dimanche 8 juin 2025

L'AMOUR OUF (Gilles Lellouche, 2024)


Années 80, dans le Nord de la France. Jackie, 15 ans, vit seule avec son père depuis la mort de sa mère. Il la surprotège pour qu'elle réussisse ses études. Au lycée, elle rencontre Clothaire, 17 ans, déscolarisé, fils d'un ouvrier, et qui vit de petits larcins commis avec son frère Kiki et son ami Lionel. Il est séduit par cette jeune fille qui répond à ses provocations, elle est attirée par cette mauvaise graine au charme revêche.


Ils vivent une romance passionnelle mais éphémère quand Clothaire entre dans le gang de La Brosse, un criminel local. Kiki est puni par son père quand il l'apprend et part dans une école militaire tandis que Lionel préfère prendre ses distances. Jackie assiste, impuissante, à la dérive de Clothaire jusqu'à son arrestation suite à un vol à main armé pour lequel il est condamné à douze ans de prison ferme.


Années 90. Clothaire sort de prison et il pense toujours à Jackie et au gâchis de leur relation. Il apprend par le père de celle-ci qu'elle a déménagé et s'est mariée. Elle vit avec Jeffrey, gérant d'une agence de location de voitures pour qui elle travaille, mais elle aussi n'a pas oublié son amour de jeunesse. Toutefois Clothaire veut d'abord se venger de La Brosse...


Gros succès de ces derniers mois, le deuxième long métrage comme réalisateur de Gilles Lellouche est un projet qu'il portait depuis des années, quand Benoît Poolvoerde lui offrit le roman Jackie loves Johnser, OK de Neville Thompson. Mais le cinéaste comprit vite que son adaptation exigerait un gros budget et qu'il devrait faire ses preuves derrière la caméra avant.


L'excellent accueil critique et public du Grand Bain en 2018 a fait de Lellouche un cinéaste bankable et convaincu des producteurs de mettre l'argent nécessaire sur la table pour L'Amour Ouf. Un titre qui, il faut bien le dire, est un peu naze, mais passons. Présenté l'an dernier au Festival de Cannes en compétition, dont il est reparti bredouille, tout restait à faire.


Lellouche a un peu corrigé son montage initial et le film a rencontré son public, même si la critique est restée divisée. Quand je suis allé le voir, je ne savais pas à quoi m'attendre, sinon à un objet démesuré par sa durée (presque 170') et ses références, puisque Lellouche ne cachait pas qu'il avait voulu rendre hommage au cinéma de sa jeunesse.


C'est bien le cas : visuellement, en premier lieu, L'Amour Ouf fait furieusement penser à la vague des films qu'on voyait il y a quarante ans, avec une photographie léchée, comme chez Luc Besson, Leos Carax ou Jean-Jacques Beineix. C'est à ce dernier qu'on pense le plus tant le résultat évoque par moments 37, 2 ° le matin par exemple.

Narrativement ensuite : il y a ce côté à la fois foisonnant, à défaut d'être épique, et naïf. Le pitch est simple : deux ados s'aiment à la folie, un drame les sépare, ils se retrouvent dix ans après alors qu'ils sont devenus adultes et pensent encore à leur passion de jeunesse mais aussi à ce qui l'a ruinée. Mais évidemment, comme chez Beineix, Carax, Besson, il y a pas mal d'à côté.

Et c'est sans doute cela qui a divisé pas mal de critiques et de spectateurs, moi compris. Ce n'est pas une histoire en trois actes comme on en voit souvent, mais bien en deux. Exactement à mi-parcours, le récit fait un bond en avant de dix ans, le temps de la détention de Clothaire (dont on ne verra rien), et je dois dire que la seconde partie est (beaucoup) plus faible que la première.

On peut donc dire qu'il y a deux films dans L'Amour Ouf. Un premier, formidable vraiment, avec deux jeunes acteurs insensés, d'un charisme incroyable, avec une action intense, poignante, romanesque et romantique. Dans ce premier acte, Lellouche est porté par ce qu'il a à dire, sa sincérité est désarmante, son film puissant, le rythme implacable.

Il ose des scènes limites comme celle où Clothaire et Jackie admettent l'amour qu'ils éprouvent l'un pour l'autre et qui s'exprime à l'écran en un mini musical. On peut (on doit !) trouver ça too much, mais en même temps c'est cette absence de calcul, de pudeur, qui emporte le morceau, qui nous transporte dans cette romance condamnée d'avance.

Il y a une forme de simplisme dans le déterminisme social que le film s'emploie à illustrer : le mauvais garçon paie pour un crime qu'il n'a pas commis mais que sa loyauté stupide l'oblige à assumer et qui lui fait tout perdre - son père, la fille qu'il aime, l'espoir d'un futur. Pourtant, Jackie n'est pas épargnée non plus : elle perd son amoureux, mais rate aussi ses examens et liquide le bel avenir qui lui tendait les bras.

