports qu'elle fréquente. Et deux employés, Linda Litzke et Chad Felldheimer, le trouvent et le lisent ce qu'il contient.


Comme Linda a besoin d'argent pour des opérations de chirurgie esthétique, elle va faire chanter Osborne avec Chad pour lui soutirer de l'argent. Mais il refuse de se laisser plumer. Alors ils s'adressent à l'Ambassade de Russie, convaincus de détenir des informations compromettantes pour lesquelles ils seront payés. Cependant, Katie fait changer les serrures chez elle afin que Osborne ne la dérange plus puisque Harry a emménagé avec elle. Mais Harry est un coureur de jupons et il a une liaison avec Linda qu'il a connue via un site de rencontres...
 

Burn after Reading est le dernier volet de la "trilogie des idiots" que les frères Ethan et Joel Coen ont tournée et qui compte O'Brother et Intolérable Cruauté. A cette occasion, ils se sont déchaînés en voulant boucler leur projet avec une histoire complètement échevelée mais affreusement drôle -peut-être même la plus drôle du lot.


C'est un film qu'il faut voir deux fois. La première, on le regarde médusé parce que ça part dans tous les sens, c'est un grand n'importe quoi, absurde, foutraque, un sommet du genre, qui se moque de tout, et dont tous les personnages sont dingues. Et la seconde, on note que, malgré tout, ça tient debout, c'est certes grotesque, d'un non-sens absolu, mais solide, cohérent, implacable.


On parle souvent de récits dits story-driven (c'est-à-dire où l'intrigue prime) et d'autres dits character-driven (c'est-à-dire où les personnages priment). Burn after Reading tient grâce à ses personnages et à la manière dont l'histoire les lie les uns aux autres. C'est une vraie toile d'araignée, avec des connections improbables, mais tout à fait efficaces.


Le film se déroule selon une logique périlleuse, façon marabout-bout de ficelle-selle de cheval, etc. Osborne vit avec Katie qui le trompe avec Linda qui travaille avec Chad qui veut faire chanter Osborne. Les deux seuls personnages à la périphérie sont les plus sages, les plus pragmatiques, c'est-à-dire Ted, qui aime en secret et sans retour, Linda, et le chef de la CIA, qui observe tout ça avec perplexité.

Le chef de la CIA nous représente : nous sommes aussi interloqués que lui, sauf qu'il est plus détaché que nous, dans la mesure où il n'entend parler de cette histoire que par des rapports qui tombent sur son bureau et par les décisions qu'il prend pour que l'Agence ne soit pas embarrassée par cet imbroglio. C'est le personnage le plus raisonnable, le plus rationnel du film.

Ted, au contraire, est le plus sentimental, le plus affectif. Il voit Linda lui échapper sans cesse, il craint pour elle, il n'arrive pas à lui déclarer sa flamme, et quand il décide d'agir pour elle, il ne la prévient même pas. Mais il connaîtra un sort injuste, car son action ne sera jamais reconnue par celle qu'il aime. C'est cruel et touchant.

Les autres protagonistes sont donc tous des fous ou surtout des crétins finis. Les Coen n'en épargnent aucun et n'hésitent pas à les charger. C'est un film méchant mais irrésistible dans sa caractérisation. Cox est un imbécile arrogant qui refuse d'admettre son alcoolisme et son mépris des autres. Sa femme, Katie, est froide comme la banquise, franchement casse-couilles.

Chad est un imbécile de la pire espèce car il se croit malin mais ne se rend pas compte du début à la fin qu'il s'est engagé dans une affaire qui le dépasse. Linda est une pauvre idiote qui ne pense qu'à son apparence et au gain qu'elle peut tirer de ce mic-mac pour se faire opérer des seins, du ventre, des fesses. Enfin Harry est pathétique avec ses infidélités et sa paranoïa.

