mercredi 20 mars 2024

INFINITY POOL (Brandon Cronenberg, 2023)


Le romancier James Foster et sa fiancée Em passent leurs vacances dans un complexe hôtelier luxueux d'une station balnéaire d'un pays d'Europe de l'Est. James fait la connaissance de Gabi Bauer, qui l'aborde en lui racontant qu'elle est une fan de son unique roman paru six ans plus tôt. Son mari, Alban invite l'écrivain et sa compagne à dîner.
 

Le lendemain, Alban et Gabi convainquent James et Em de les accompagner pour une virée hors du complexe, même si les habitants de la région sont réputés très pauvres et attaquent les touristes fortunés comme eux. Après avoir pique-niqué, James va uriner dans un coin et Gabi se glisse dans son dos puis le masturbe. A la nuit tombée, les deux couples repartent, Alban laissant James prendre le volant car ila trop bu.


Mais le trajet retour dégénère quand James renverse et tue un homme accidentellement. Em veut appeler la police et les secours mais Gabi l'en dissuade car ils seraient tous reconnus coupables d'homicide et exécutés. Ils regagnent l'hôtel à pied et se séparent.


Pourtant, à l'aube, James et Em sont tirés du lit par la police locale qui les embarque et les enferment dans des cellules séparées. L'inspecteur Thresh s'entretient avec James et lui propose alors un étrange marché pour échapper à une condamnation à mort contre une forte somme d'argent que Em est déjà prête à payer. Le romancier ne se doute pas qu'il va être pris dans une spirale cauchemardesque auquel son couple ni sa santé mentale ne résisteront...


C'est le troisième film avec Mia Goth que j'enchaîne, ce qui constitue une sorte de mini-cycle. Mais il est vrai que la découverte de cette actrice m'a fait forte impression et ma curiosité pour sa filmographie n'est pas étanchée. Cette fois, elle est dirigée par Brandon Cronenberg, le fils de David, célèbre réalisateur d'oeuvres mémorables comme La Mouche, Faux Semblants, History of Violence, Crash, etc.


Si, par exemple, le cinéma de Sofia Coppola ne doit absolument rien en termes de narration et de style visuel à celui de son père (comme on a pu encore le constater récemment avec le très beau Priscilla, dont j'ai parlé il y a peu), en revanche Brandon Cronenberg s'inscrit franchement dans les traces de son fameux géniteur et Infinity Pool aurait très pu être signé par ce dernier, même s'il aurait été certainement plus maîtrisé.


En effet, on retrouve dans ce long métrage des motifs propres à David Cronenberg, en particulier un regard et un travail sur les corps et l'inscription dans le registre fantastique. Seulement, ce qui est généralement bien mixé chez Cronenberg senior a tendance ici à perdre en force, à s'étirer en longueur, à devenir un peu trop brouillon chez son fils.


Infinity Pool démarre très bien avec la rencontre du héros, un romancier en pleine panne d'inspiration qui vit au crochet d'une femme plus jeune et très riche, en vacances dans une station balnéaire d'un pays (fictif) d'Europe de l'Est (tout a été filmé en Croatie, ce qui ne devrait certainement pas aider le tourisme...), avec un couple d'habitués de l'endroit, également fortuné.

Le trouble de James Foster pour Gabi Bauer est immédiat et résumé dans une scène imprévisible où la jeune femme masturbe l'homme, ce qui le laisse pantois pendant de longues heures. Pourtant, après coup, plus l'histoire avance, plus on mesure à quel point ce geste annonce en vérité ce qu'il y a de plus intéressant et vertigineux, à savoir comment une successions d'expériences tordues, violentes, sensuelles, dérangeantes, vont pousser ce romancier à céder à ses plus bas instincts jusqu'à s'y perdre.

Puis, une fois l'intrigue posée et alors qu'on semble s'engager dans un polar trouble et vénéneux, Brandon Cronenberg fait le pari d'un crochet fantastique en introduisant un subplot à base  de clonages, de sacrifices, et d'exactions commises en toute impunité. Reconnaissons que ça fonctionne au début : c'est étrange, malsain au possible.

Et puis ça finit par devenir répétitif et là, l'idée joue en quelque sorte contre le film. Pendant un bon moment, on évolue alors dans une espèce de ventre mou de l'intrigue, tout juste ponctué par une scène d'orgie sous psychotropes vraiment intense, à laquelle succède une autre scène de passage à tabac qui s'achève par une révélation perturbante. 

Mais le dernier acte du film manifeste des signes d'essoufflement et les acteurs semblent alors en roue libre, incités à n'incarner plus que des caricatures de victimes et bourreaux. Cronenberg junior a un sursaut avec une scène très forte et complètement barrée, très régressive, mais il a hélas ! un peu trop tiré sur la corde et j'aurais volontiers préféré qu'il sacrifie une bonne dizaine de minutes, voire un 1/4 d'heure à son film pour qu'il gagne en tonus. Le dénouement, de fait, est prévisible alors qu'on aurait pu imaginer une sorte, non pas de morale, mais d'exploitation du calvaire du héros, transcendé par ce qu'il a enduré, retrouvant l'inspiration. 

Néanmoins, Infinity Pool est loin d'être un ratage. Un peu comme Don't Worry Darling sur lequel j'ai récemment là aussi donné mon avis, il souffre de ne pas s'arrêter assez tôt, de prendre des détours inutiles et de s'enfoncer tout seul dans des éléments dramatiques qui sont en fait recyclés, trop inspirés d'autres films.

Heureusement, Brandon Cronenberg peut s'appuyer sur des comédiens très solides, très investis. Si la présence de Jalil Lespert étonne dans une production pareille, il est parfait en mari manipulateur. Alexander Skarsgard est absolument habité par son personnage et donne beaucoup de lui-même, prouvant qu'il n'est pas qu'un beau gosse athlétique mais un vrai acteur de composition capable de se lâcher. Et enfin Mia Goth investit une partition qui est à la fois familière chez elle (une fille inquiétante) mais nuancée par une sensualité qu'on ne lui avait pas vue dans les films de Ti West : elle est cet obscur objet du désir, éminemment dangereux et en même temps terriblement attirant. En tout cas, cette actrice n'a décidément pas froid aux yeux et continue de m'impressionner.

Infinity Pool n'est pas à mettre entre toutes les mains, c'est "pour public averti" selon la formule consacrée. Mais dans ses meilleurs moments, c'est un film bien flippant.

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