Les seconds rôles sont formidables dans cette partie : Alain Chabat (qui joue le père de Jackie et qui a reçu le César du meilleur second rôle masculin) est bouleversant, Karim Leklou est déchirant, Elodie Bouchez magnifique. Et Benoît Poolvoerde est absolument magistral en crapule qui sacrifie ce fils adoptif pour épargner son fils biologique, sans se rendre compte (parce qu'il s'en fiche) des dégâts collatéraux.

Surtout les deux interprètes de Clothaire et Jackie sont éblouissants : Malik Frekah, repéré dans des concours de breakdance et qui n'avait que quelques petits rôles à son actif, est une révélation fracassante. Face à lui, Mallory Wanecque, plus expérimentée, est tout aussi remarquable. A eux deux, ils illuminent le film. Et quelque part le condamnent...

Car, ensuite, il y a le deuxième film, sa second partie. Et là, ce n'est plus du tout la même chanson. Non seulement parce que la suite et fin est terriblement convenue, on voit tout arriver à des kilomètres, bref tout ce qui fonctionnait parfaitement devient routinier, Lellouche semble constamment chercher un deuxième souffle, en vain.

L'ouverture du film montre Clothaire partir avec sa bande pour une expédition punitive suite à l'assassinat de l'un d'entre eux. Tout ça aboutit à une fusillade en pleine nuit, filmée hors champ, au terme de laquelle on devine la débâcle de la bande à Clothaire, lequel tente de s'enfuir avant d'être rattrapé et tué d'une balle dans la tête.

Sauf qu'il s'agit d'une fausse piste. Ou pas. On ne sait pas. Lellouche entretient la confusion jusqu'au bout, comme s'il refusait au fond de lui-même que son histoire soit tragique. Et du coup on a droit à une happy end dans les règles. Mais peut-être est-ce une ruse, un subterfuge, un rêve, une illusion. Ce qui se serait passé si Clothaire n'était pas, en vérité, un abruti fini, même après douze ans en taule...

Car c'est ce qui saute aux yeux, quel que soit l'option choisi : Clothaire, une fois adulte, est devenu un con. Il veut se venger, la prison ne lui a rien appris. Et se venger pour quoi ? On ne sait pas trop en vérité. Il comprend tout seul que ça ne mène à rien, sinon à la mort prévisible d'un ami, mais il y va quand même.

Puis, dans cette version des faits, dont on ne saura jamais si c'est la vraie ou un fantasme, subitement, sur la route de son expédition punitive, il décide de tout plaquer, il renvoie ses hommes, oublie sa vengeance et veut reconquérir Jackie - ça tombe bien, elle est mariée avec un type encore plus bête que Clothaire, qu'elle n'aime pas, et donc arrive ce qui doit arriver.

Quelle que soit l'interprétation qu'on choisit, aucune n'est satisfaisante. Si Clothaire est effectivement mort au début du film et que donc la seconde partie relève de la fiction, c'est soit un manque de courage de la part de Lellouche qui n'embrasse pas la tragédie la plus crédible ; soit c'est un deuxième acte à la guimauve écoeurant, qui gâche presque tout ce qui a été raconté auparavant.

Pour ne rien arranger, Lellouche attribue alors au moindre second rôle un acteur connu : Jean-Pascal Zadi, Raphaël Quenard, Vincent Lacoste... Tout ça ressemble à une sorte de who's who du cinéma hexagonal actuel mais tue dans l'oeuf tout ce qui paraissait si naturel, si vrai dans la première partie. Et bien entendu, Clothaire et Jackie ont aussi droit à un nouveau casting.

Mais la fraîcheur de Frekah et Wanecque est remplacée par les présences de François Civil et Adèle Exarchopoulos. Je n'ai rien contre eux, il parait même qu'ils sont réellement tombés amoureux sur le tournage (quelle meilleure pub pour le film romantique absolu). Mais justement on ne voit que Civil et Exarchopoulos, et plus du tout Clothaire et Jackie.

Ce star-system étalé comme un carnet d'adresses rendu public transforme le projet en une sorte de superproduction tapageuse, avec une bonne partie de son budget qui a dû fondre pour se payer justement ces vedettes, et plus du tout à cette histoire d'amour échevelée et si belle incarnée par deux quasi-inconnus qui lui conféraient toute sa spontanéité.

A ce petit jeu, personne ne gagne. Zadi, Quenard, Lacoste sont abominablement mauvais dans des personnages à peine développés. Quant à Civil, il est effroyable en loubard sur le retour. Et Exarchopoulos a une dureté dans le jeu qui ne convient pas du tout après la douceur de Wanecque. Seuls Chabat et Bouchez sont encore impeccables dans leurs rôles.

Enfin, les tics appuyés de mise en scène (avec l'usage récurrent de zooms, la photo super pubarde, etc) qui faisaient le sel de la partie 80's devient franchement pénible à force de répétitions dans la partie 90's, comme si Lellouche avait oublié et eu la flemme de ne pas penser à un changement esthétique entre les deux époques.

C'est vraiment terriblement dommage. Lellouche aurait pu signer un grand film et il l'a laissé filer bêtement, faute d'avoir assez de distance, de discernement. Pendant quasiment 1h. 30, c'est merveilleux. Puis l'heure et demi suivante, patatras ! Ou comment L'Amour Ouf devient l'amour bof...

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