Les personnages les plus drôles recèlent souvent un aspect triste, ce qui permet de les aimer quand même malgré leur stupidité. Une scène résume parfaitement ça : Linda est examinée par le chirurgien esthétique qui détaille crûment tous ses défauts physiques. C'est immonde. Mais Linda ne se formalise pas car elle estime que son corps actuelle a atteint sa limite.

Et, en définitive, c'est cela que pointe le film : tous ces individus sont à la limite d'eux-mêmes. Ils courent à leur perte, ils foncent dans le mur, ils ont déjà échoué. Mais Linda est la plus attachante car elle croit avoir trouvé le bonheur et oublie alors qu'elle veut changer d'apparence. Mais ce n'est évidemment que provisoire : pour elle aussi, tout va s'écrouler, même si elle s'en sortira mieux que les autres.

Le film n'est pas long (95') et c'est ce qu'il faut pour une comédie. Pourtant les Coen parsèment leur script d'idées loufoques et quasiment inexploitées pour la plupart qui auraient pu alimenter encore une bonne heure de pellicule (je pense à l'improbable fauteuil à godemiché construit par Harry... Il faut le voir, c'est inexplicable). Quand on en redemande, c'est que c'est vraiment excellent.

Et puis le casting est extraordinaire : aucune des stars convoquées n'a hésité à se ridiculiser. George Clooney tournait pour la troisième fois sous la direction des Coen et il est magistral dans la peau de Harry. Frances McDormand (la femme et muse de Joel Coen) est toujours remarquable parce qu'elle ne cherche pas à sauver son personnage de Linda.

John Malkovich est détestable à souhait et Tilda Swinton lui rend la pareille avec la même précision clinique dans le jeu. JK Simmons et Richard Jenkins ? Fabuleux. Mais c'est surtout Brad Pitt qui étincèle : on ne lui connaissait pas ce brio comique, ce sens de la dérision, et il est tout bonnement énorme dans le rôle de Chad, écrit spécialement pour lui.

Vous voulez vous marrer ? Regardez Burn after Reading. C'est un film délicieusement vache et affreusement drôle. Les Coen à leur meilleur et merveilleusement entouré.

ABSOLUTE MARTIAN MANHUNTER #6 (of 12) (Deniz Camp / Javier Rodriguez)


Qui du Martien vert ou de son ennemi le Martin blanc réussira à dominer les esprits de Middleton ? Tandis que l'agent John Jones se bat pour ne pas mourir des mains de malfrats possédés, sa femme Bridget et son fils Tyler affrontent Bob, un autre des sujets de l'entité adversaire...


En Janvier 1979 paraissait Uncanny X-Men #117, écrit par Chris Claremont et dessiné par John Byrne : il s'agissait d'un épisode centré sur le professeur Charles Xavier, qui pensait une bonne partie des élèves de son institut pour jeunes mutants morts et qui songeait alors à suivre sa compagne, l'impératrice Shi'ar Lilandra, dans l'espace pour oublier cette tragédie.


Cependant, il se remémorait un épisode de son passé, quand il était encore valide et déambulait dans les rues du Caire où une jeune voleuse allait lui dérober son portefeuille (sans imaginer que plus tard elle deviendrait une de ses élèves). La suivant télépathiquement, il entrait dans un bar où, très vite, il allait faire la rencontre du commanditaire de la petite voleuse, un autre télépathe comme lui, Amahl Farouk.


S'ensuivait ce que le titre de l'épisode nommait : une guerre psi entre les deux mutants... Cet épisode, issu de l'âge d'or des X-Men, tous les fans de la série le connaissent comme un des classiques du run de Claremont et Byrne. Et si l'évoque aujourd'hui pour cette critique d'Absolute Martian Manhunter #6, c'est parce qu'il me semble que Deniz Camp en donne sa version.


La série, depuis son démarrage, revisite de manière très audacieuse et inventive l'histoire du Limier Martien, non pas en en faisant un habitant de Mars téléporté malencontreusement sur Terre et obligé de se fondre dans le décor grâce à ses pouvoirs de métamorphe et en devenant un policier sous le nom de John Jones, mais en détournant ces éléments.

