L'un des marques les plus distinctives des productions A24, c'est le récit subjectif, le character's driven. Toute l'histoire est racontée du point de vue d'un ou des personnes principaux, pas de narration omnisciente. Ce qu'on voit, ce à quoi on assiste, c'est ce que lui/elle ou eux voient, expérimente. Ici, la majorité du film est narrée du point de vue de Na/Nora, une jeune Sud-coréenne qui a quitté son pays adolescente pour suivre ses parents au Canada puis s'est installée, une fois adulte, à New York.
C'est elle qui découvre, par hasard, que son ami d'enfance, Hae, la cherche, douze ans après leur séparation, sur Facebook. C'est encore elle qui prend l'initiative de le rappeler et d'entretenir une sorte de correspondance 2.0 via Skype au cours de laquelle, timidement, maladroitement, ils se rappellent leur passé commun, mais évoquent aussi la soudaineté de leur éloignement, prennent conscience de leurs différences depuis tout ce temps. Et, ce faisant, sentent un trouble s'emparer d'eux.
Bien entendu, le spectateur, lui, sait qu'ils sont amoureux depuis l'enfance et que leurs retrouvailles, même par écran interposé, le leur révèlent. Mais Celine Song manie les sentiments avec une pudeur infinie, parfois même avec une distance frustrante, et donc ses héros n'expriment pas ce qu'ils ressentent verbalement. Les silences, les non-dits, en disent plus long que les paroles.
Découpé en trois actes, trois époques, trois années, le film trouve son climax dans son dernier tiers lorsque Hae Sung se rend à New York en congé mais en prévenant Nora de son arrivée. Nora, qui s'est mariée entre temps, est heureuse en couple, épanouie professionnellement - bref : qui n'a aucune raison de changer de vie, même pour celui qu'elle a aimé enfant et jeune femme. Mais évidemment rien n'est si simple.
D'abord : qu'en pense son mari, un romancier juif qui craint de ne pas faire le poids face à ce jeune homme séduisant, discret, parlant mal l'anglais ? Ensuite : même si Nora ne craque pas, que se passera-t-il une fois que ce visiteur sera reparti ? Je ne vais évidemment pas vous le dire (d'autant que pour la deuxième question, le film laisse tout en suspens), mais ce que je peux assurer en revanche, c'est que la scène finale est bouleversante. D'autant plus poignante qu'elle se passe de mots, tout se joue dans les regards, avec une force rare, quasiment en plan-séquence. Il n'en faut pas beaucoup pour qu'on ait la larme à l'oeil.
Comme lovés par la caméra caressante de la réalisatrice, les trois acteurs principaux n'ont pas à livrer des "performances" - au contraire, ils doivent composer avec subtilité des individus que le passé rattrape et vient déranger dans leurs certitudes. John Magaro a la partition la plus ingrate, celle du mari américain qui redoute le plus tout en ne voulant pas passer pour le méchant de l'histoire, et il est impeccable. Teo Yoo est également fantastique dans le rôle de Hae, qui parvient à faire passer de manière minimaliste une foule d'émotions trop longtemps contenues. Enfin, Greta Lee traduit superbement la gêne de Nora qui est celle qui est partie pour l'un et est restée pour l'autre, totalement désarmée par le fait de revoir Hae alors qu'elle semble si solide, si bien ancrée, intégrée.
Past Lives est un vrai bijou et il faudra désormais surveiller Celine Song. Après de tels débuts, elle s'affirme comme un auteur très prometteur.
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