lundi 11 mars 2024

THE ROYAL HOTEL (Kitty Green, 2023)


Australie. De os jours. Deux jeunes randonneuses canadiennes, Hanna et Liv, sont à Sidney et participent à une fête sur un bateau. Liv s'aperçoit qu'elle n'a plus d'argent sur son compte quand elle veut régler ses consommations par carte bancaire. Elle convainc Hanna d'accepter l'offre d'emploi d'une agence comme barmaids au Royal Hotel, un pub perdu dans l'outback.


A leur arrivée, elles font la connaissance de Billy et Carol, sa femme, propriétaires de l'établissement, qui les informent que leur première tâche sera d'organiser le pot de départ de Jules et Cassie, deux touristes anglaises qu'elles remplacent comme serveuses. L'ambiance est électrique et quand elles vont se coucher, elles surprennent Cassie en train de faire l'amour avec un client dans leur chambre.
 

Les conditions de vie très rudimentaires, le sexisme de plusieurs clients qui multiplient les blagues graveleuses et adoptent un comportement souvent inapproprié mettent extrêmement mal à l'aise Hanna alors que Liv met ça sur le compte du choc culturel. Il faut dire que cette dernière a sympathiser avec un des employés de la mine voisine, Teeth, et son comportement plus décontracté charme les hommes qui composent la majorité des buveurs.


Hanna est courtisée, elle, par Matty qui l'emmène, avec Liv, jusqu'à un plan d'eau pour se détendre. Mais de retour au pub, Dolly, un autre client, ivre, agresse verbalement la jeune femme et un couple venu fêter son anniversaire de mariage. Billy le congédie. Pourtant, c'est le début d'un affrontement larvé entre Dolly et Hanna tandis que Liv néglige sa part de travail pour se mêler de plus en plus aux clients lors de leurs beuveries...


Le cinéma américain s'est de plus en plus polarisé ces dernières années. Il existe d'un côté les films produits par les majors, ces grands studios prêts à financer sans compter des projets plus ou moins ambitieux tout en conservant quelques auteurs prestigieux pour la saison des prix (la nuit des Oscar a eu lieu la nuit dernière au moment où j'écris ces lignes). Leur objectif est surtout de trouver une ou plusieurs franchises lucratives qui fidélisera une audience massive sur plusieurs années.


Et puis il y a le circuit indépendant, avec ses petites structures qui montent des projets aux coûts beaucoup plus raisonnables, distribués dans un nombre de salles réduites, mais qui révèlent régulièrement des cinéastes ensuite récupérés par les majors. Mais tout le cinéma intermédiaire a disparu, souvent absorbés par les plateformes de streaming.


The Royal Hotel est donc un film indé. Tout le désigne : le décor de l'intrigue, l'histoire elle-même, ses têtes d'affiche (qui ne sont pas des vedettes), son budget visiblement restreint. Mais ça ne signifie pas qu'il s'agit d'un film au rabais, d'une moitié de film. Au contraire, en misant prioritairement sur un film d'ambiance, la réalisatrice et co-scénariste Kitty Green réussit une oeuvre intense.

Le script, rédigé avec Oscar Redding, s'ispire d'un reportage, Hotel Coolgardie, de Peter Gleeson, sur le programme "work and travel", qui permet à des étudiants du monde entier de découvrir des pays en acceptant des petits jobs dévalorisés, peu courtisés par la main d'oeuvre locale. On va donc suivre deux jeunes femmes canadiennes en Australie qui, pour subsister, acceptent de devenir barmaids dans un pub en plein bush.

Dès le départ, il est suggéré qu'elles ne font pas que voyager, elles ont fui un quotidien ennuyeux, peut-être plus. C'est sans doute le reproche le plus net qu'on peut adresser à Kitty Green : j'aurai bien aimé qu'elle précise un peu plus pourquoi Hanna et Liv avaient ce désir d'aller le plus loin possible du Canada, peut-être en imaginant qu'elles y ont commis un délit, voire un crime, ce qui aurait justifié leur intranquillité, leur bougeotte. Mais cela restera de l'ordre du non-dit.

Ce qui est certain, par contre, c'est que The Royal Hotel n'a pas été commandé par l'office du tourisme d'Australie car, après l'avoir vu, si vous avez toujours envie de vous perdre dans l'outback, c'est que vous n'avez vraiment peur de rien. Moi qui ne suis vraiment pas un grand voyageur en tout cas, ça m'a refroidi. Les Aussie y sont décrits sous un jour très antipathique, flippant à souhait.

Le piège, c'est qu'avec deux héroïnes, jeunes, jolies, le film tombe dans l'écueil du film féministe où la femme est forcément une victime dans une dénonciation de la toxicité masculine. Mais Kitty Green n'insiste pas sur cet aspect-là : elle laisse son récit se dérouler sans donner suffisamment d'indications au spectateur pour que celui-ci sache comment ça va se terminer. Et c'est très malin de sa part.

L'action repose essentiellement sur la différence d'attitude entre Hanna, farouche, méfiante, distante, et Liv, plus aventurière, libérée, insouciante. Liv est celle qui a ostensiblement le rôle moteur du duo : elle pousse Hanna à accepter de job improbable, elle aussi qui relativise quand la situation menace de s'envenimer avec des clients grossiers. Elle justifie pratiquement tout par le "choc culturel" : que savent-elles, elles, deux canadiennes, des australiens ? Certes, leurs manières sont rudes mais peut-être ont-elles seulement besoin de se lâcher... Et Liv le fait en levant volontiers le coude, en plaisantant avec les hommes, bref en jouant le rôle pour lequel on la paie, celui de la barmaid dans un coin perdu. Sauf qu'évidemment, son alcoolisme et son détachement dissimulent, mal, un profond mal de vivre, une fuite en avant désespérée.

Hanna est un personnage plus ingrat en comparaison, presque revêche et limite geignard au début. Elle n'a pas envie de ce boulot, d'être là, de subir le sexisme ambiant, la chaleur étouffante. Mais le spectateur comprend qu'elle a raison, non pas sur tout, mais parce qu'elle est confrontée à Dolly, l'archétype du sale type, du mec louche, qui cherche les ennuis, un provocateur qui la harcèle et compte profiter de Liv. La tension monte progressivement, de manière très maîtrisée, très bien dosée, le malaise est écrasant, c'est comme si les murs se rapprochaient autour de Hanna et par conséquent de Liv. Jusqu'à l'explosion.

The Royal Hotel est donc un petit film mais avec une intensité remarquable. Il le doit pour beaucoup à ses deux actrices : Julia Garner est surtout connue pour ses rôles dans des séries comme Maniac (où elle jouait la soeur de Emma Stone) ou Inventing Anna (où elle interprétait l'arnaqueuse Anna Delvey), mais avec sa silhouette petite et menue, ses cheveux bouclés, et sa mine méfiante, elle est formidable dans la peau de Hanna. A ses côtés, Jessica Henwick, remarquée dans les séries Game of Thrones et Iron Fist, et le quatrième volet de Matrix, Resurrections, est tout aussi parfaite pour jouer Liv, fille en roue libre, jamais assez loin de chez elle, au bord de l'implosion permanente.

En quête d'elles-mêmes dans le bush, les héroïnes du film sont celles d'un récit initiatique perturbant et accrocheur.

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