Ici John Jones est un agent du FBI qui, à la suite d'un attentat auquel il a survécu, se met à halluciner avant de comprendre qu'il est entré en contact avec une entité extra-terrestre qu'il nomme le Martien. Au début leur relation est chaotique, Jones pensant qu'il devient fou. Puis, à la manière d'un buddy movie, ils deviennent complices, partenaires et enquêtent ensemble sur diverses affaires.

Le cadre de leurs investigations est la ville de Middleton, en proie à des événements de plus en plus bizarres; En outre, le comportement de plus en plus curieux de Jones interroge et inquiète sa femme, Bridget, qui finit par le mettre à la porte car il est de plus en plus absent (même quand il est à la maison avec elle et leur fils Tyler).

Tout cela culmine avec une panne d'électricité et de gaz qui plonge Middleton dans les ténèbres et plusieurs de ses habitants dans une folie meurtrière irrationnelle. Sauf pour le Martien qui détecte là l'oeuvre d'un de ses semblables maléfique, le Martien blanc. Le mois dernier, suite à un accident, le Martien vert et Jones étaient séparés alors que le bazar le plus dramatique s'emparait de Middleton.

On reprend exactement là où on était avec cet épisode 6 qui est le dernier du premier acte de la série. Il devait même être, à l'origine, le dernier tout court car DC avait seulement accordé six numéros à Camp pour raconter son histoire. Mais cette production zinzin a beaucoup plu aux lecteurs et l'éditeur a décidé de prolonger l'aventure avec six autres chapitres.

Avant de découvrir l'acte 2 de Absolute Martian Manhunter, il faudra être patient car Deniz Camp et DC ont refusé d'en confier le dessin à un autre artiste que Javier Rodriguez qui ne pouvait pas enchaîner douze épisodes d'affilée. Le titre va donc faire une pause et revenir en Décembre prochain afin de permettre à Rodriguez d'avancer dans son travail. On ne peut que se féliciter de ce choix.

Car Rodriguez a fait de la série un spectacle visuel incomparable, transcendant les scripts déjà barjo de Camp, et c'eût été une catastrophe de le voir remplacer par un autre dessinateur incapable de rivaliser avec son imagination visuelle. Encore une fois, cet épisode en témoigne, Absolute Martian Manhunter est la meilleure mini-série disponible (avec Batman and Robin : Year One quand même).

Il est extrêmement difficile de critiquer sans spoiler cet épisode, mais surtout sans en donner une interprétation par trop réductrice. Ce qu'accomplit Camp est hors normes : c'est aussi déviant que peut l'être une BD indé tout en gratifiant le lecteur d'un divertissement coloré et haletant comme un comic book très efficace.

Camp manie des concepts, des idées si étranges que les mots ne peuvent qu'en donner une version rabougrie. Il faut le lire, et pas seulement parce que le scénariste et le dessinateur trouvent des moyens de jouer avec le média même de la bande dessinée, mais parce qu'il me paraît impossible de traduire réellement le degré de dinguerie et de plaisir qu'on ressent en lisant cette série.

Pourtant cette impuissance démontre la puissance du projet. Arriver à ce que le critique ne puisse ni trop en dire ni à dire de manière claire ne provient pas d'une BD trop compliquée à saisir, à apprécier. Cela est le fruit d'une BD qui renouvelle puissamment ce que la BD propose en tant que média. Absolute Martian Manhunter est la preuve que rien n'est fini, rien n'est joué : il reste des choses à inventer. Et Deniz Camp et Javier Rodriguez le prouvent mois après mois depuis six mois.

