dimanche 29 juin 2025

LIFE OF CHUCK (Mike Flanagan, 2025)


Acte 3 : Marty Anderson, un professeur de collège, est témoin d'événements inhabituels qui se déroulent simultanément partout dans le monde : un tremblement de terre qui sépare la Californie du reste des Etats-Unis, des inondations en Floride, des incendies... Par ailleurs, il remarque en ville plusieurs panneaux célébrant les 39 années de la vie d'un certain Charles "Chuck" Krantz que personne pourtant ne connait. Bientôt c'est internet, puis la téléphonie et l'électricité qui plantent. Marty rejoint son ex-femme, Felicia, infirmière, chez elle et assiste à la fin de tout à ses côtés.
 

Acte 2 : neuf mois auparavant, Chuck Krantz sort d'une conférence de comptables. Alors qu'il se promène en ville, il s'arrête devant une artiste de rue, Taylor, qui joue de la batterie. Il commence à danser, attirant l'attention des badauds. Parmi eux, Janice, une libraire qui vient de se faire plaquer par SMS, le rejoint sous les vivats de la foule. Le numéro, improvisé, rapporte de l'argent à Taylor qui invite les deux à boire un verre. Ils se séparent. Chuck comprendra neuf mois plus tard pourquoi ce moment faisait partie de ceux qui valent à la vie d'être vécue.


Acte 3 : Chuck a 7 ans quand ses parents meurent dans un accident de la route en revenant d'un dîner romantique tandis que ses grands-parents paternels, Albie et Sarah, le gardaient. A 12 ans, Sarah lui apprend ses premiers pas de danse en écoutant du rock à la radio. Il s'inscrit à un cours du soir à l'école où la professeur l'associe à Cat. A la maison Chuck se demande pourquoi l'entrée de la coupole, au dernier étage, est verrouillée. Une histoire de fantômes, lui raconte son grand-père...


Il y aura sûrement encore des films formidables qui sortiront cette année et que j'espère voir, mais déjà je suis certain que Life of Chuck sera mon film favori de 2025, comme Love Lies Bleeding fut celui de 2024. C'est comme une évidence, un marqueur temporel, une rencontre divine. On voit un film comme ça, on en tombe amoureux et rien ne le détrônera.


Life of Chuck ne ressemble à rien de connu et j'imagine sans mal les tourments de l'équipe marketing pour le vendre. C'est l'adaptation d'un texte de Stephen King, le roi de l'horreur, par Mike Flanagan, un autre maître du genre. Sauf que ce n'est pas du tout un film d'horreur. La seule vedette du film n'y apparaît qu'une vingtaine de minutes en tout et pour tout. Comment vendre un truc pareil ?


J'ai lu que Life of Chuck serait La Vie est belle (version Frank Capra, pas Roberto Benigni) d'aujourd'hui. Autrement dit, grossièrement résumé, un film triste mais quand même revigorant in fine. C'est pas faux, mais ce n'est pas vrai non plus. Ce n'est pas non plus un musical, même s'il y a des scènes dansées merveilleuses (dont l'une est le climax du film... Au milieu du film !).


Non, franchement, vous pouvez le tortiller dans tous les sens, Life of Chuck est surtout un casse-tête à définir. Mais... Et si c'était ça, sa qualité ? D'être indéfinissable, inclassable, triste et plein d'espoir, tendre et brutal, extraordinaire et banal. Tenez : virez Chuck du titre. Que reste-t-il ? Life. Et la vie, c'est quoi ? C'est tout ça : c'est beau, c'est triste, c'est drôle, c'est quelconque, c'est insensé.

Le récit commence par la fin, la fin du monde même carrément. Tout part en couilles : plus d'internet, de téléphone, de télé, d'électricité, des catastrophes naturelles partout dans le monde, et un couple divorcé qui se retrouve pour passer ensemble ces derniers moments avant l'extinction des feux. Rien ne sera expliqué mais l'issue ne fait aucun doute. On assiste au baisser de rideau ultime.

Les jours précédents, Marty et Felicia, comme tous les habitants de la ville où ils vivent, remarquent des panneaux représentant un type, Chuck Krantz, qu'on remercie pour 39 années incroyables. Sauf que personne ne sait qui c'est. Est-ce un gag ? Un illuminé mégalo ? L'idole d'une secte ? Et qu'a-t-il fait de si formidable ? Là non plus, le film ne vous le dira pas.

Donc ce n'est même pas l'histoire d'un type dont on découvre en remontant le temps ses bonnes actions et comment elles ont bouleversé la vie de quelques personnes qui, à l'aube de la fin du monde, le remercient. Non, Chuck est, on va le découvrir, un simple comptable, qui n'a rien fait d'autre que vivre sa vie jusqu'au bout, sans rien révolutionner, en homme intègre, bon, mais noyé dans la masse.

Le climax du film se situe donc au milieu dudit film et ce n'est pas un spoiler de le dévoiler : Chuck se promène dans une rue, après avoir assisté à une conférence. Une musicienne de rue, qui joue de la batterie, attire son attention. Il se met à danser, comme s'il ne pouvait résister au rythme. Puis il repère une jeune femme parmi les badauds qui s'attroupent et l'invite à danser avec lui. Applaudissements.

Chuck ne va pas faire sa vie avec Janice, sa partenaire le temps de cette danse. Ce n'est pas non plus une comédie romantique. Ils ont partagé, avec Taylor la batteuse, ce moment, suspendu, magique, grisant. Et ce sera tout. Une vingtaine de minutes de cinéma, comme ça, inoubliable, comme Mia et Sebastian dans La La Land.

Mais qui 20' qui vont éclairer ce qui s'est passé dans ce qui a précédé et dans ce qui va suivre. Comment par exemple Chuck a appris à si bien danser ? Et pourquoi certainement quelqu'un ou beaucoup de monde n'ont jamais oublié cet homme qui a dansé ce jour-là et illuminé cette journée ? En vérité, Chuck ressemble à l'avatar du film : il n'impose rien au spectateur, mais il lui propose des pistes.

Mike Flanagan a réalisé, mais aussi adapté le texte de King et il a également occupé le poste de monteur du film. Le rythme est d'une perfection absolue. Elliptique, mais évocateur. Le spectateur a un film où il manque plein de moments, de scènes, mais le cinéaste laisse à chacun la liberté de remplir ces vides, d'imaginer ce qui s'est passé entre chaque acte. Et c'est pour cela aussi que c'est si bien. Vous êtes en quelque sorte le co-auteur avec Flanagan et King du film.

Ou alors vous pouvez laisser des blancs, accepter ces ellipses. Sauter d'une époque à l'autre, remonter le temps, apprécier cette chronologie inversée et ne retenir que les temps forts, les angles saillants, ça marche aussi très bien. Parce que tout est également dit, ou plutôt suggéré, toujours dans ce souci de ne rien imposer, de ne surtout pas tout vouloir expliquer, justifier.

Il faut attendre la toute dernière scène pour vraiment saisir le secret de cette histoire, qui lui aussi est plus évoqué que réellement montré. C'est d'une tristesse abyssale, mais aussi d'une beauté incroyable. Même les plus cyniques seront terrassés par la manière dont c'est présenté. Parce que personne ne peut s'y attendre. Ce n'est pas vraiment un twist, qui vous fait repenser tout le film différemment...

... C'est plutôt... Comment dire ?... Une sorte de flash. Oui, voilà, une apparition, quelque chose de fulgurant, presque subliminal. Et qui dit simplement : "j'ignore dans combien de temps ce que je viens de voir va se passer, mais d'ici-là, je vivrai, jusqu'au dernier souffle". Et seuls les angles les plus saillants, les moments les plus forts subsisteront. Comme dans n'importe quelle vie.

Life of Chuck est une histoire sur le temps. Comment quand, adulte, on se souvient de certains moments qui ont paru durer une éternité et qui, en vérité, n'ont duré que quelques secondes, ou l'inverse. Comme quand on a l'impression que c'était anecdotique et que ça restera gravé dans votre mémoire pour toujours. Comme quand on a failli ne pas y aller et qu'on y est allé et que ça été merveilleux. Ou terminal.

Réussir à convoquer ça exige du doigté, de la précision. Ce qu'accomplit Flanagan, en commençant par faire entendre les mots de King. Pourquoi y a-t-il si peu d'adaptations de King satisfaisantes ? Parce qu'on n'entend pas ses mots. Or c'est une littérature à la fois très simple et très efficace, très évocatrice et économe. Il ne faut rien rajouter à ce qu'écrit King, sans quoi c'est du bla-bla, inutile, superflu.

C'est ainsi qu'il écrit (et qu'il l'explique) : il déteste les adverbes, les adjectifs, les tournures de phrases compliquées. Il va à l'essentiel. Flanagan a compris ça et c'est pourquoi son film est si réussi : il adapte sans trahir ("adapter, c'est trahir", non mais quelle connerie !). Et sa mise en scène ne fait que souligner ça, appuyée quand il le faut, invisible quand il le faut.

Et autre chose que Flanagan ose et réussit, c'est son casting. Comme je le disais plus haut, la seule vedette du film, c'est Tom Hiddleston, et il n'apparaît qu'une vingtaine de minutes en tout et pour tout sur 110'. Pourtant en 20', il pose son personnage, et le rend inoubliable, séduisant, élégant, mais aussi fragile, éphémère. 20' comme ça et pour moi, il mérite un Oscar. Parce qu'il est magnifique.

Chewitel Ejiofor et Karen Gillan le sont également et le spectateur jubile de les revoir, en arrière-plan dans les actes 2 et 1 après qu'ils soient les protagonistes du 3. Mark Hamill est bouleversant en papy porté sur la bouteille et les conseils de sage. Mia Sara a un tel charme, une telle présence elle aussi qu'on se demande comment elle n'a pas eu une meilleure carrière après avoir été révélée dans La folle journée de Ferris Bueller (il y a... 40 ans !). 

Et je ne veux ni oublier Carl Lumbly, deux scènes mais où le bonhomme est fabuleux ; ni Jacob Tremblay qui joue Chuck à 12 ans et dont la bouille est géniale ; ni Annalise Basso, la fille qui danse avec Chuck dans la rue et qui est à tomber.

La musique, enfin, des Newton Brothers : rien que pour ce solo de batterie, dingo, et Gimme some lovin'... Allez voir le film, vous comprendrez. Oui, allez voir Life of Chuck, sorti au début de ce mois, pendant qu'il est encore en salles, avant l'arrivée des blockbusters estivaux. Vous allez adorer, vous serez tristes, vous serez joyeux. Et vous sortirez de la salle en voulant vivre, jusqu'au bout.

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