vendredi 27 juin 2025

THE PHOENICIAN SCHEME (Wes Anderson, 2025)


1950. Anatole "Zsa-Zsa" Korda survit au crash de son jet. Mais cet accident lui fait entrevoir l'au-delà où il est jugé pour ses actes devant une cour divine qui doit décider s'il mérite l'enfer ou le paradis. Sachant qu'il ne pourra pas tromper la mort indéfiniment, il fait venir sa fille Liesl, jeune nonne sur le point de prononcer ses voeux, et lui annonce qu'il en fait l'héritière unique de sa fortune, amassée grâce à des affaires louches. Avant de passer la main, il veut concrétiser son grand projet concernant des infrastructures en Phénicie. 


Mais les gouvernements du monde entier se liguent contre lui car il a toujours échappé aux impôts et à la justice. Pour le ruiner, ils font s'envoler les prix des matières premières dont il a besoin. Afin de rassurer ses partenaires financiers et les convaincre de compenser cette inflation en augmentant leurs prêts, Korda, sa fille et Bjonr, un entomologiste norvégien embauché comme assistant administratif entament un long périple en six étapes.
 

Ils rencontrent le prince Farouk, les frères Reagan et Leland, Marseille Bob, le capitaine Marty et la cousine Hilda. Durant ces déplacements, Korda, impressionné par sa fille, commence à s'interroger sur ses méthodes et ses objectifs tandis que Bjorn tombe amoureux de Liesl. Les attentats se succèdent. Et il reste surtout à convaincre l'oncle Nubar, demi-frère et rival de toujours de Zsa-Zsa, de ne pas le lâcher...
 

Jusqu'en 2018, tout allait pour le mieux entre Wes Anderson et moi : L'Île aux Chiens, son deuxième film d'animation, était un nouveau chef d'oeuvre à ajouter à sa filmographie, le texan s'y montrait au sommet de son art, maîtrisant plus que jamais et son sujet et sa manière de le mettre en scène, en se passant d'acteurs pour camper ses personnages dans des cadres plantés avec une maniaquerie formelle unique.


Puis, inexplicablement, la machine s'est grippée, comme si Anderson se laissait dominer par la forme au détriment du fond. Il y eut d'abord The French Dispatch, un film à sketches laborieux, puis, encore pire, Asteroid City, qui ne faisait que recycler dans le vide ses obsessions esthétiques mais sans histoire solide à raconter. Même les castings quatre étoiles ne masquaient plus le manque d'inspiration.
 

Pour renouer avec le meilleur d'Anderson, il fallut passer sur Netflix pour le compte duquel il adapta des nouvelles de Roald Dahl, dont l'univers lui convient si bien (il l'avait déjà prouvé avec Fantastic Mr. Fox). Avec un texte débité à la mitraillette par un Benedict Cumberbatch transformiste, ces courts métrages redonnaient de l'espoir aux déçus.
 

Allait-il transformer l'essai avec The Phoenician Theme, présenté en Mai dernier au Festival de Cannes (dont il est reparti bredouille, trop en décalage avec le palmarès sinistre) ? La réponse est oui. Ce n'est pas son meilleur opus, mais Anderson semble avoir voulu se délester de quelques tics devenus pesants et se lâcher franchement dans le registre comique.

Le cinéaste a dédié son film à son beau-père, récemment décédé, en qui il voyait une sorte d'aventurier d'un autre temps, une figure haute en couleurs, qui lui a inspiré le personnage de Zsa-Zsa Korda, affairiste plus que louche mais trompe-la-mort insensé, traqué par des assassins qu'il employait jadis et visé par les gouvernements du monde entier pour avoir échappé à l'impôt et la justice.

Une expérience de mort imminente fait prendre conscience à Korda que sa chance va sans doute tourner. Il lègue donc sa fortune, non pas à ses fils (biologiques ou adoptifs), mais à sa fille unique, Liesl, qui est nonne et qu'il n'a pas revue depuis ses cinq ans et la mort de la femme avec qui il l'a conçue, morte dans des circonstances énigmatiques (mais sûrement criminelles).