Décembre va être long à attendre, mais les retrouvailles avec cette série seront un régal à la mesure de cette attente, n'en doutons pas.

jeudi 28 août 2025

SUPERMAN #29 (Joshua Williamson / Dan Mora)


Superman est donc obligé de faire équipe avec Superboy-Prime que le Time Trapper a mis à l'abri dans une dimension de poche car il est le seul, selon lui, à pouvoir battre la Légion de Darkseid sans que celle-ci ne soit prête. Ils rejoignent donc le XXXième siècle où ce qui reste des membres originaux de la Légion se terrent mais que Superman convainc de sauver Booster Gold...


Je voulais rédiger cette critique de Superman #29 rapidement après celle de Justice League Unlimited #10 puisque les intrigues se croisent. Il ne s'agit cependant pas d'un crossover entre les deux titres, mais la présence du Time Trapper dans les deux oblige presque à lire les deux. Et surtout tout cela prépare le terrain pour l'event DC K.O. qui débutera en Octobre prochain.


En fait qu'il s'agisse de Superman ou de Justice League Unlimited, le fil rouge de tout ça, c'est Doomsday devenu le Time Trapper, qui comme son nom l'indique voyage à travers le temps pour tenter d'en corriger des anomalies. Mais la situation est bien pire : le temps est littéralement brisé et le multivers est plongé dans un chaos dangereux. La réalité risque de s'écrouler.


Tout prend racine dans DC All-In Special #1 où Darkseid a, pour tout le monde, trouvé la mort, mais qui, en vérité, a absorbé la puissance du Spectre pour créer un univers alternatif, plus sombre et violent : l'univers Absolute. Les héros de cet univers sont des individus plus féroces, plus radicaux, qui doivent permettre à Darkseid de pouvoir revenir attaquer et dominer l'univers DC classique.


Du côté des héros de l'univers classique, la seule trace restante du passage final de Darkseid est une sorte de faille, de plaie (j'emploie le terme à dessein parce que la référence avec la plaie de l'univers Wildstorm est évidente) dans l'espace-temps, le multivers. Pour savoir où elle aboutit, Booster Gold s'est porté volontaire.

Mais non seulement il n'est pas revenu depuis, mais le temps endommagé a effacé de la mémoire collective des héros l'existence même de Booster Gold. Celui-ci a été fait prisonnier par la Légion de Darkseid donc. Mais avant d'être capturé, Booster Gold a envoyé dans notre dimension un avertissement à l'adresse de Superman.

Arrivé là, il faut, pour connaître la nature de cet avertissement, avoir lu Summer of Superman Special #1 sinon vous êtes largué. C'est la froce et la limite du dispositif : si vous n'êtes pas au fait de ce qui s'est passé dans les one-shots DC All-In Special et Summer of Superman Special, ça va être très compliqué, pour ne pas dire impossible à comprendre. Il faut espérer que Urban Comics fasse ça bien pour la vf, sinon, bonjour le sac de noeuds.

Bref, le mois dernier, le Time Trapper a sauvé les miches de Superman alors qu'il venait de faire la connaissance de quelques membres de la Légion de Darkseid. Il l'a conduit dans une dimension de poche de sa création où il gardait Superboy-Prime. Mais si, souvenez-vous, ce morveux issu de Terre-Prime, où les super-héros n'existent que dans des comics et qui atteint notre monde mais découvre, furieux, que, même doté de pouvoirs désormais, il ne sera jamais l'égal de Superman.

Il fallait bien du culot à Joshua Williamson pour nous ressortir ce diablotin de sa boîte. Et tenter de nous faire croire qu'il allait avoir droit à sa rédemption. Pourtant le scénariste a osé. C'est tellement inattendu qu'on lit presque cet épisode d'abord pour voir comment il va s'y prendre. Bon, c'est un peu décevant quand même, mais je ne vais pas spoiler cette fois (le mois prochain, je serai certainement obligé par contre).

Vous remarquerez, quand vous lirez cet épisode, que Superboy-Prime s'exprime vraiment comme un type qui parle des super-héros comme de "characters", qui mentionne des "reboots", des "twists and turns", un "redemption arc"... Bref qui parle comme un scénariste ou un lecteur de comics commentant les péripéties d'une histoire. C'est même assez métatextuel.

