lundi 25 mars 2024

MON CRIME (François Ozon, 2023)


Paris. 1935. Madeline Verdier, jeune et jolie comédienne cherchant à percer, et Pauline Mauléont, avocate au barreau sans client, partagent une chambre sous les toits. Madeline fréquente André Bonnard, fils du propriétaire d'une manufacture de pneus dont le père refuse qu'il se marie avec elle car il refuse qu'il prenne sa succession.


Le producteur de théâtre Montferrand meurt, assassiné chez lui, tué d'une balle dans la tête. Le juge Rabusset a deux suspects : son mai, l'archetecte et maître d'oeuvre Palmarède, qui avait acheté la maison de la victime en viager et fait donc une économie substantielle ; et Madeleine, qui avait rendez-vous avec le défunt qui souhaitait lui offrir un rôle dans une pièce.


Palmarède a un alibi imparable (il déjeunait avec Rabusset en compagnie de leurs épouses). Madeleine, en revanche, est la suspecte idéale pour l'inspecteur Brun et le juge qui voit là un crime passionnel. Comprenant qu'elle peut s'en tirer si la légitime défense est retenue, elle avoue le crime et prend Pauline pour avocate.


Le procès est l'occasion pour Pauline et Madeline de condamner l'oppression des femmes par le patriarcat car Montferrand aurait voulu violer la jeune comédienne. Le jury, sensible à cet argument, acquitte la jeune femme au grand dam des hommes présent au tribunal mais sous les applaudissements des femmes venues la soutenir. Affaire classée ? 


Pas du tout ! En vérité, à ce stade de l'histoire, on n'est qu'à la moitié du film (soit une cinquantaine de minutes sur la centaine qu'il dure). Mais il serait, justement, criminel d'en dire plus... Le cinéma français offre peu l'occasion de se réjouir, toujours pris entre la guerre des auteurs célébrés par une partie de la critique mais boudé parfois par le grand public, et le reste de la production hexagonale, dominé par les comédies méprisées par l'intelligentsia, souvent avec raison mais fêtées en salles.


En vérité, les choses n'ont pas évolué depuis l'avènement de la "Nouvelle Vague", les anciens et les modernes, les films d'auteurs et leurs pendants populaires. Et c'est ce qui fait que des gens comme moi, ne voulant pas choisir ni subir, désertent les salles quand les longs métrages français sont à l'affiche, préférant s'évader dans ce qu'offrent les Etats-Unis principalement, comme on s'envole pour une destination exotique sans garantie cependant que le séjour sera plus réussi.
  

Il existe bien quelques noms qui, pourtant, font fi de tout cela et permettent au cinéphile de trouver de quoi se satisfaire ici. Et François Ozon est l'un d'eux : auteur célébré et populaire à la fois, très productif et jamais là où on l'attend, changeant de genre ("un film en réaction au précédent" comme disait Truffaut), fuyant l'ennui, la répétition et donc surprenant sans cesse le spectateur.

Mon Crime est son dernier né et c'est une réussite éclatante et jubilatoire. Ozon y adresse un hommage virtuose et amusé au cinéma des années 30 avec cette histoire criminelle sur des opportunistes. Le résultat ne cherche pas à cacher que le matériau d'origine est une pièce de théâtre (de Georges Berr et Louis Verneuil) avec ses péripéties à foison, ses quiproquos, ses énormités, ses personnages caractérisés à gros traits.

Visuellement, la production est très léchée mais sans excès, juste ce qu'il faut pour que l'on soit dans le bain de l'époque (Paris, 1935). Le rythme est très soutenu, tellement parfois qu'on se demande justement, à mi-parcours, ce qu'il va rester à raconter, comment l'intrigue va rebondir. Mais avec son co-scénariste Philippe Piazzo, Ozon prouve qu'il a toujours un incroyable ressort, le sens de la répartie et surtout un contagieux plaisir à raconter des histoires sérieusement mais sans se prendre au sérieux.

Tout, ainsi, dans Mon Crime sent le travail bien fait mais jamais amidonné. La part d'hommage ne fait pas de l'histoire un exercice de style poussiéreux mais au contraire une oeuvre ludique. Car on voit que le réalisateur s'est aussi nourri des comédies classiques américaines : par exemple, son montage n'est pas haché pour accélérer la cadence. Ozon a compris que le secret de la comédie, c'est que c'est à ses interprètes d'imprimer le tempo en débitant leurs dialogues de manière rapide mais intelligible (ça aussi c'est important quand on voit le nombre d'acteurs qui marmonnent ou baissent d'un ton pour faire plus "réaliste").

Ozon a donc privilégié une troupe d'acteurs ayant l'expérience des planches et ne les a pas bridés pour pousser un peu leur jeu afin que les seconds rôles se détachent des premiers par des compositions volontiers exagérées : Fabrice Luchini joue un juge fielleux, Isabelle Huppert une gloire du muet sur le retour, Dany Boon non pas un ch'ti mais un affairiste marseillais (idée saugrenue et hilarante), Régis Laspalés un flic doucereux, Michel Fau un procureur misogyne, André Dussolier un industriel abasourdi 

Tout ces cabotins, qui s'amusent, pourraient plomber l'entreprise s'ils n'avaient face à eux deux jeunes comédiennes aussi charmantes qu'étincelantes, qui sont les véritables ancres du film. Rebecca Marder incarne une avocate qui se mue en véritable marionnettiste et transforme l'affaire en manifeste féministe (c'est si bien tourné et malicieux qu'Ozon passe à travers les gouttes de la récupération et de la relecture historique). Quant à Nadia Treszkiewicz, elle est éblouissante en actrice qui décroche là le rôle de sa vie, avec un aplomb désarmant.

Abondant en bons mots, soutenu par une mise en scène aérienne, Mon Crime confirme une fois de plus la singularité de François Ozon dans le paysage cinématographique français où il ne fait pas qu'occuper une place à part : il est à sa façon une marque.

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