samedi 9 mars 2024

PRISCILLA (Sofia Coppola, 2023)


1959. Priscilla Beaulieu, 14, arrive à la base militaire sous commandement américain de Bad Nauheim en Allemagne où son père a été nommé. Elle y fait la connaissance, à une fête, d'Elvis Presley, qui effectue son service. Il se montre immédiatement intéressé par cette adolescente qui apaise son mal du pays. Inutile de dire que les parents de Priscilla sont très réticents quand il souhaite la revoir. Lorsque Elvis rentre au pays, la jeune fille est convaincue qu'il va l'oublier malgré ses promesses de garder le contact avec elle.


1962. Pourtant, Elvis rappelle régulièrement Priscilla et l'invite même à Graceland. Il lui envoie un billet aller-retour et appelle le père de la jeune fille pour le convaincre de ses bonnes intentions. Aux Etats-Unis, Priscilla fait la connaissance de la famille et des amis du King qui l'entraînent même durant un week-end à Las Vegas. Après quoi, elle doit rentrer en Allemagne, encore chavirée par cette expérience mais aussi et surtout très triste.


Elvis, cependant, est tombé amoureux et il souhaite désormais que Priscilla vienne vivre avec lui. Pour cela, il promet aux Beaulieu qu'elle fréquentera une école catholique où elle achèvera ses études secondaires et décrochera son diplôme. Le King est souvent absent, pour enregistrer ses disques ou pour des tournages de films. Mais quand il revient à Graceland, il remodèle Priscilla à son goût, l'obligeant à se teindre les cheveux, à se maquiller, à s'habiller avec des robes qu'il préfère.


Dans l'intimité, Elvis entretient une relation chaste avec Priscilla, préférant attendre le mariage et de toute façon déjà dépendant aux médicaments. Les tabloïds racontent les flirts qu'il aurait avec ses partenaires de tournage. Finalement, en 1967, ils se marient, puis ils ont une fille, Lisa Marie. En 1969, le King fait un come-back musical triomphal. Mais trop seule, délaissée, Priscilla se lasse et finit par quitter Graceland, sans être retenue, en 1971.


Ce résumé quasi-complet du film n'a pas pour objectif de spoiler ceux qui ne l'ont pas vu mais voudraient le voir après avoir lu cette critique. Simplement, l'histoire est connue de tous : il suffit d'aller consulter la biographie de Priscilla Beaulieu-Presley sur Wikipedia ou de lire son autobiographie, Elvis et moi (qui a servi de référence au script) pour être instruit.

Néanmoins, et c'est là tout l'intérêt du film, il ne s'agit pas d'un biopic classique. Déjà, la filmographie de Sofia Coppola permet de deviner qu'elle ne va pas livrer un produit formaté, surtout quelques mois après la sortie du Elvis de Baz Luhrmann en 2022, aussi exubérant que Priscilla est sobre. Il faut également préciser que contrairement à Luhrmann, Coppola, bien que soutenue par Priscilla Presley, ne l'a pas été par Lisa Marie Presley (morte en Janvier 2023) qui lui reprochait un portrait à charge de son père. Par conséquent, la réalisatrice n'a pas eu le droit d'utiliser les chansons du King ni de tourner à Graceland.

Mais de ces contraintes, elle a tiré un récit qui, comme d'habitude chez elle, sort de l'ordinaire, prend résolument le contrepied de la légende. Ses détracteurs pointent souvent le manque de consistance de ses longs métrages. Moi qui suis plutôt client de ce qu'elle filme, je n'ai pas ce reproche à lui adresser et j'aime beaucoup cette ambiance cotonneuse, éthérée, qui est encore une fois ici l'oeuvre.

Cette approche permet au film d'éviter tout sensationnalisme. On est donc vraiment à l'opposé du Elvis de Luhrmann. On suit Priscilla encore adolescente, tout gamine, qui rencontre la plus grande star de l'époque, un phénomène alors en pause obligatoire puisqu'il accomplissait son service militaire en Allemagne. En 1959, on à du mal à le concevoir aujourd'hui, mais Presley est le plus grand rockeur, la plus grande vedette du monde. Nous sommes avant l'émergence des Beatles, des Rolling Stones, de Bob Dylan. Sa popularité dépasse celle de Taylor Swift et Beyoncé réunies aujourd'hui.

 

Pourtant, dans sa caserne, il doute, il a peur qu'on l'ait oublié, que ses chansons ne soient plus diffusées à la radio, et quand il rencontre Priscilla, sa présence le rassure parce qu'elle lui garantit qu'au pays il est toujours plébiscité et surtout elle incarne cette Amérique qui lui manque. On peut presque penser qu'au début du film, Sofia Coppola se met dans la peau de son héroïne, fascinée par le King. Et puis quand il est démobilisé, cette fois, c'est parti, l'histoire de Priscilla commence vraiment. Et c'est une histoire de manque, de frustration, d'enfermement, presque comme Marie-Antoinette, mais avec Graceland à la place du château de Versailles.

Lisa Marie Presley n'avait pas totalement tort : le film ne flatte pas Elvis qu'il décrit comme un type assez médiocre, reprenant sa carrière dirigée par le fameux colonel Parker (qu'on ne voit jamais ici) mais en s'engageant pour de longues années dans des nanars cinématographiques. Il est clair qu'il trompe la jeune fille avec les starlettes à qui il donne la réplique (Nancy Sinatra, Ann-Margret) comme la presse à scandales s'en fait l'écho. Il ment mal en niant ses liaisons lorsqu'il tente de rassurer Priscilla.

C'est aussi un toxicomane pathétique qui prend des cachets pour s'assommer (plus que pour dormir) et d'autres pour se tenir éveillé quand il fait la fête sans discontinuer. Lorsqu'il épouse Priscilla et consomme enfin leur union, il n'est pas un amant irrésistible (le film suggère même qu'il est impuissant), et ensuite il est un père absent, sans attention pour sa fille.

Priscilla est donc une enfant d'abord captivée/capturée par la star Elvis, dont elle tombe amoureuse parce qu'il était au fond impossible de ne pas l'être - il était beau comme un dieu, poli, prudent, il la gâtait. Puis quand elle s'installe à Graceland, elle devient une prisonnière : cette grande maison à la décoration épouvantablement kitsch ressemble à une cage dorée où elle n'est pas chez elle (on lui interdit d'y emmener des copines de classe ou de trainer dans le parc pour éviter d'être photographiée par les paparazzis, mais Elvis la dissimule aussi pour que ses fans ne soient pas jalouses).

Après les sentiments, le désir charnel travaille la jeune fille mais Elvis refuse de la satisfaire avant le mariage. Recluse, elle ne trouve du réconfort qu'auprès de la grand-mère et de la soeur du King, sans être non plus très proches d'elles car Vernon, le père, estime qu'elle les dérange dans leur tâche (de cuisinière et de secrétaire). Sans avoir besoin d'insister, Sofia Coppola montre bien la pesanteur du quotidien pour cette gamine à peine sortie de l'adolescence et jamais libre d'être elle-même. Elle accepte son sort sans se plaindre d'abord, consentant à se teindre les cheveux en noirs et à adopter une coiffure grotesque, à s'habiller sans qu'on tienne compte de ses goûts, à se maquiller de manière trop chargée.

Mais l'ennui, que Coppola excelle à rendre palpable, à faire ressentir, la solitude, le désoeuvrement, pèse de plus en plus sur elle. Elle s'expose parfois aux éclairs de violence d'Elvis - il ne la frappe pas mais est à deux doigts de le faire, et il élève la voix quand il est à bout. Elle doit composer avec ça et on la voit se résigner tristement, s'étioler, son insouciance s'envole, son rêve se brise. 

Comme toujours avec les films de Sofia Coppola, même s'ils ne sont pas longs, il y a une sorte de ventre mou. Et on ne sait pas trop si c'est un véritable défaut ou si c'est le signe qu'elle parvient parfaitement à transmettre le sentiment de son héroïne que la vie s'enlise. Mais l'effet est saisissant. La photographie élégante, la mise en scène invisible et pourtant très maîtrisée, tout participe à cette langueur, comme si, à l'instar des personnages, le spectateur se sentait anesthésié jusqu'au sursaut (parfois tragique, parfois salvateur).

Récompensée par un prix d'interprétation au festival de Venise, Cailee Spaeny est la nouvelle pépite découverte par la cinéaste. Malgré ce sacre, elle ne fait pas partie des candidates pour l'Oscar de la meilleure actrice. Ce qui s'explique par son jeu très intériorisé au coeur d'un film lui-même tout en retenue, loin des performances spectaculaires des autres nominées. Mais elle est pourtant remarquable : sa transformation de l'adolescente à l'épouse à la mère à la femme qui reprend sa liberté est d'une subtilité stupéfiante. Face à elle, Jacob Elordi ne ressemble pas plus à Elvis que Spaeny à Priscilla (ou Austin Butler au King chez Luhrmann d'ailleurs), mais il campe la star avec un charisme indéniable, soulignant son aspect le plus pathétique avec brio. Et la différence de taille entre l'acteur et sa partenaire accentue aussi de manière presque comique celle qui distinguait cette gamine de cette icone.

Priscilla ne réconciliera pas Sofia Coppola avec ceux qui ne goûtent pas à son cinéma, mais c'est pourtant un film superbe, d'une délicatesse infinie et d'une lucidité méritoire.

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