Vous noterez aussi que, alors que DC, créativement parlant, se porte mieux que Marvel, c'est maintenant que l'éditeur choisit pour programmer un event au nom éloquent de DC K.O. (même si K.O. ne signifie pas Knock-Out mais King Omega), soit le chaos, comme un pied-de-nez. C'est malicieux et jubilatoire.

Surtout, et enfin, on appréciera de voir que Waid et Williamson soient sur la même longueur d'ondes pour utiliser le Time Trapper comme l'élément-clé de ce corps d'histoires. On n'en est pas (pas encore) à la rencontre (prévisible) entre les univers classique et Absolute, mais c'est comme un avant-goût quand même assez prononcé puisque la création de Darkseid commence à impacter l'univers classique.

Dan Mora est comme toujours excellent sur Superman : il livre des planches dynamiques, bien construites, avec des plans iconiques bien placés. L'écriture du script semble canaliser son énergie débordante, mieux que celle de Waid. S'il continue ainsi, il deviendra mieux que cette espèce de bête de foire actuelle, qui dessine plusieurs séries à la fois : il sera un vrai bon storyteller.

Bon, après, encore une fois, pour apprécier ce qui se raconte dans Superman comme dans Justice League Unlimited, cela exige du lecteur d'être bien informé. Et je pense que dans les prochains mois (années ?), ça va être encore plus marqué. Depuis le début de l'ère DC All-In, Williamson d'un côté, Scott Snyder de l'autre, travaillent à quelque chose de très ambitieux, donc casse-gueule. 

S'ils réussissent leur coup, c'est-à-dire s'ils arrivent à ne pas perdre le lecteur dans les deux mondes qu'ils supervisent, DC frappera un grand coup. Sinon... Je préfère même pas y penser. Pour l'instant, en tout cas, si on lit ce qu'il faut, c'est diablement accrocheur et addictif.

JUSTICE LEAGUE UNLIMITED #10 (Mark Waid / Dan Mora)


Coursé et blessé par la Légion de Darkseid, le Time Trapper se réfugie dans la Tour de Guet de la JLU. Niles Caulder avec l'aide du Limier Martien et de Metamorpho va l'opérer. Cependant, tout autour du globe commencent à apparaître des puits semblables à ceux d'Apokolips. Et, dans l'ancien QG de la Ligue, Batman Wonder Woman et Superman discutent du mode de recrutement de l'équipe...


Le mois dernier, je disais que j'allais arrêter de suivre Justice League Unlimited. Disons que j'ai suspendu ma décision, au moins jusqu'au n°12 et la fin de la première année de parution de la série, après quoi je verrais si j'arrête définitivement ou si je poursuis. Comme j'ai précommandé les épisodes jusque-là, je vais continuer à en rédiger les critiques.
 

Cependant, en toute honnêteté, je ne m'attendais pas à être aussi captivé par ce dixième épisode. Ce n'est pas encore parfait, mais Mark Waid s'est quand même très bien ressaisi et la lecture est fort agréable, très accrocheuse. Je ne sais toujours pas où ce qu'il veut raconter va mener, mais avec Superman de Joshua Williamson, ça forme un programme très complémentaire.


Et je trouve que c'est exactement ce qui manquait à Justice League Unlimited jusque-là : que la série communique avec au moins un autre titre du DCU, et particulièrement Superman dans la mesure où le Time Trapper apparaît dans les deux. C'est un minimum quand on s'inscrit dans un univers partagé et que le futur event DC K.O. paraît en être l'aboutissement.
 

Si je dis que ce n'est pas parfait (pas encore), c'est parce qu'il est clair que la chronologie des faits dans Justice League Unlimited et Superman ne correspond pas. JLU affiche un temps de retard, ce qui est fâcheux avec un personnage comme le Time Trapper, dont le pouvoir est lié justement au temps, à la temporalité.

