samedi 30 mars 2024

THE SIX FINGERS #2 (Dan Watters / Sumit Kumar) - Avec The One Hand, 2 comics qui n'en font qu'un


Johannes Vales continue d'essayer de reconstituer la nuit qu'il a passé alors que Alan Niers a été tué par un copycat du Tueur à une main. Son errance le mène à l'exposition où des artistes contemporains se sont emparés de l'affaire et où il échange avec la galériste Ada qui le met en garde sur les médicaments qu'il prend, provoquant de sérieux effets secondaires mais qui soulagent ses terreurs nocturnes depuis l'enfance...



Comment bien parler de The Six Fingers sans spoiler son intrigue et par ricochet celle de sa série soeur, The One Hand (par Ram V et Lawrence Campbell) ? C'est un véritable exercice d'équilibriste pour le critique, partagé entre l'envie de bien expliquer ce qui fait l'intérêt de l'entreprise et celle de ne pas gâcher la surprise au lecteur.


Vous aurez toutefois compris que les destins de l'inspecteur Ari Nassar, héros de The One Hand, et de Joahnnes Vales, héros de The Six Fingers, sont liés par cette histoire de meurtres violents, de tueur en série, de copycat. On voit même ces deux personnages quasiment se croiser dans les épisodes des deux titres : ainsi dans ces deuxièmes chapitres des séries respectives assiste-t-on à la même scène mais de deux points de vue différents et découvre-t-on que Johannes aperçoit Ari et réciproquement...


Mais Dan Watters (comme Ram V) ne se contente pas de jouer sur ce chassé-croisé, ce serait vite lassant et artificiel. Il lui faut développer son héros, le doter d'une personnalité, d'un passé, le rendre ambigu, entretenir le doute sur son implication dans les meurtres. Et ce deuxième épisode s'y consacre.


Johannes Vales est ainsi décrit, de manière très évocatrice et originale, via des flashbacks hallucinés, comme un jeune homme à l'enfance tragique. Il a perdu son père dans des circonstances terribles alors que c'était quelqu'un de bien, qui le réconfortait quand il était victime de terreurs nocturnes. Sa mère, elle, ne s'est jamais remise de ce deuil et n'est que peu mentionnée, comme si elle avait quitté le cadre.

Au présent, Johannes sombre à nouveau dans cet état second où ce qu'il redoute le rattrape et le dévore. Le lecteur se questionne alors sur ce qu'il a ou non commis : est-ce lui le deuxième copycat de Martin Tillman, le tueur à une main ? C'est a priori évident, mais en fin de compte pas tant que ça. La trajectoire sinueuse, tourmentée, altérée par les médicaments, de Joahnnes brouille les perspectives et l'épisode lui-même joue avec nos nerfs quand la perception des choses, les passages entre le passé et le présent ne sont plus si distincts.

Dan Watters exploite notamment, dans deux longues scènes, le décor de l'expo où des artistes s'inspirent du fait divers et notamment des mystérieux glyphes laissés par le tueur sur les murs des endroits où il a commis ses crimes. "Vous ne les décrypterez pas !" jure Ada, la galériste en s'adressant à Johannes, et pourtant il ne fait aucun doute que ces signes énigmatiques sont la clé de l'affaire (on a vu dans The One Hand que c'était la conviction intime de Ari Nassar).

Ce qui rend l'expérience de ces deux séries captivante, c'est aussi leur traitement visuel. Contrairement à The One Hand et le graphisme très sombre de Lawrence Campbell, The Six Fingers s'appuie sur le trait plus simple, moins réaliste, de Sumit Kumar. D'ailleurs le coloriste commun aux deux titres, Lee Loughridge, s'adapte admirablement aux deux artistes et pour Kumar, il adopte des tons plus vifs, plus lumineux, qui valorise son style.

Ce qui distingue aussi Kumar par rapport à Campbell, c'est sa manière de représenter les personnages, dans un registre moins réaliste, voire photo-réaliste, et son découpage, beaucoup plus nerveux, mouvementé. Le mouvement est permanent, avec une variété dans les angles de vue étonnante, alors que chez Campbell, c'est plus figé. Cela correspond à la fois à l'instabilité mentale, la fébrilité de Joahnnes Vales, mais aussi à une volonté de montrer qu'il tente moins de fuir que de courir après ses souvenirs (tandis que Ari Nassar, également obsédé par le passé, est sans cesse ramené au présent par son enquête).

Bref, c'est une lecture absolument passionnante, addictive, et d'une complémentarité vertigineuse avec The One Hand. Encore une fois, on ne peut pas lire une série sans l'autre, mais on en a pour son argent.

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