jeudi 21 mars 2024

ARGYLLE (Matthew Vaughn, 2023)


Elly Conway vient de publier le quatrième tome de la série d'espionnage Argylle et achève la rédaction du suivant. Elle envoie une copie à sa mère Ruth qui le dévore en une nuit et la rappelle pour lui dire que la fin l'a frustrée et mériterait un chapitre supplémentaire. Mais Elly n'a pas d'idée...


Elle prend donc le train pour aller chez ses parents en espérant que l'inspiration viendra. Un homme, Aidan Wilde, l'aborde  en lui disant qu'il est un grand fan de sa saga d'espionnage puis lui révèle qu'il est lui-même un agent secret venu pour la sauver des passagers qui occupent le compartiment. Après un affrontement, Aidan réussit à exfiltrer Elly et ils prennent un jet privé pour Londres.
 

Là-bas, il lui explique que ses livres anticipent des situations réelles et qu'une organisation, la Division, veut mettre la main sur elle pour anticiper ce qui va se produire contre eux. Des tueurs envoyés par l'ennemi débarquent et une fois encore Aidan sauve Elly qu'il conduit dans une planque. Mais alors qu'il passe dans la salle de bain, elle surprend un échange téléphonique inquiétant et décide de fuir, donnant rendez-vous à ses parents dans le palace où ils passèrent leur nuit de noces dans la capitale anglaise.


Aidan resurgit et assomme le père de Elly et tue sa mère, prétendant qu'ils sont les chefs de la Division. De nouveaux tueurs vont arriver et Elly choisit de suivre Aidan qui l'emmène en France. Il lui présente Alfie, l'ex-directeur de la C.I.A. dont la carrière a été compromise par la Division et qui va révéler à la romancière un étonnant secret la concernant...


Prévu pour être le premier volet d'une franchise ambitionnant de combler l'absence de James Bond (qui attend le successeur de Daniel Craig pour incarner l'agent 007), Argylle s'est complètement ramassé au box office et son réalisateur Matthew Vaughn a dû faire son deuil de ses grands projets. Mais d'une certaine manière, il y a une morale à ce bide...
 

Comme tout bon film d'espionnage, le thème central de Argylle est le mensonge - d'ailleurs l'accroche prévenait : "The greater the spy, the bigger the lie" (soit : "meilleur est l'espion, plus grand est le mensonge"). Matthew Vaughn a voulu jouer au plus malin en épiçant sa proposition d'une couche méta-textuel où le spectateur aurait droit à James Bond et son commentaire ironique. Et ce fut son erreur car si le public aime qu'on le mène par le bout du nez (si tant est qu'un twist de qualité soit au bout du chemin), il déteste qu'on lui mente et qu'on le trompe sur la marchandise pour laquelle il paie.


Quand les bandes annonces de Argylle ont commencé à circuler, la promesse d'un film riche en action était faite. Mais absolument rien ne pouvait préparer quiconque à la manoeuvre malhonnête employée par Vaughn et ses scénaristes, à savoir que non, on n'allait pas avoir un spy movie avec Henry Cavill dans un rôle de super espion (l'acteur a longtemps figuré parmi les favoris des fans pour reprendre le matricule 007).

En vérité, Cavill n'apparaît que peu dans Argylle et le voir au centre de l'affiche est encore un autre mensonge. C'est bien Bryce Dallas Howard et Sam Rockwell qui tiennent les premiers rôles du film car Argylle repose sur une mise en abyme : l'espion est en fait une création romanesque et son modèle n'a rien d'une séduisante armoire à glace. 

Pourquoi pas ? Me direz-vous. Et c'est vrai que pendant à peu près une heure (sur les 2h. 20 que dure le film), ça fonctionne de manière assez jubilatoire - preuve que tout n'est pas non plus à jeter. Vaughn peut alors faire étalage de son génie filmique avec des plans où Cavill et Rockwell échangent leur place sans qu'on puisse déceler la transition et tout ça avec une énergie jouissive qui rappelle les meilleurs moments de Kingsman (un des précédents opus de Vaughn, adapté du comic-book de Mark Millar). Bryce Dallas Howard voit son héros et celui qui l'a inspiré sans plus distinguer ce qui relève du fantasme et de la réalité. Le procédé est très drôle et brillamment exploité.

Puis Cavill disparaît quasi-complètement et toute l'astuce du récit (Aidan Wilde est l'inspiration de l'agent Argylle) fait place à un récit beaucoup plus laborieux, coïncidant avec une baisse très nette du rythme de la narration. Le pire est à venir et le film ne s'en remettra jamais, mais je ne vais pas spoiler, juste vous prévenir que Elly Conway n'existe pas davantage que Argylle et que Bryce Dallas Howard doit alors composer un tout autre personnage...

Mais, et c'est bien là le coeur du problème, l'actrice, au demeurant sympathique et bien dirigée, bien choisie jusque-là, n'est pas du tout crédible dans cette nouvelle partition. Vaughn s'en fiche, il fonce bille en tête, convaincu semble-t-il qu'il a les moyens de faire passer la pilule avec un déferlement de scène spectaculaires jusqu'au grotesque, une pincée de romance ridicule. Bref, en optant pour la farce, le pastiche.

Là encore : pourquoi pas ? Mais à force de multiplier les chausse-trappes, les fausses pistes, les retournements de situations, on se lasse et même la réalisation ne peut rattraper un spectateur qui a lâché prise. Je rappelle que tout ça dure quand même 2h. 20 : c'est long - et je ne souscris pas du tout au discours en vogue chez certains cinéastes anglo-saxons actuels (comme Christopher Nolan et Denis Villeneuve) que le public réclame des longs métrages de 3h. - , trop long, ça n'en finit pas de finir.

Beaucoup de films modernes souffrent de leurs montages : une histoire a un équilibre. Et si elle s'étire déraisonnablement en longueur, ça ne veut pas dire qu'elle est plus épique, plus ambitieuse, plus spectaculaire : elle devient ennuyeuse, pénible interminable. Aujourd'hui, il s'agit souvent de faire des films longs comme si c'était un moyen de dire au public : "vous en aurez pour votre argent car ça dure longtemps". Sauf qu'on paie d'abord sa place au cinéma pour voir un bon film, pas pour rester obligatoirement enfermé pendant plus de 2h. dans une salle. Parfois en  1h. 30, on fait une expérience cinématographique bien plus intense ou simplement bien plus plaisante.   

C'est peu dire en tout cas que Argylle est une déception. Mais comme je l'écris plus haut, et ce sans méchanceté ni aigreur, son échec est à mon avis mérité. Pour le dire crûment : on a pris les gens pour des cons. Si la promotion avait été plus honnête, peut-être que ça n'aurait pas davantage marché au box office (parce que franchement qui a envie de voir un film d'action avec Bryce Dallas Howard et Sam Rockwell ? Leur talent n'est pas en cause, simplement leur crédibilité dans ce genre), mais au moins on aurait sur où on mettait les pieds. Là, on nous a promis Henry Cavill, Dua Lipa, John Cena qui traversent la toile comme des fantômes.

Je ne me réjouis pas de cette déconfiture, mais j'espère que ça servira de leçon à tout le monde (Vaughn le public). De quoi attendre avec impatience The Fall Guy, qui joue nettement plus cartes sur table....

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