samedi 14 juin 2025

L'AMOUR AU PRESENT (John Crowley, 2024)


Tobias fait la connaissance d'Almut après qu'elle l'a percuté avec sa voiture et qu'il se réveille à l'hôpital et qu'elle le veille. Il venait de passer un entretien d'embauche pour une marque de céréales et est en train de divorcer. Elle est chef de cuisine dans un restaurant où elle l'invite à venir dîner gratuitement pour s'excuser. Ils finiront la soirée dans le même lit.


Ce qui n'aurait pu être qu'une aventure se transforme en relation plus sérieuse mais se heurte au refus de Almut d'avoir des enfants alors que Tobias aimerait fonder une famille. Toutefois, il tient trop à elle désormais et renonce à son rêve. Mais bientôt un malheur arrive : suite à des douleurs abdominales, Almut passe des examens médicaux et on lui diagnostique un cancer des ovaires.


Elle subit une hystérectomie partielle et, quelques mois après, elle tombe enceinte et donne naissance à une fille, Ella. Trois ans passent. Le couple avec leur enfant a emménagé dans une ferme et Almut dirige maintenant son propre restaurant étoilé. Pourtant la maladie refait surface et la jeune femme prend une décision qui va tout bouleverser...
 

Tout d'abord, ce résumé et les photos qui illustrent cette critique présentent un aperçu dans l'ordre chronologique de l'histoire. Mais le film, lui, a une narration éclaté, allant et venant sans cesse entre le passé, le présent et le futur. Et il débute de la manière la plus dramatique possible quand Almut apprend, en compagnie de Tobias, que son cancer a réapparu et qu'il lui reste environ un an à vivre avec un traitement lourd.


On assiste tout de suite après à l'entretien d'embauche de Tobias qui rentre à son hôtel le soir venu et s'apprête à signer les papiers de son divorce. Sauf que son stylo n'écrit plus. Il sort pour aller à la supérette voisine s'en procurer un puis revient sur ses pas et se fait renverser par la voiture conduite par Almut. Lorsqu'il refait surface, il est assis sur un fauteuil roulant avec une minerve autour du cou et la jeune femme endormie à ses côtés.


Ce dispositif a une double fonction à mon sens : d'un côté, il permet d'échapper à la chronique d'une tragédie implicitement programmée ; et de l'autre, il souligne les moments forts que vont traverser Tobias et Almut, aussi bien en positif qu'en négatif, en usant d'ellipses qui donnent au film son rythme syncopé, presque musical.


Cette espèce de zapping pourrait vite être irritant s'il ne nourrissait un certain suspens, ou pour être plus exact un espoir quand au sort d'Almut. Pourtant le spectateur sent que cette histoire ne va pas finir bien, c'est induit dans ses titres vo (We Live in Time) et vf (L'Amour au présent) qui suggère que la vie ne vaut d'être vécue que si on en embrasse complètement l'aspect éphémère.

Il se trouve qu'en ce moment, en France, on débat dans les deux assemblées du droit de mourir dans la dignité. Et étrangement le film résonne avec ça dans la mesure où pour Almut, qui subit une récidive du cancer, il vaut peut-être mieux vivre six mois formidables que le double en souffrant encore plus à cause des effets secondaires du traitement (qui ne garantit pas sa guérison).

Avant cela, on aura vu la même Almut, au début de sa relation avec Tobias, lui dire qu'elle ne veut pas d'enfants, en tout cas pas dans le monde tel qu'il est. Ce sera le prétexte d'une première séparation, avant que Tobias ne revienne vers elle et lui avoue qu'il est amoureux et prêt, à cause de cela, à passer outre son propre désir de fonder une famille.

Cette scène préfigure tout : mieux vaut être avec la femme qu'on aime plutôt que de la perdre parce qu'elle ne veut pas fonder de famille. Ce motif, renoncer à quelque chose pour autre chose de plus immédiat, urgent, vital, dresse les contours du film tout entier et le scénario, de Nick Payne, en ne sélectionnant que les moments les plus saillants, rend ce motif plus net.

Evidemment, on aimerait parfois, selon sa sensibilité, passer plus de temps dans un des épisodes que dans un autre. John Crowley, avec un montage rythmé, frustre le spectateur, mais le comble aussi. Tout le talent du cinéaste ici est de rendre les passages romantiques plus vibrants et ceux plus tristes plus intenses.

Et au bout du compte, on reste sur ce sentiment d'avoir connu un couple crédible, avec un destin contrarié, mais jamais artificiellement plombé. Ce qui arrive à Almut et Tobias est ce qui arrive à un tas de gens. Le film ne cherche jamais à tirer les larmes, les personnages font preuve d'une dignité qui rend toute complaisance impossible. Mais ça ne veut pas dire qu'on n'a pas des fois la gorge nouée.

Le récit présente un nombre élevé de tests pour ses héros et leurs réactions ont toujours du sens, comme quand Almut concourt pour le Bocuse d'or sans d'abord en informer Tobias, qui s'inquiéterait de la fatigue accumulée, mais justifie sa participation ensuite en expliquant vouloir laisser une trace à sa fille. La brève engueulade qui s'ensuit aboutit à une issue réconciliatrice mais pas forcée puis s'inscrivant dans la logique des actions de Tobias (renoncer à quelque chose pour autre chose de plus urgent).

Enfin, si L'Amour au Présent fonctionne, c'est grâce à ses deux acteurs, parmi les meilleurs de leur génération et dont l'alchimie ici carbure à fond. Florence Pugh a le personnage le plus moteur de l'intrigue et elle l'incarne avec une sobriété qui force le respect, un côté petit soldat têtu qui la rend irrésistible, vraiment brave, merveilleusement humaine.

Face à elle Andrew Garfield prouve une fois de plus à quel point il sait camper n'importe quel rôle avec une présence à la fois douce et puissante. Il n'est pas seulement l'amant puis le compagnon compatissant, l'épaule sur laquelle se reposer, le père exemplaire. Il donne vie et chair et coeur à un homme qui affronte les éléments avec une nuance rare.

Grâce à ses manoeuvres narratives malines, sa réalisation tonique et deux acteurs en état de grâce, We Live in Time a tout du mélo mais sans les défauts, les facilités qu'on attache au genre. Une vraie prouesse donc.

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