Waid fait par exemple référence à ce qui s'est passé dans Superman #28 (entre autres car on mentionne aussi DC All-In Special #1, la base de tout) depuis presque un an... Et Superman #29 vient de sortir ce Mercredi. Editorialement, il y a du mou dans la corde à noeuds et c'est dommage, même si Superman #29 ne spoile rien de ce qui se joue dans Justice League Unlimited #10.

C'est ma seule réserve et j'espère que tout sera aligné pour DC K.O.. Mais ça prouve encore une fois que Williamson est le vrai maître des horloges chez DC actuellement et que Waid traîne un peu derrière. Rien de dramatique. Surtout quand on sort de ce crossover abominable que fut We Are Yesterday.

Waid paraît surtout avoir trouvé une formule narrative qui lui faisait défaut depuis le début de la série. Au lieu d'envoyer un maximum de super héros au charbon, pour des résultats franchement pas terribles, cette fois il procède en se concentrant sur de petits groupes séparément mais dont les actions/réactions sont liées.

Pendant que Superman, Batman et Wonder Woman nous rejouent la trinité divergeant sur les méthodes à appliquer pour recruter, dans une ambiance très tendue (qui renvoie évidemment à La Tour de Babel, un célèbre arc de JLA par... Waid), l'essentiel de l'action se déroule dans la Tour de Guet et un peu aussi en Markovie.

En Markovie, Power Girl, Captain Atom et un certain Cadejos (un loup-garou démoniaque que je n'ai jamais vu avant) aident Géo-Force qui fait face à l'apparition d'un puits semblable à ceux qu'on trouve sur Apokolips et à d'autres qui apparaissent actuellement partout dans le monde. Au même moment, Mr. Terrific interroge un paradémon qui accouche d'une multitude de paradémons miniatures qui l'attaque.

Le fil rouge de l'épisode, c'est l'irruption du Time Trapper dans la Tour de Guet, gravement blessé, et que Niles Caulder, J'onn J'onzz et Metamorpho tentent de sauver. Le problème quand vous opérez une créature pareille, c'est que ses pouvoirs sont hors de contrôle et la Tour menace d'être détruite. 

Dan Mora orchestre parfaitement toutes ces scènes, en les composant de manière intelligente, en variant à chaque fois son découpage. C'est bien la première fois que je le vois aussi inspiré alors que d'habitude il se montre beaucoup plus brouillon. Mais cette fois, non : tout est clair, lisible, efficace. L'intensité de chaque situation est traduite avec excellence.

Mora en verve, Waid mieux structuré, cet épisode est vraiment très bon. Assiste-t-on à une reprise en main de la série ? Ou n'est-ce qu'un feu de paille ? J'ai quand même envie d'y croire, surtout parce que tout ça prépare le terrain pour DC K.O. et que ça exige de Waid qu'il serve cet event avant tout. Dix mois pour trouver l'équilibre, ça aura été laborieux. Mais mieux vaut tard que jamais...

ULTIMATE SPIDER-MAN #20 (Jonathan Hickman / David Messina)


Harry Osborn et Gwen Stacy ont donné rendez-vous à Peter et Mary Jane Parker dans un restaurant qu'ils ont privatisé pour avoir une discussion sur leur prochain combat. Richard est gardé par son grand-père Ben à qui il se confie au sujet de Felicia Hardy, son rôle de Spider-Man. Mary Jane s'exprime sur ses craintes concernant le futur...


Que dire de cet épisode ? Sinon qu'il n'est pas bon et, pire, que je me demande à quoi il sert. A part gagner du temps, mais d'une manière si grossière, que cela me laisse perplexe. Il ne s'y passe rien, à l'exception des ultimes pages, et encore ce n'est pas grand-chose - la réaction d'un personnage dont on se rend compte qu'il a été finalement très passif jusque-là.


