mercredi 27 mars 2024

PAST LIVES (Celine Song, 2023)

 

Séoul, Corée du Sud. 2000. Na Young et Hae Sung sont deux adolescents fréquentant le même collègue. Souvent en compétition, ils sont néanmoins toujours là l'un pour l'autre. Jusqu'à ce que les parents de Na Youg émigrent au Canada et qu'elle perde le contact avec son ami. Là-bas, elle change son nom en Nora Moon.


2012. Hae Sung termine son service militaire et pense toujours à Na Young après toutes ses années. Nora découvre par hasard sur Facebook qu'il la cherche. Elle reprend contact avec lui et ils communiquent par Skype. Leurs échanges deviennent de plus en plus fréquents, malgré le décalage horaire, mais ils ne peuvent se rendre visite. En effet, Nora s'apprête à partir à Montauk dans une résidence d'artistes tandis que Hae veut aller en Chine perfectionner son mandarin, ce qui est utile pour ses études d'ingénieur. Finalement, Nora préfère en rester là car elle souhaite se consacrer à l'écriture et à sa nouvelle vie à New York. Peu après, elle rencontre Arthur Zaturansky, un romancier, tandis que Hae fréquente une jeune fille.



2024. Nora et Arthur sont mariés depuis sept ans. Hae a quitté sa copine et veut partir à New York en vacances mais aussi dans l'espoir de revoir Nora. Le couple de Nora résistera-t-il à cela ?



Past Lives (Nos Vies Passées ainsi qu'il a été parfois traduit) est le premier film de Celine Song et elle a puisé dans sa propre expérience pour l'écrire. On a donc droit à un récit semi-autobiographique, ce qu'on peut facilement deviner en appréciant la sensibilité avec laquelle la cinéaste raconte cette histoire.

 


On a en vues, de romances contrariées par le temps qui passe, les différences de caractères des personnages, et bien d'autres péripéties, souvent déclinées sur le ton de la comédie romantique - le plus célèbre exemple étant sans doute Quand Harry rencontre Sally. Sauf qu'ici, sans verser dans le drame, l'argument ne prête pas à rire et explore en finesse les destins croisés d'une femme et d'un homme qui passent vingt ans loin de l'autre et ne savent plus quoi se dire quand ils se retrouvent.



Par certains de ses aspects narratifs, Past Lives convoque les clichés du petit film indépendant - c'est d'ailleurs une production A24. Et à ce sujet, avant de l'avoir vu, j'étais tombé sur une vidéo très marrante et instructive sur la signature bien particulière des longs métrages issus de ce studio, qui, comme la Warner dans les années 40-50, a véritablement imprimé son style en choisissant les auteurs qu'il finance.

L'un des marques les plus distinctives des productions A24, c'est le récit subjectif, le character's driven. Toute l'histoire est racontée du point de vue d'un ou des personnes principaux, pas de narration omnisciente. Ce qu'on voit, ce à quoi on assiste, c'est ce que lui/elle ou eux voient, expérimente. Ici, la majorité du film est narrée du point de vue de Na/Nora, une jeune Sud-coréenne qui a quitté son pays adolescente pour suivre ses parents au Canada puis s'est installée, une fois adulte, à New York.

C'est elle qui découvre, par hasard, que son ami d'enfance, Hae, la cherche, douze ans après leur séparation, sur Facebook. C'est encore elle qui prend l'initiative de le rappeler et d'entretenir une sorte de correspondance 2.0 via Skype au cours de laquelle, timidement, maladroitement, ils se rappellent leur passé commun, mais évoquent aussi la soudaineté de leur éloignement, prennent conscience de leurs différences depuis tout ce temps. Et, ce faisant, sentent un trouble s'emparer d'eux.

Bien entendu, le spectateur, lui, sait qu'ils sont amoureux depuis l'enfance et que leurs retrouvailles, même par écran interposé, le leur révèlent. Mais Celine Song manie les sentiments avec une pudeur infinie, parfois même avec une distance frustrante, et donc ses héros n'expriment pas ce qu'ils ressentent verbalement. Les silences, les non-dits, en disent plus long que les paroles.

Découpé en trois actes, trois époques, trois années, le film trouve son climax dans son dernier tiers lorsque Hae Sung se rend à New York en congé mais en prévenant Nora de son arrivée. Nora, qui s'est mariée entre temps, est heureuse en couple, épanouie professionnellement - bref : qui n'a aucune raison de changer de vie, même pour celui qu'elle a aimé enfant et jeune femme. Mais évidemment rien n'est si simple.

D'abord : qu'en pense son mari, un romancier juif qui craint de ne pas faire le poids face à ce jeune homme séduisant, discret, parlant mal l'anglais ? Ensuite : même si Nora ne craque pas, que se passera-t-il une fois que ce visiteur sera reparti ? Je ne vais évidemment pas vous le dire (d'autant que pour la deuxième question, le film laisse tout en suspens), mais ce que je peux assurer en revanche, c'est que la scène finale est bouleversante. D'autant plus poignante qu'elle se passe de mots, tout se joue dans les regards, avec une force rare, quasiment en plan-séquence. Il n'en faut pas beaucoup pour qu'on ait la larme à l'oeil.

Comme lovés par la caméra caressante de la réalisatrice, les trois acteurs principaux n'ont pas à livrer des "performances" - au contraire, ils doivent composer avec subtilité des individus que le passé rattrape et vient déranger dans leurs certitudes. John Magaro a la partition la plus ingrate, celle du mari américain qui redoute le plus tout en ne voulant pas passer pour le méchant de l'histoire, et il est impeccable. Teo Yoo est également fantastique dans le rôle de Hae, qui parvient à faire passer de manière minimaliste une foule d'émotions trop longtemps contenues. Enfin, Greta Lee traduit superbement la gêne de Nora qui est celle qui est partie pour l'un et est restée pour l'autre, totalement désarmée par le fait de revoir Hae alors qu'elle semble si solide, si bien ancrée, intégrée.

Past Lives est un vrai bijou et il faudra désormais surveiller Celine Song. Après de tels débuts, elle s'affirme comme un auteur très prometteur.

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