lundi 9 juin 2025

SINNERS (Ryan Coogler, 2025)


1932, Clarksdale, Mississippi. Smoke et Stack Moore, deux frères jumeaux, vétérans de la première guerre mondiale, reviennent au pays après avoir volé l'argent de la pègre de Chicago avec le projet d'acheter une ancienne scierie et d'ouvrir un bar. Leur cousin, Sammie, prodige de la guitare blues, se joint à eux contre l'avis de son père, un pasteur qui voit dans sa musique l'oeuvre du Malin.


Le pianiste Delta Slim est engagé pour jouer, les époux Chow pour assurer le service, Cornbread pour être le videur et Annie, l'ex-femme de Smoke pour préparer de quoi manger. Stack, lui, croise Mary avec qui il avait une liaison à Chicago et qu'il a quittée sans la prévenir de ses projets mais qu'il invite pour l'inauguration.


Le club ouvre comme prévu le soir-même et la musique de Sammie convoque le passé, le présent et le futur dans l'établissement où les invités semblent entrer en transe. Ses mélodies attirent Remmick et ses deux comparses qui se voient cependant refuser l'entrée par les frères Moore, pressentant leur aura maléfique. Ils l'ignorent mais ces intrus sont des vampires...


Après Black Panther et Black Panther : Wakanda Forever, Ryan Coogler s'offre une pause avant un troisième volet qu'il a prévu de tourner (mais sans qu'aucune annonce officielle de Marvel Studios n'ait été faite à ce sujet). A cette occasion, il retrouve son acteur fétiche de Creed, Michael B. Jordan, à qui il donne un double rôle.


Sinners est un vrai cocktail : une rasade de film noir, un zeste de Prohibition, une dose d'épouvante avec des vampires, avec même une touche de musical blues, il affiche ses ambitions dans un désordre qui illustre le manque de direction de Coogler qui semble surtout avoir voulu se faire plaisir tout en se démarquant de Jordan Peele (Get Out, Nope) à qui on le compare souvent (trop à son goût).
 

L'histoire prend son temps pour s'installer et le film s'en ressent avec ses 138'. Pourtant, cette mise en place est sans doute ce qu'il y a de meilleur au final. Filmé en 65mm, le cadre du Sud profond des Etats-Unis fait un décor de choix, magnifiquement mis en valeur par une photo très léchée et une profondeur de champ envoûtante.


On suit donc deux frangins, anciens de la première guerre mondiale puis gangsters à Chicago dont ils sont partis en douce en dévalisant la pègre locale pour ouvrir un club de blues réservé aux noirs. Ils acquièrent une scierie désaffectée à un membre du KKK et recrute musiciens, serveurs, cuisinière, videur, tout en distribuant des invitations et en renouant avec de vieilles connaissances.

Tout ça prend quasiment la première moitié du long métrage et on apprécie le soin avec lequel Coogler caractérise ses personnages, sans peur de flirter avec les clichés (bluesmen maudits, multiculturalisme, sensualité moite). On ne s'ennuie pas en compagnie de ces gens-là tout en pressentant que quelque chose de terrible va se passer et que tous ne s'en sortiront pas.

Lorsque Remmick, un vampire irlandais, surgit à la périphérie de ces événements et possède un couple de fermiers pour s'offrir un festin à peu de frais avec la clientèle des frères Moore, le film bascule dans l'épouvante, plus classique, mais néanmoins encore captivante. Là encore, le réalisateur-scénariste prouve que le meilleur est dans l'attente et il s'y entend pour faire monter la pression.

Le tout culmine dans une séquence qui, à elle seule, justifie l'existence du film : Sammie, le cousin des frères Moore, se met à chanter en s'accompagnant sur son dobro une mélodie blues ensorcelante. Les danseurs plongent dans une sorte de transe et soudain, au milieu de la piste, on voit apparaître un autre guitariste afro-futuriste, un griot africain et ses tambours, des geishas...

Coogler réussit ce moment magique plein d'anachronismes avec maestria, sa caméra, mobile, se faufile entre les acteurs et les figurants, la photo multiplie les effets hypnotiques, la musique est incroyable. Une véritable fièvre s'empare du film et on aurait aimé qu'elle ne disparaisse plus. Mais, la suite va faire descendre le niveau de quelques échelons.

Dans sa seconde partie, Sinners rejoue Rio Bravo avec des vampires qui attendent de s'introduire dans la club puis qui, une fois, à l'intérieur, y commettent un massacre face à une bande dépassée mais défendant chèrement sa peau. C'est très efficace, mais pas original pour un sou. Coogler ne parvient pas à injecter la moindre nouveauté dans cet exercice.

On a droit à des ripostes à coup d'eau bénite, de gousses d'ail, de crucifix, de pieux en bois dans le coeur des morts-vivants. La caméra, toujours aussi virevoltante, rend l'ensemble très plaisant et rythmée, mais ce western horrifique n'invente rien. Mieux vaut revoir Une Nuit en Enfer de Robert Rodriguez pour ça, qui est, en prime, plus marrant.

Le désordre guette et se confirme au point qu'on a le sentiment que Coogler ne sait plus où arrêter son propre film. On a même droit à une scène digne de Rambo avec fusillade vengeresse contre le KKK et un flashforward de nos jours, et si vous restez vraiment jusqu'au bout du générique de fin, il y a encore une scène bonus, complètement dispensable mais toutefois agréable à écouter.

Le casting est de tout premier ordre : Michael B. Jordan est saisissant dans le rôle des deux frères, faisant preuve d'assez de subtilité pour ne pas rendre sa performance trop appuyée. Delroy Lindo surjoue davantage son pianiste au bout du rouleau, mais il le fait bien. Le jeune Miles Caton (un choriste de la chanteuse H.E.R.) interprète lui-même ses numéros musicaux avec talent.

Néanmoins, aussi bons soient-ils, ils se font chiper la vedette par Jack O'Connell, impressionnant en vampire gourou ; Wunmi Mosaku en adepte de la sorcellerie ; et Hailee Steinfeld, sensationnelle dans le rôle de Mary. C'est bien simple, quand un de ces trois-là est à l'image, on ne voit plus que lui, avec une sensualité agressive et une présence imposante.

Ryan Coogler fait preuve de beaucoup de générosité, mais parfois qui trop embrasse mal étreint. Sinners, en étant plus concis et précis, aurait gagné énormément en intensité. Passée sa première partie, il s'éparpille un peu trop jusqu'à oublier de bien conclure. Dommage, mais subsiste un divertissement qui, à son top, vaut quand même le détour.

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