jeudi 14 mars 2024

DRIVE-AWAY DOLLS (Ethan Coen, 2024)


Philadelphie. 1999. Un homme nommé Santos attend nerveusement quelqu'un dans un bar en serrant contre lui une mallette métallique. Il sort du bar et le barman le poursuit jusque dans une impasse où il le tue, le décapite et lui prend la mallette.


Sukie, une jeune agent de police, décide de rompre avec Jamie, sa copine infidèle. Celle-ci trouve dans une soirée Marian qui lui raconte son projet d'aller voir sa tante à Talahassee en Floride. Jamie veut l'accompagner pour voir du pays et coucher avec un maximum de filles en chemin. Pour ce voyage, elles se rendent chez Drive-away Curlie pour louer une voiture qu'elles devront en échange livrer à un client à Talahassee.


Juste après le départ des deux filles, trois criminels - le Chef, Arliss et Flint - arrivent à leur tour chez Curlie pour réclamer la voiture qu'il vient de louer et qu'ils avaient pourtant réservée. Alors qu'elles arrivent en Floride, Jamie et Marian sont victimes d'une crevaison. Elles vont chercher la roue de secours dans le coffre de la voiture.


Elles trouvent sous la roue la mallette métallique subtilisée à Santos et la tête de ce dernier dans un carton à chapeau rempli de glace carbonique. Marian est affolée mais pas Jamie qui veut en savoir plus sur le contenu de la mallette. Alors qu'elles font une halte dans un diner, elles l'ouvrent et font une découverte inattendue qui va donner de nouvelles idées à Jamie au grand dam de Marian. 


Mais les deux jeunes femmes sont loin de se douter que le Chef a envoyé à leurs trousses Arliss et Flint qui suivent leurs traces grâce aux achats qu'elles paient avec leurs cartes de crédit...


Depuis 2018 et La Ballade de Buster Scruggs qu'ils avaient réalisé pour Netflix, les frères Coen se sont séparés pour se consacrer à des projets en solo. Joel Coena ainsi réalisé une adaptation de Macbeth (qui a fait un bide comme toutes les autres, confirmant ainsi la malédiction autour de cette pièce de Shakespeare). Ethan Coen, lui, a choisi avec Tricia Cooke, sa femme, scénariste, monteuse et productrice de se consacrer à un curieuse trilogie de thrillers lesbiens dont Drive-Away Dolls est le premier volet.


De leur propre aveu, leurs derniers films ensemble ont été des mauvaises expériences, difficiles à monter. Pour Ethan Coen, filmer était devenu un travail ennuyeux dans lequel il ne s'épanouissait plus, d'où la décision prise d'un commun accord avec Joel de se séparer, au moins pour un temps. Mis en perspective, ce choix explique facilement la génèse de Drive-Away Dolls, un petit film avec un budget réduit et des ambitions moindres mais surtout conçu pour se faire plaisir.


Pensé comme un hommage aux films d'exploitation des années 60-70 et notamment aux longs métrages de Russ Myer (Faster, Pussycat ! Kill ! Kill !, Vixens), le film suit donc l'aventure de deux jeunes femmes qui n'ont en commun que la sexualité (elles sont toutes deux homosexuelles) et qui vont se trouver mêlées à une affaire rocambolesque et comique.

Et cela a comme régénéré Ethan Coen qui s'est visiblement beaucoup amusé avec sa femme à imaginer cette intrigue farfelue, assumant son côté série B, et renouant avec la formidable vitalité des premiers films (Sang pour sang, Arizona Junior) qu'il mit en scène avec son frère. Tout ce qu'il a appris comme auteur lui permet en plus de tourner ça avec une grande maîtrise.

Formellement, il ose ainsi des apartés psychédéliques dont le spectateur comprendra le sens dans la dernière partie. On y voit Miley Cyrus dans le rôle de Tiffany Plastercaster dont l'occupation préféré, en dehors de coucher avec de jeunes hommes, est de faire des moulages de leur pénis pour garder un souvenir d'eux - et on saisit alors pourquoi le titre original du film était Drive-Away Dykes (Bites en cavale) que Coen et Cooke ont préféré abandonner, sachant qu'il condamnerait leur oeuvre à n'être pas projeté dans certains Etats américains conservateurs. 

Comme toujours en revanche avec les Coen, on a droit à des personnages haut en couleur, en particulier les deux héroïnes et la galerie de seconds rôles. Jamie est une fille décomplexée qui assume son homosexualité et ses désirs - cela motive d'ailleurs son envie d'accompagner Marian : leur road-trip lui offrira des rencontres et des aventures d'un soir. Marian en revanche est plus coincée et cela lui vaut de ne pas avoir eu de relations sexuelles depuis une paie parce qu'elle refuse d'être considérée comme une fille facile mais surtout parce qu'elle appréhende de coucher à nouveau avec quelqu'un. Elle veut donc aller à Talahassee en Floride pour se ressourcer auprès de sa tante à laquelle elle cache qu'elle est lesbienne.

Les interactions entre Jamie et Marian fournissent déjà au scénario son lot de situations hilarantes et de dialogues savoureux. Le duo fonctionne idéalement sur un registre à la fois (dé)culotté et pince-sans-rire, et des scènes comme la soirée avec l'équipe de football féminin ou la nuit ou les deux filles partagent leur lit à l'hôtel El Conquistador sont absolument irrésistibles. Ethan Coen ne cède cependant jamais à la facilité et exhibant ses actrices, en les "objetisant" ou en se moquant d'elles. Au contraire, il les filme avec infiniment de tendresse et capte leur complicité mais aussi leurs moments d'embarras ou de frayeur avec une sincérité qui ne saurait être remise en cause.

Aux trousses des deux filles, on trouve des hommes mal intentionnés qui ne chassent pas pour profiter d'elles mais bien pour récupérer un butin. Là encore, tout le savoir-faire dans l'écriture de Ethan Coen donne au film un goût unique. Les méchants sont plus bêtes que cruels ou violents et c'est un régal permanent de les voir se faire mener en bateau, avoir un train de retard ou de se prendre le bec sur la bonne manière de résoudre un problème. C'est aussi l'occasion pour les auteurs de se payer, malicieusement, la tête des conservateurs républicains de l'Etat de Floride via le personnage du sénateur Channel.

Le casting est donc essentiel pour parachever la réussite de cette drôle d'entreprise et c'est un sans faute. Tandis que Pedro Pascal perd vite (littéralement) la tête, Matt Damon a droit à deux scènes croquignolesques. Colman Domingo incarne un gangster dont le surnom contredit l'autorité qu'il a sur ses sbires, deux abrutis absolus. Et Beanie Felstein est déchaînée en fille plaquée et policière à la gâchette facile.

Mais évidemment, ce sont les deux "poupées" du titre qui sont les grandes gagnantes à la fin : d'un côté, Margaret Qualley est juste fabuleuse en fille jouisseuse et intrépide face à Geraldine Vishwanathan, véritable révélation (elle vient de la télé où elle s'est faite remarquer dans la série Miracle Workers), campe sa meilleure amie constamment dépassée par les événements. A elles deux, elles forment déjà un des couples phares de 2024 - et si j'ai bien compris, elles seront dans les deux prochains films de la trilogie - dont l'alchimie à l'écran est renversante.

Vous avez envie d'un vrai feel-good movie : ne cherchez plus et regardez Drive-Away Dolls !

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