vendredi 15 mars 2024

HELEN OF WYNDHORN #1 (Tom King / Bilquis Evely)

 

Années 30. Etats-Unis. Lilith Appleton est engagée comme gouvernante par Barnabas Cole qui la charge de retrouver sa petite fille, Helen, 16 ans, dont le père, Christopher, écrivain de romans fantastiques, vient de se donner la mort. Sa mission accomplie, la jeune fille découvre la somptueuse demeure de son grand-père... Et ses secrets...



Tous ceux qui ont lu la mini-série Supergirl : Woman of Tomorrow (DC Comics / Urban Comics) n'attendaient qu'une chose : que Tom King écrive un nouveau scénario que dessinerait Bilquis Evely. Et visiblement, l'auteur était aussi impatient que ses fans à l'idée de retrouver l'artiste - et réciproquement.


Récemment, pour un podcast revenant justement sur le succès de Supergirl : Woman of Tomorrow (qui sera adapté au cinéma), Tom King expliquait qu'il avait été si vivement impressionné par le travail par sa collaboratrice qu'il lui dit que, quelle que soit l'histoire qu'elle voudrait dessiner et l'éditeur chez qui elle voudrait la voir publier, il était prêt à se mettre à sa disposition.


Bilquis Evely montra alors à Tom King un carnet de dessins dans lequel elle griffonnait des croquis depuis des années. A partir de ces éléments, le scénariste imagina Helen of Wyndhorn comme un vêtement sur-mesure pour la dessinatrice et soumit le projet à Dark Horse Comics qui accepta de l'éditer.


Bien qu'encore très attaché à DC Comics (pour lequel il écrit la série Wonder Woman actuellement), Tom King se diversifie depuis la fin de son contrat d'exclusivité et désormais il place des projets chez Image Comics (Love Everlasting avec Elsa Charretier), Boom ! Studios (Animal Pound avec Peter Gross). On peut voir cela comme un prolongement de ce qu'il produisait pour le DC Black Label sauf qu'il s'agit de créations originales dont il détient les droits (avec l'artiste auquel il s'associe).

Amateur de littérature, même si cela lui vaut d'être parfois taxé d'auteur verbeux, King s'est visiblement inspiré des romans de Henry James, Daphné du Maurier mais aussi de Edgar Rice Burroughs au moment de développer l'intrigue de Helen of Wyndhorn. Celle-ci se déroule dans les années 30 aux Etats-Unis et nous présente Helen Cole, une jeune fille de 16 ans qui vient de perdre son père, qui s'est donné la mort. C.K. Cole était un auteur de romans fantastiques à succès très proche de sa fille qu'il emmenait partout avec lui. Barnabas, le père de C.K. et grand-père de Helen, recrute alors Lilith Appleton comme gouvernante afin de la retrouver et de reprendre son éducation en main dans sa gigantesque et fastueuse demeure.

Le décor évoque donc James, à qui l'on doit des ouvrages comme Le Tour d'écrou, et du Maurier, à qui on doit Rebecca (adapté au cinéma par Hitchcock). L'ouvre de C.K. Cole, elle, renvoie à celle de Burroughs, connu pour avoir créé Tarzan et John Carter of Mars. Ces éléments donnent au récit de King une saveur particulière dont il a intégré les codes parfaitement, avec notamment l'emploi d'une voix-off au langage très châtié (semblable à celle utilisée dans Supergirl : Woman of Tomorrow) et qui introduit une certaine distance pour rapporter les faits (c'est Lilith qui fait office de narratrice).

Helen est dépeinte comme une gamine à la dérive, noyant son chagrin dans l'alcool, indisciplinée, qui aspire à être aussi libre que l'était son père mais qui adopte aussi ce comportement pour se rebeller contre les autres adultes. Elle fuit sa gouvernante à la moindre occasion et insupporte le majordome, Joseph. On éprouve à la fois de la compassion pour elle face à l'épreuve qu'elle traverse mais on mesure aussi la difficulté à laquelle fait face Lilith, dont on salue le flegme.

L'élément fantastique survient par petites touches subtiles : quand Helen est victime d'insomnies à répétition et qu'elle cherche refuge dans la chambre de sa gouvernante qu'elle persuade de lui faire une place dans son lit parce qu' "il y a un monstre, là, dehors".  On considère cela comme un reste d'enfance et la peur des petits qu'il y ait une créature inquiétante qui est tapie dans l'ombre ou sous leur lit (l'idée à la base du film Monstres et compagnie). Mais en même temps Helen n'est pas une enfant, elle a seize ans et alors on s'interroge sur la possibilité que ce qu'elle raconte soit un effet de sa consommation excessive de vin. Enfin, la toute fin de l'épisode va révéler la vérité et entraîner les personnages et le lecteur dans une toute autre dimension. Si après ça, vous n'êtes pas hameçonné, alors je ne sais pas ce qu'il vous faut.

Tom King n'est pas le seul à avoir découvert quelle prodigieuse dessinatrice est Bilquis Evely, mais il est vrai que le succès de Supergirl : Woman of Tomorrow l'a révélé aux yeux d'un public plus large que ses productions précédentes (notamment, avant cela, la série The Dreaming, appartenant à l'univers du Sandman de Neil Gaiman). Et il est certain que beaucoup qui attendaient de savoir ce qu'elle ferait ensuite liront Helen of Wyndhorn d'abord pour renouer avec le charme magique de ses planches.

Evely travaille à l'ancienne : dans un monde où tous les artistes (ou presque) se sont convertis au numérique, à la tablette graphique, elle dessine au crayon, encre avec une plume et un pinceau et le résultat a cette texture unique. Le luxe de détails de chacune de ses cases, la majesté de ses splash-pages, a quelque chose de proprement divin, exhalant une vraie poésie, comme venue d'un autre âge. Ci-dessus, vous pouvez admirez la demeure de Barnabas Cole et c'est le genre d'image sur laquelle on peut faire un arrêt de plusieurs longues minutes tant elle est à la fois impressionnante et somptueuse.

Mais Evely soigne aussi ses personnages qui possèdent tous une classe, une élégance incroyables. L'époque du récit, les costumes qui vont avec, les coiffures, tout cela est vraiment parfait : plus d'une fois là encore on est subjugué par la beauté de son trait, magnifié par les couleurs de son partenaire Matheus Lopes. Il y a fort à parier que Helen of Wyndhorn sera non seulement une mini-série mémorable mais surtout une des plus belles de 2024.

Que dire de plus ? J'ai adoré, je suis comblé. Et j'ai hâte de découvrir ce que la suite de cette histoire réserve.
   
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Ce premier n° est disponible avec plusieurs magnifiques variant covers :

Massimo Carnevale
Elsa Charretier
Tula Lotay
Clay Mann
Walter Simonson
Greg Smallwood

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