dimanche 10 mars 2024

LES VOYEURS (Michael Pohan, 2021)


Un jeune couple, Pippa et Thomas, emménagent dans leur nouvel appartement à Montréal. Leur vis-à-vis donne sur un meublé luxueux dans l'immeuble en face du leur, où habite un photographe et sa modèle à qui ils donnent les prénoms de Brent et Margot avant que ces derniers ne se mettent à faire l'amour passionnément. La scène les trouble durablement pour qu'ils continuent le soir suivant à les observer et à s'étreindre en le faisant.


Pippa travaille dans un cabinet ophtalmologique et, en rentrant du boulot, elle achète une paire de jumelles dans une boutique sur son chemin. Avec Thomas, elle remarque l'absence de "Margot" tandis que "Brent" reçoit d'autres modèles chez lui avec qui il finit invariablement par coucher. Pippa aimarait aussi écouter ce qu'il leur dit et profite d'une fête costumée qu'il donne pour placer un micro fourni par Thomas, compositeur de musiques pour des publicités. Quand "Margot" revient, elle se dispute avec "Brent" au sujet de son infidélité, même s'il nie tout.


Julia reçoit la visite de "Margot", qui s'appelle en vérité Julia, à son cabinet pour une consultation. Elles sympathisent assez pour convenir de se revoir. Mais quand Pippa explique à Thomas son intention de révéler à Julia les aventures de Sebastian (le vrai nom de "Brent"), il le lui déconseille, se sentant de plus en plus en mal à l'aise avec le fait de les épier. Malgré cela, Pippa envoie un message anonyme à Julia pour la prévenir et la situation dérape complètement quand le jeune femme met alors fin à ses jours. Ce n'est que le début du cauchemar pour Pippa...


Sydney Sweeney, c'est une des révélations de la série Euphoria et certainement celle qui a le plus profité du succès du show de Sam Levinson (avec Zendaya) pour s'en émanciper. Elle a très vite compris le parti qu'elle pouvait tirer de sa popularité en devenant productrice et en s'investissant dans le cinéma de genre, comme ici avec Les Voyeurs, puis récemment avec le carton de Tout sauf toi et prochainement Immaculate.


Les Voyeurs a l'ambition de remettre au goût du jour ce sous-genre qu'est le thriller sexy qui connut son apogée dans les années 90 après le triomphe de Basic Instinct de Paul Verhoeven. La question à se poser alors est : le cinéma en avait-il besoin ? Sous-entendu : The Voyeurs est-il à la hauteur ?


Sans dénigrer la production de Prime Video en la matière, la réponse est : non. On est très loin de ce qu'avait imposé Verhoeven et plus proche de Sliver de Philip Noyce, qui avait la même d'affiche avec Sharon Stone, comédienne de talent mais qui est restée prisonnière de son image de bombe sexuelle. Il faut espérer pour Sydney Sweeney qu'elle ne connaîtra pas le même destin que son aînée (qui ensuite ne s'est guère fait remarquer que dans Casino de Martin Scorsese).


Tout le film ici semble ne jamais pouvoir (vouloir ?) se détacher de ce que son actrice principale a à offrir de plus évident au public et qu'elle donnait déjà largement à voir dans Euphoria où elle campait une adolescente incapable de maîtriser sa sensualité. Sydney Sweeney est très belle, d'une volupté éclatante, mais ce n'est pas que ça : elle sait aussi faire preuve d'une sensibilité à fleur de peau, son jeu est nuancé. Hélas ! Ce n'est pas ce qui semble le plus inspirer Michael Mohan, scénariste et réalisateur du film.


L'intrigue fonctionne par intermittences et convoque des modèles bien trop prestigieux pour qu'on n'y pense pas. Quand on aborde le thème du voyeurisme, impossible de ne pas songer au chef d'oeuvre absolu en la matière que représente Fenêtre sur Cour d'Alfred Hitchcock, ou même Body Double de Brian de Palma un bon cran en dessous mais très amusant dans ses excès. On partage ainsi facilement au début le petit jeu malsain auquel s'adonnent Pippa et Thomas en épiant leurs voisins en face tout  en tiquant à quelques facilités grossières comme le fait que Sebastian tombe toutes le filles qu'il photographie dès qu'il se déshabille pour les shooter.

Ensuite, malheureusement, les choses se gâtent : le malaise grandissant de Thomas n'est pas assez creusé et il faut un drame pour qu'il éclate et sépare le couple qu'il forme avec Pippa. Pourtant, le scénario réussit improbablement à rebondir, délesté d'un personnage dont Michael Mohan ne savait visiblement pas quoi faire, pour se focaliser sur Pippa et sa fascination pou Sebastian. Malgré une scène de rencontre grotesque dans un bar avec des dialogues qui veulent choquer mais ne font que souligner l'artificialité du procédé (alors qu'il aurait été si simple que Pippa frappe à la porte du photographe pour lui demander une séance de shooting sous un prétexte quelconque) et une coïncidence vraiment énorme concernant les conséquences, on a droit à un twist (presque) final assez réussi et un dénouement en forme de vengeance terrible.

La réalisation ne permet pas non plus à The Voyeurs de prétendre rivaliser avec ses prédécesseurs dans le genre : comme souvent avec les films directement produits pour les plateformes (exceptions faites des cas qu'on trouve sur Netflix quand le géant du streaming héberge David Fincher, Jane Campion, les frères Coen), cela ne dépasse guère le niveau d'un téléfilm lambda.

Le casting ne vaut guère mieux. Justice Smith est pourtant un acteur sympathique mais son personnage est trop peu caractérisé. Ben Hardy, qui est censé incarner un tombeur machiavélique, manque par trop de charisme. Restent les deux filles : Natasha Liu Bordizzo est bien meilleure en manipulatrice et Sydney Sweeney donc joue sa partition avec beaucoup de franchise (mais elle serait bien avisée d'accrocher des cinéastes plus solides à son palmarès : à voir si, comme la rumeur courait, elle réussira à convaincre Edgar Wright de réaliser le remake de Barbarella qu'elle produit et dans lequel elle reprendra le rôle immortalisé par Jane Fonda).

Bref, le grand retour du thriller sexy, ce n'est pas encore pour tout de suite.

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