J'ai souvent exprimé mon souhait ces derniers mois que Jonathan Hickman finisse par aller voir ailleurs, chez DC, pour se refaire une santé plutôt que de se contenter de lancer des concepts chez Marvel sans s'y investir davantage qu'il ne le fait. Mais il faut se rendre à l'évidence, c'est un voeu pieux, rien n'indique que l'auteur va quitter Marvel, qui le paie grassement.


Pourtant je ne reprocherai pas à Hickman de gagner beaucoup d'argent : autant qu'il en profite. Néanmoins on peut regretter le temps où ce scénariste, brillant s'il en fut, lançait autre chose que des concepts et développait des projets ambitieux sur lesquels il imprimait sa marque et donnait à son éditeur une ampleur qui lui fait désormais bien défaut.


A cet égard, Ultimate Spider-Man résume ce que sont devenus et Marvel et Hickman. En deux ans, l'éditeur et son scénariste vedette ressemblent de plus en plus à une voiture de course qui laisse la concurrence lui passer devant artistiquement et apparemment s'en contente. C'est un gâchis colossal, mais c'est aussi assez incompréhensible, surtout pour Hickman.

Ce dernier, qui a publiquement exprimé sa déception sur la tournure de son run sur X-Men, torpillé par l'editor Jordan White, plutôt que se rebeller ou donc être aller voir ailleurs, est resté, mais en semblant manifestement abdiquer, préférant encore une fois le chèque à la fin du mois que se montrer digne de ses aventures passées.

Je suis à la fois déçu et en colère parce que j'ai le sentiment de plus en plus pénible de m'être fait rouler dans la farine avec Ultimate Spider-Man. Il y a eu de fameux épisodes, des twists and turns mémorables, mais au fond que retenir de la série après 20 épisodes sinon justement cette narration trop mécanique qui, jamais, n'a été sous-tendu par une ligne directrice nette.

Tout converge désormais pour un final qui verra donc Spider-Man et le Bouffon Vert affronter frontalement le Caïd et ses alliés. Avec de la chance, on aura droit à de la baston épique. Mais deux ans de publication pour ça, c'est quand même beaucoup d'épisodes pour pas grand-chose. En tout cas pas grand-chose de neuf, d'original.

Hickman qu'on imaginait en architecte de ce nouvel univers revisité a laissé les rênes à Deniz Camp et a tout fait pour que Ultimate Spider-Man se déroule à la marge. Ayant hérité d'un projet conçu par et pour un autre (Donny Cates), Hickman a lancé la machine pour aussitôt s'en détacher et livrer sa version de Spider-Man avec quelques corrections par rapport à la version classique. Et c'est tout en somme.

Ce mois-ci, le scénariste, une nouvelle fois en l'absence de Marco Checchetto, livre, avec le dessinateur David Messina, un épisode entièrement rempli de talking heads où Peter, Mary Jane, Harry et Gwen refont le monde, ou plus exactement expliquent à MJ ce qu'ils préparent pour le futur proche. Hickman concentre son attention sur MJ.

Les inquiétudes qu'elle formule et l'attitude qu'elle adopte sont bien vues, mais c'est tout de même très paresseux. Visuellement, Messina a vraiment du mérite d'accepter d'être exploité de la sorte pour dessiner sa vingtaine de planches avec uniquement des têtes qui parlent. Le titre lui fournit certes une exposition rêvée, mais pour quel profit ? Marvel ne lui donnera jamais un titre mensuel dont il serait l'artiste titulaire.

On a aussi droit à une scène avec Richard et Ben où le garçon évoque Felicia Hardy, Spider-Man et d'autres choses... Dont on peine à s'intéresser tant elles sont périphériques. Hickman semble là encore avoir lancé une idée (le fils de Peter et MJ devenant un second Spider-Man) mais n'en a pas fait grand-chose.

L'univers Ultimate se prépare à son Endgame mais la suite est déjà programmée. Avec Hickman ? Mystère. Avec moi ? Certainement pas.