dimanche 10 mars 2024

L'EVENEMENT (Audrey Diwan, 2021)

 Ce qui suit contient des spoilers.


France. 1963. Anne Duschesne est étudiante en Lettres à Angoulême. Elle a deux amies, Brigitte et Olivia, mais a un caractère plutôt solitaire par ailleurs, ce qui lui vaut les railleries de quelques autres camarades, qui, elles, ne rêvent que d'une chose, coucher avec un garçon.


Alors qu'elle rentre voir sa famille - ses parents tiennent un bar - , elle consulte en secret le médecin de son village natal car elle a du retard dans ses règles. Il lui confirme qu'elle est enceinte bien qu'elle lui ait d'abord affirmé être encore vierge. Elle lui demande de l'aider mais il refuse car cela est illégal.


De retour à Angoulême, Anne consulte un autre médecin qui lui prescrit à contrecoeur une injection qui stoppera sa grossesse. Mais c'est un échec et elle se met alors à chercher un praticien qui pourra mettre fin à son calvaire. Quand elle en reparle à son médecin de famille, il lui explique se on confrère s'est moqué d'elle en lui donnant un produit qui a en fait renforcé la croissance du foetus.


A court d'idées, Anne se tourne vers Jean, un camarade de classe qui l'invite chez lui pour en parler. Il s'avère qu'il veut profiter de sa détresse pour coucher avec elle et elle s'en va sans lui avoir cédé. Elle se confie alors à Brigitte et Olivia qui ont des réactions opposées : la première réprouve le projet d'Anne de vouloir avorter tandis qu'Olivia lui apporte son soutien sans savoir comment lui porter assistance.


Les semaines passent et l'angoisse écrase Anne. Ses notes s'en ressentent et un de ses professeurs, M. Bornec, s'étonne. Mais elle ne peut lui dire la vérité et il se contente de lui conseiller de se reprendre si elle ne veut pas être recalée aux examens de fin d'année. Anne revoit Maxime, le garçon avec qui elle a couché, et lui apprend sa situation. Incapable d'assumer sa responsabilité, elle le quitte.


Une nuit, Jean présente Anne à une amie qui a eu recours à un avortement clandestin. Elle lui donne l'adresse d'une "faiseuse d'ange", Mme Rivière, qui acceptera de s'occuper d'elle contre 400 Francs. Une épreuve douloureuse mais dans de bonnes conditions hygiéniques. Pour réunir cette somme, Anne vend quelques effets personnels de valeur.


L'opération a lieu dans la chambre de l'appartement de Mme Rivière qui impose le silence à Anne afin de ne pas alerter les voisins. Elle devra ensuite attendre 24 heures pour savoir si cela a réussi. Passé ce délai, Anne comprend que c'est un nouvel échec. Elle retourne chez Mme Rivière qui accepte de répéter la manoeuvre à ses risques et périls.


Revenue à son dortoir, Anne souffre le maryre et est victime d'un grave hémorragie qui attire l'attention d'une camarade. Une ambulance la transporte à l'hôpital... En Juillet, Anne passe ses examens.


Si j'ai pris le parti de raconter toute l'histoire, c'est parce que cela me semblait plus important que d'entretenir le suspense sur l'issue du film. L'essentiel est ailleurs et coïncide avec la date à laquelle je choisis d'écrire cette critique.

En effet, tout à l'heure, le Président de la République, Emmanuel Macron, a fait inscrire dans la Constitution la liberté des femmes à l'interruption volontaire de grossesse, protégeant ainsi la loi que fit voter Simone Veil en 1975. Et L'Evénement, diffusé ce mardi sur France 2 (et disponible en replay) vient à point rappeler à quel point cette décision est historique.

Adapté du roman éponyme du prix Nobel de littérature Annie Ernaux, L'Evénement ne doit pas être considéré comme un film dossier, ce serait un malentendu. Je dois d'abord préciser que je n'ai pas lu le livre - je voulais le faire avant de voir le film mais le temps m'a manqué et désormais l'occasion est en quelque sorte passée.

Ne vous attendez donc pas, quand vous regarderez le film adapté (avec les scénaristes Anne Berest et  Marcia Romano) et réalisé par Audrey Diwan, à une reconstitution amidonné sur la France provinciale de 1963. Car la cinéaste a pris un parti tout à fait différent et salutaire qui rend son oeuvre intemporelle. Certainement à cause d'un budget limité mais aussi parce que c'était la forme la plus adéquate, ici, la caméra ne lâche jamais son héroïne et floute ce qui l'entoure, ne s'imposant donc pas de mettre là une voiture ou là un décor d'époque. Ainsi, le film parlera à tous et à toutes, sans qu'il soit attaché au temps qu'il décrit.

Au fil des semaines durant lesquelles Anne se rend compte qu'elle a du retard dans ses règles puis qu'elle apprend sa grossesses, on sent de manière intense l'angoisse qui étreint et écrase cette jeune étudiante qui sait que la maternité à son âge en fera une fille-mère mais surtout l'obligera à arrêter ses études et l'exposera à l'opprobre. Ce mélange de peur, de danger et de jugement fait tout le prix de L'Evénement, le transformant quasiment en thriller avant de basculer dans l'horreur.

On ne dira jamais assez à quel point les avortements clandestins étaient une épreuve vertigineuse. Les femmes qui y avaient recours ne savaient généralement pas à quelles mains elles confiaient l'opération. Souvent, les conditions d'hygiène étaient abominables et les "faiseuses d'ange' commettaient de véritables massacres, exposant leurs "patientes" à des infections ou même la mort. Il est fréquemment arrivé que les femmes qui se soient faites avorter deviennent ensuite stériles. Le sénateur de l'Allier Claude Malhuret, l'autre jour à Versailles lorsque le Congrés s'est réuni pour voter l'inscription de la "loi Veil" dans la Constitution, a d'ailleurs raconté une anecdote glaçante à ce sujet, dévoilant son expérience de de médecin coopérant en Afrique et sa prise en charge d'une jeune fille emmenée par la police parce qu'elle avait tué son bébé après l'avoir mis au monde toute seule.

Il y a quelque chose d'étouffant dans ce film mais c'est nécessaire : ménager le spectateur n'aurait pas été lui rendre service, parfois il faut que le cinéma soit comme une grande claque dans la gueule et nous choque, nous dérange. En particulier tous les mâles blancs si virils qui se sont si longtemps arrogés le droit de dire aux femmes ce qu'elles avaient le droit ou non de faire de leur corps. En particulier tous les fachos qui interdisent encore aujourd'hui l'IVG dans plusieurs pays. En particulier tous les conservateurs qui estiment que ce droit ne serait pas menacé et n'avait donc pas besoin d'être inscrit dans la Constitution.

Si pour vous, le 8 Mars, Journée internationale des Droits de la femme, n'est pas qu'une journée de plus dans le calendrier, alors vous vibrerez pour Anne, interprétée avec une force phénoménale par Anamaria Vartoloméi (l'autre événement du film, une présence à l'écran phénoménale, un jeu à l'économie renversant, et générant pourtant une émotion incroyable). Et vous vous souviendrez qu'aujourd'hui la France a été le premier pays à donner à toutes les Anne du pays, du monde, le droit à disposer d'elles-même.

Regardez L'Evénement !

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