mardi 10 juin 2025

FURIOSA : UNE SAGA MAD MAX (George Miller, 2024)


Une guerre nucléaire a transformé l'Australie en désert radioactif, mais les Vuvalini, une communauté de femmes, a réussi à préserver un oasis secret, la Terre Verte. Furiosa, une jeune fille, cueille des pêches lorsqu'elle voit des motards et essaie de saboter leurs motos. Mais ils la surprennent en l'enlèvent. Furiosa appelle au secours et sa mère Bassa part à sa poursuite à cheval.


Elle rattrape les motards et les tue sauf un qui réussit à gagner le campement de son chef, Dementus, qui veut que Furiosa lui indique la position de la Terre Verte. La fillette reste silencieuse mais, à la faveur d'une tempête de sable, elle s'enfuit avec sa mère. Leur départ est signalé et des motards les prennent en chasse, abattent Bassa et reprennent Furiosa qui refuse toujours de dire d'où elle vient.


Les années passent et Furiosa assiste à l'ascension de Dementus jusqu'à sa défaite contre les habitants de la Citadelle. Pour les forcer à négocier avec lui, il prend Pétroville d'assaut et obtient que la Citadelle les fournisse en vivres, lui et sa horde, en échange du carburant. Immortan Joe, le chef de la Citadelle, obtient aussi qu'il lui livre Furiosa pour en faire une future mère porteuse. Mais La fillette est désormais résolue à se venger de Dementus avant de rentrer chez elle...


Neuf ans après Mad Max : Fury Road, George Miller revenait dans cet univers post-apocalyptique qu'il avait créé en 1979 et qui avait fait de Mel Gibson une star. Pourtant le cinéaste australien avait un autre projet en vue que cette préquelle de Fury Road et il doit certainement aujourd'hui se mordre les doigts de ne pas l'avoir concrétisé, car Furiosa a été un échec commercial cuisant.


Il y a donc fort à parier qu'il s'agit de l'ultime long métrage de la saga. Et pourtant, la critique fut élogieuse. A raison car il s'agit d'un spectacle hallucinant (et souvent halluciné) qui fait de cet antépisode un des meilleurs du genre (si ce n'est le meilleur). Mais il ne s'agit pas que de ça et c'est pourquoi le film fait si forte impression.


Au tout début de l'histoire, lorsque nous faisons connaissance pour la première fois avec la toute jeune Furiosa aux abords de la Terre Verte, elle cueille une pêche. Remplacez-là par une pomme et vous saisirez l'aspect symbolique, la dimension biblique de cette cueillette a priori innocente qui va pourtant sceller le calvaire vécue par l'héroïne. 


George Miller et son co-scénariste Nico Lathouris s'amusent beaucoup avec les métaphores et les références dans leur saga. Substituez les motos avec des chevaux et en fait il s'agit ni plus ni moins qu'un western. Observez Dementus et sa horde et vous pouvez l'identifier comme une version pervertie d'Arthur et des chevaliers de la table ronde (comme le prouve la manière dont ils tournoient sans cesse dans le désert sur leurs destriers mécaniques).

Dementus, toujours, pilote trois motos attachées pour former un char baroque comme on en voit dans les peplums. Furiosa est une innocente abîmée par la folie de ses geôliers successifs et qui priorise progressivement sa vengeance à sa volonté de rentrer chez elle. Elle se fait passer pour un garçon pour éviter d'être abusée sexuellement et devient aussi cruelle et obsédée que les hommes qu'elle côtoie.

Je pourrai continuer ainsi pendant longtemps mais je vous laisse deviner quels autres motifs dissimulent, plus ou moins subtilement, le récit. Toujours est-il que c'est un tableau dément qui se dessine sous nos yeux, une sorte de cinéma total, qui ne recule devant rien et surtout pas l'exagération, mais toujours en partant de la faute originelle, du fruit interdit cueilli par Furiosa.

Furiosa apparaît donc à la fois comme une victime et la responsable de son propre sort. Mais en même temps, sa résistance, sa résilience forcent le respect en l'érige en figure obstinée jusqu'au sacrifice - dans Fury Road, elle est une femme adulte à qui il manque le bras gauche et on apprend comment elle l'a perdu.

Pourtant, alors qu'il aurait été facile pour Miller d'ajouter une scène bien gore avec cet épisode, il choisit de n'en rien montrer. Un moment, Furiosa a encore son bras, bien amoché certes, le moment suivant elle se l'est littéralement arraché pour, encore une fois, se libérer. Miller laisse au spectateur le soin d'imaginer comment elle a fait et c'est encore plus éprouvant que s'il l'avait filmé.

Mais évidemment, le film n'est pas avare, par ailleurs, de morceaux de bravoure, comme l'attaque du camion conduit par le Prétorien Jack ou la bataille du Moulin à Balles. Miller est comme un gosse cherchant constamment la manière la plus attrayante de montrer l'action, de la mettre en valeur, et il ne manque pas d'idées.

Contrairement à Fury Raod où il privilégiait les effets mécaniques, cette fois il s'en est remis à des effets spéciaux numériques pour une bonne part. Les mouvements de caméra sont invraisemblables, le montage à la fois nerveux et fluide, la photo aveuglante et hypnotique. Tout est maîtrisé à l'extrême, servant la vision d'un grand cinéaste, jamais grisé par les possibilités que lui offre la technologie.

Dans ce grand huit émotionnel et esthétique, les acteurs pourraient être muselés, mais ils livrent des prestations mémorables. La transition entre la jeune Alyla Browne, sensationnelle, et Anya Taylor-Joy qui incarnent Furiosa à dix ans d'intervalle est tellement organique qu'on ne se rend même pas compte tout de suite que l'actrice a changé.

Evidemment, à ce petit jeu, c'est Chris Hemsworth qui attire tous les regards : avec son faux nez, sa perruque, il campe un Dementus complètement allumé et s'amuse énormément. Le spectateur ne peut réprimer son plaisir à voir l'interprète de Thor dans les films Marvel composer un personnage aussi vil, veule, outrancier, avec un tel charisme.

Enfin, Tom Burke, qui joue le Prétorien Jack, n'a que peu de scènes pour exister entre ces deux vedettes, mais il réussit à créer une alchimie rare avec Taylor-Joy : son personnage est lui aussi égaré dans ce monde désolé en quête d'un paradis perdu.

Furiosa : Une Saga Mad Max est ce que le cinéma peut proposer de plus tellurique et jouissif dans le divertissement. C'est l'oeuvre d'un auteur authentique et d'un peintre enragé. Même si l'expérience a été injustement boudé par le public, gageons qu'avec les années elle deviendra l'objet d'un vrai culte et nourrira quelques regrets pour ce que son créateur voulait encore raconter dans cet univers.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire