samedi 21 juin 2025

THE INSIDER (Steven Soderbergh, 2025)


L'espion George Woodhouse se voit accorder une semaine par son supérieur, Meacham, pour démasquer celui qui a laissé fuiter un logiciel nommé Severus capable de pirater une centrale nucléaire et de provoquer un accident. L'un des cinq suspects est sa propre femme, Kathryn, également espionne. Il invite les quatre autres potentiels traîtres à dîner.


Il y a Clarissa (qui s'occupe d'imagerie satellite), son amant Freddie (un bureaucrate qui vient de rater une promotion), James (celui qui a eu la promotion) et Zoe (une psychologue qui a une liaison avec James). George a drogué le dîner pour délier les langues mais n'apprend pas grand-chose si ce n'est les crises conjugales des uns et des autres. Le même soir que ce dîner, Meacham meurt, empoisonné, chez lui.


George se concentre d'abord sur sa femme, avec l'aide Clarissa, qui se déplace en mission à Zurich où elle rencontre un agent russe expatrié. Plus tard, il apprend par James qu'elle aurait détourné des fonds et les aurait placés sur un compte à Zurich. Puis leur chef, Stieglitz, révèle que l'agent à qui a été donné le logiciel pirate s'est échappé de sa planque au moment même où George surveillait Kathryn et qu'il va rentrer en Russie pour provoquer un attentat dans une centrale nucléaire...


Tout d'abord, encore une fois, notons la débilité profonde du distributeur français qui a jugé bon de traduire le titre original du film, Black Bag (le sac noir donc) par... Un autre titre anglais, The Insider. Pourquoi ? Je l'ignore, ça n'attirera pas plus de spectateurs, c'est grotesque, c'est stupide. Mais gageons que ce n'est pas la dernière fois que ça se produira.


Maintenant passons au film lui-même, qui est plus important. Steven Soderbergh est assurément le cinéaste le plus imprévisible du cinéma américain : il enchaîne les films à une vitesse folle sans jamais se répéter. Sa filmographie compte plus de cinquante références, sans parler des projets télé, depuis quatre décennies. Et, quelques mois à peine après Presence, voici donc The Insider.


Presence investissait le genre de l'angoisse en huis clos, The Insider revisite l'espionnage. Pour vous faire une idée de l'objet, disons que c'est l'anti Mr. & Mrs Smith (le nanar avec Bragelina, pas l'excellente série avec Maya Erskine et Donald Glover). Ici aussi on suit un couple d'espions mais aucun coup de feu ne sera échangé, sauf à la toute fin.


Mais The Insider est un film hybride comme les adore Soderbergh. Après tout qui mieux que celui qui a tourné Hors d'atteinte (mix de film de braquage et de romcom) peut se permettre de servir un cocktail qui tient autant du spy movie que du whodunnit policier ? Personne ne fait ça mieux que Soderbergh parce que, sans doute, il passe d'un genre à l'autre dans un même film en permanence.

Tout commence vraiment par un dîner dont on sait que les plats ont été drogués à dessein pour délier les langues des convives. C'est la méthode de George Woodhouse, un espion de bureau spécialisé dans les interrogatoires. Il a invité quatre de ses collègues plus sa femme pour tenter de démasquer celui/celle qui aurait donné à un agent étranger un logiciel capable de pirater celui d'un centrale nucléaire pour provoquer un accident aux conséquences épouvantables.

Mais le dîner ne donne pas de résultat convaincant, du moins en profondeur - car, en surface, George va apprendre quelques secrets savoureux sur les couples présents qui expliqueront bien des choses plus tard. Il change de stratégie ensuite pour procéder par élimination. Il va donc faire suivre sa femme, suspecte d'avoir trahi leur couple et l'agence de renseignements où ils travaillent.

Kathryn est une femme de terrain, qui se déplace donc fréquemment à l'étranger et s'apprête à aller à Zurich. George va découvrir qu'elle y rejoint un agent russe, puis qu'elle aurait détourné une somme faramineuse, puis que, pendant qu'il la surveillait, un autre agent russe, suspecté d'avoir acquis le logiciel, aurait quitté sa planque, profitant manifestement de n'être pas surveillé à cet instant.

Tout accuse Kathryn. Puis George quand Stieglitz, leur supérieur, fait le lien entre la fuite du russe et la surveillance à l'encontre de Kathryn, qui ressemble fort à une diversion opportune. Les époux comprennent qu'on s'est joué d'eux. Il est temps de répliquer, vite et fort, en se servant de ce qu'ils ont appris lors du dîner.

Ce scénario magnifiquement construit, d'une précision d'horloger, est l'oeuvre de David Koepp, une des meilleures plumes d'Hollywood (on lui doit, tiens tiens, le script du premier Mission : Impossible, entre autres choses). Tout est parfaitement clair et tordu en même temps. Comme le dira Clarissa : "tout le monde baise tout le monde tout le temps dans ce job." Une définition parfaite de l'espionnage.

Cette clarté dans le déroulement de l'intrigue aboutit à une mécanique huilée à la perfection. Soderbergh aime à dire qu'il ne veut pas que sa mise en scène se remarque, sauf s'il le veut. Ici, sa caméra évolue dans des décors froids, aseptisés, comme les bureaux de l'agence, un vaste open space, qui, malgré sa transparence, est le lieu de tous les mensonges, de toutes les fourberies.

Tout est caché au spectateur jusqu'à ce que le metteur en scène le décide et tout paraît évident alors qu'on s'aperçoit finalement, dans le dernier acte, que les héros ont été doublés. Face à cet univers où le calcul est roi, la meilleure réponse réside dans la provocation, la riposte frontale et directe. Leurs ennemis sont surpris, pris de court.

Mais, dans le même temps, comme je le dis plus haut, The Insider ne mise pas sur l'action et le spectacle. Un drone se chargera d'éliminer untel, et un seul coup de feu sera tiré. Le film refuse absolument les règlements faciles et peut donc frustrer. Mais on n'est ici plus proche de Ipcress : danger immédiat (Sidney J. Furie, 1965) que des James Bond.

L'interprétation est au diapason. Soderbergh a réuni un casting qui est volontairement convenu pour être sûr que chacun tiendra son rôle fermement et pour que le spectateur puisse savourer les performances. Michael Fassbender incarne ce George Woodhouse avec la mâchoire serrée et d'épaisses montures de lunettes (hommage appuyé à Michael Caine dans Ipcress justement), implacable et prêt à tout malgré tout pour sa femme.

Sa femme, c'est Cate Blanchett, qui est le feu quand il est la glace : elle campe une espionne qui tue plus sûrement en une réplique bien sentie qu'en dégainant un flingue, en regardant à chaque bien en face sa victime. Regé-Jean Page est parfait en arriviste, Tom Burke en raté, Naomie Harris en psy qui culpabilise trop, et Marisa Abela est prodigieuse en maîtresse jalouse et dépassée. Sans oublier Pierce Brosnan (ex 007), admirable en patron ombrageux.

Le cinéma de Soderbergh est très ludique, comme toujours. Il invite le spectateur à un jeu dont lui seul connaît les règles, et de ce point de vue, il est aisé de voir une sorte d'autoportrait de lui dans le personnage de George. Mais un cinéaste ne risque pas sa vie en racontant de telles histoires. Et The Insider est surtout un formidable exercice de style, jouissif en diable.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire