mardi 17 juin 2025

LE MENU (Mark Mylod, 2022)


Tyler Ledford a obtenu une table au restaurant du chef Johan Slowick sur l'île privée de Hawthorne. Il embarque avec Margot, une call-girl, sur un bateau qui le conduit sur place, en compagnie d'autres convives : une critique culinaire, son éditeur, un couple âgé, un acteur déclinant et son assistante, trois hommes d'affaires. Ils sont accueillis par Elsa, la maîtresse d'hôtel, véritable gardienne du temple, aimable comme une porte de prison.


Après avoir fait le tour de l'île et de ses installations (puisque tous les aliments utilisés par le chef sont produits sur place), les clients sont invités dans le saint des saints et prennent place à table. Slowick se présente de manière théâtrale en prévenant qu'ils ne vont pas rien manger, mais déguster, savourer, se délecter. Ce n'est pas à repas mais à une expérience qu'ils vont assister. Tout le monde est impressionné, sauf Margot que cette démonstration fait sourire.


A mesure que les plats sont servis, Slowick raconte des anecdotes de plus en plus scabreuses qui dévoilent de sordides secrets sur les clients. Un de ses sous-chefs se suicide sur son ordre pour une recette nommée "la débâcle". Une autre lui plante un couteau dans la cuisse parce qu'il l'a harcelée sexuellement. Quand les clients masculins sont invités à tenter de fuir, il devient clair que l'objectif de Slowick est de se venger de ceux qui lui ont ôté le plaisir de cuisiner...


On a tous nous petits plaisirs coupables, de ceux qu'on avoue avec un peu de honte dans la voix tout en les assumant crânement. Le mien, c'est Cauchemar en cuisine avec Philippe Etchebest, qui est une émission que j'apprécie de regarder. Je sais que c'est un programme caricatural, parfois racoleur, mais la personnalité charismatique d'Etchebest et ses tentatives pour sauver des restaurateurs en galère sont distrayantes.
 

Toutefois, après avoir regardé Le Menu, je me dis que s'il y a bien un chef que même Etchebest serait incapable de sauver, c'est bien ce Slowick complètement taré. Son restaurant propose une table à un tarif exorbitant (1250 $) qui fait se demander à Margot : "qu'est-ce qu'on mange pour ce prix ? Une Rolex ?". Et cette réplique très piquante informe le vrai sujet du long métrage.


Le script de Seth Reiss et Will Tracy est découpé en autant de chapitres que Slowick et sa brigade servent de plats à sa douzaine de convives. Mais Mark Mylod n'a pas le génie ni d'un Wes Anderson ni d'un Roman Polanski pour le dressage et malheureusement c'est pourquoi Le Menu manque un peu de saveur alors que c'est de la grande cuisine sur le papier.


Car on peut rêver de ce qu'aurait fait un metteur en scène avec plus d'idées visuelles ou une vision encore plus cynique d'un pareil récit. Ici, ce qui est épinglé, c'est tout le chichi qui s'est créé depuis quelques années autour de la cuisine des grands chefs devenus des stars des guide gastronomiques et des émissions télé.

Un sketch de l'humoriste Haroun raconte comment il invite la fille qu'il veut séduire dans un restaurant étoilé. Après avoir consulté la carte aux tarifs mirobolants, il espère que ce sera bon. Mais la vraie désillusion arrive quand on les sert : il n'y a pratiquement rien à manger dans l'assiette. Haroun s'exclame alors : "ce n'était pas un repas, c'était un échantillon !"

Et effectivement, comment ne pas rigoler quand on voit ces assiettes où ce qui est à manger peut être avalé en une bouchée ? Alors, oui, c'est peut-être divinement bon, admirablement dosé, recelant des saveurs exceptionnelles. Mais comme le dit ma mère, "c'est pas avec ça qu'on va se déboutonner". Et quand on vient manger, c'est quand même pour sortir de table un peu rassasié.

Ce qui a engendré une mode : désormais, les clients de ces restos photographient leur assiette comme s'ils voulaient immortaliser des oeuvres d'art. On peut se demander si le goût qu'aura le met est encore important tant que c'est bien dressé. C'est d'ailleurs la manie de Tyler, constamment ébloui par les plats grotesques de Slowick (comme celui où l'assiette ne contient que cinq gouttes de sauce).

Toute cette partie du film où on se moque de la grande cuisine, de la nouvelle cuisine, des intitulés des plats, du cérémonial du chef, du snobisme des clients, bref de cet élitisme absurde, est ce qu'il y a de meilleur. Mylod aurait pu aller tellement plus loin, plus fort toutefois qu'on reste un peu sur notre faim - c'est le cas de le dire...

Car l'autre partie de The Menu, c'est l'aspect intrigue criminelle. Le scénario finit par dévoiler que Slowick a convié ces gens-là en particulier pour un dernier dîner, non pour les honorer, mais pour se venger d'eux. Et chacun a droit à son traitement de faveur : la critique assassine, son éditeur complaisant, l'acteur qui a gâché une soirée de repos avec un de ses mauvais films, de vieux habitués qui se fichent de ce qu'ils mangent, et le jeune gastronome qui l'a harcelé pour avoir une table...

Parfois les raisons pour lesquelles Slowick décide de les faire payer sont un un peu trop capillotractées (l'acteur ou le vieux couple notamment), parfois réjouissantes (les trois yuppies qui ont détourné de l'argent du propriétaire du restaurant qui a ensuite voulu obliger le chef à choisir des aliments moins coûteux).

L'un dans l'autre, l'ensemble est tout de même bien équilibré, mais on se dit qu'avec moins de convives, ça aurait été encore plus féroce et concis, donc plus efficace. Et puis il y a Margot, qui ne devait pas être là, et qui va être à la fois le grain de sable et peut-être le salut de Slowick. Un personnage qui tient tête au charismatique cuistot, quand, étrangement, les autres subissent sans (trop) réagir.

Margot est interprétée par la toujours formidable Anya Taylor-Joy, qui lui donne à la fois une ironie, du sex appeal et du nerf. Ralph Fiennes surjoue Slowick avec un mélange de maniaquerie et de lassitude, mais c'est ce qu'on attend de l'acteur avec un tel rôle. Nicholas Hoult, du coup, échoue à crédibiliser son personnage acceptant trop de choses invraisemblables, même pour un fan inconditionnel.

Dans des seconds rôles, on remarquera Judith Light (l'ex-vedette de Madame est servie), hélas trop inexploitée dans le rôle d'une épouse qui comprend le piège dans lequel elle est tombée et l'infidélité de son mari ; ou John Leguizamo, pathétique à souhait en acteur ringard mais qui continue à jouer les stars.

Le Menu avait de quoi faire saliver, mais il lui manque un peu d'épices. Dommage, car le final est épatant et quand il critique le cirque de la grande cuisine, il promet énormément. Heureusement qu'il y a Anya et Ralph...

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