Ensemble, et avec un entomologiste norvégien qui est aussi son nouvel assistant administratif (poste à haut risque puisque les précédents ont tous péri dans les attentats auxquels lui a survécu), ils partent à la rencontre d'investisseurs sur le point de se retirer de son grand projet à cause de la hausse des prix des matériaux décidés par les autorités du monde entier pour ruiner Korda.

Le film reprend donc un dispositif familier à Anderson : celui de la succession de vignettes, mais loin d'être des sketches collés les uns à la suite des autres sans logique (comme dans The French Dispatch) ou des numéros calibrés pour des stars (comme dans Asteroid City), là, on a droit à un vrai fil rouge, une vraie progression dramatique.

Alors, bien sûr, on pourra reprocher à Anderson de ne pas creuser son propos sur les oligarques, ces capitalistes sans scrupules, défiant les Etats, contournant leurs lois, magouillant à qui mieux mieux pour arriver à leurs fins. Mais The Phoenician Scheme surprend autrement, notamment dans sa manière d'aborder l'aspect religieux, une vraie nouveauté dans le cinéma de l'auteur.

Via le personnage de Liesl, Korda évolue : la foi de la jeune femme et le fait qu'elle ne soit jamais impressionnée par son paternel ébranle l'affairiste et l'homme. La fin justifie-t-elle les moyens ? Et surtout qu'est-ce qui l'attend devant son Créateur ? Lui qui est un athée se met, dès qu'il s'assoupit ou perd connaissance quand on essaie de le tuer, à imaginer son procès dans l'au-delà.

Les entrevues qu'il a avec ses partenaires deviennent des tests que Korda apprécie de plus en plus à l'aune de ce qu'il imagine être des pièces à charge pour ce jugement divin. Anderson commence par un duel de panier de basket avec les frères Leland et Reagan, puis une balle de mitraillette prise à la place de Marseille Bob, une transfusion sanguine avec Marty, et une proposition de mariage avec sa cousine.

A chaque fois, il s'engage plus personnellement pour convaincre un investisseur mais aussi pour lui-même. Jusqu'au face-à-face final et grandiose avec l'oncle Nubar, son demi-frère, son rival de toujours, celui qui justifie sa maxime favorite : "si quelqu'un se met sur ton chemin, écrase-le !".

La mise en scène reprend les motifs habituels :symétrie permanente des cadrages, choix de couleurs vives, décors style maison de poupée où chaque élément est strictement sélectionné et disposé, direction d'acteurs au cordeau avec débit mitraillette. Tout cela est devenu de plus en plus rigide au fil des films, ce qui plombe le cinéma d'Anderson, qui se permettait de respirer davantage auparavant. Mais qui en fait aussi sa signature, unique.

Le casting est encore une fois exceptionnel, mais on sent une volonté manifeste, et heureuse, de moins remplir à ras-bord chaque plan d'une vedette. Benicio Del Toro est fantastiquement pince-sans-rire dans la peau de Korda. Mia Threapleton, la fille de Kate Winslet, est magistrale dans celui de Liesl. Et Michael Cera est encore un cran au-dessus de ces deux-là dans le rôle de Bjorn, à tel point qu'on s'étonne que ce soit son premier film avec Anderson tant il est parfait dans son univers.

Les seconds rôles sont attribués à des stars confirmées ou des comédiens imparables, mais qui ne sont plus noyés dans la masse : le duo Tom Hanks-Bryan Cranston est irrésistible, Riz Ahmed paraît le plus éteint du lot (dommage), Matthieu Amalric est formidable, Jeffrey Wright est un peu sacrifié aussi. Mais Scarlett Johansson est fabuleuse et Benedict Cumberbatch est tout bonnement ahurissant.

Serez-vous assez attentif pour reconnaître Charlotte Gainsbourg et l'indispensable Bill Murray ?

Accompagné par une superbe musique d'Alexandre Desplat (comme d'hab'), The Phoenician Scheme me réconcilie avec Wes Anderson. Il semble s'être recentré, repris, sans lâcher ce qui fait de chacun de ses meilleurs films une pépite.

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