dimanche 29 juin 2025

LIFE OF CHUCK (Mike Flanagan, 2025)


Acte 3 : Marty Anderson, un professeur de collège, est témoin d'événements inhabituels qui se déroulent simultanément partout dans le monde : un tremblement de terre qui sépare la Californie du reste des Etats-Unis, des inondations en Floride, des incendies... Par ailleurs, il remarque en ville plusieurs panneaux célébrant les 39 années de la vie d'un certain Charles "Chuck" Krantz que personne pourtant ne connait. Bientôt c'est internet, puis la téléphonie et l'électricité qui plantent. Marty rejoint son ex-femme, Felicia, infirmière, chez elle et assiste à la fin de tout à ses côtés.
 

Acte 2 : neuf mois auparavant, Chuck Krantz sort d'une conférence de comptables. Alors qu'il se promène en ville, il s'arrête devant une artiste de rue, Taylor, qui joue de la batterie. Il commence à danser, attirant l'attention des badauds. Parmi eux, Janice, une libraire qui vient de se faire plaquer par SMS, le rejoint sous les vivats de la foule. Le numéro, improvisé, rapporte de l'argent à Taylor qui invite les deux à boire un verre. Ils se séparent. Chuck comprendra neuf mois plus tard pourquoi ce moment faisait partie de ceux qui valent à la vie d'être vécue.


Acte 3 : Chuck a 7 ans quand ses parents meurent dans un accident de la route en revenant d'un dîner romantique tandis que ses grands-parents paternels, Albie et Sarah, le gardaient. A 12 ans, Sarah lui apprend ses premiers pas de danse en écoutant du rock à la radio. Il s'inscrit à un cours du soir à l'école où la professeur l'associe à Cat. A la maison Chuck se demande pourquoi l'entrée de la coupole, au dernier étage, est verrouillée. Une histoire de fantômes, lui raconte son grand-père...


Il y aura sûrement encore des films formidables qui sortiront cette année et que j'espère voir, mais déjà je suis certain que Life of Chuck sera mon film favori de 2025, comme Love Lies Bleeding fut celui de 2024. C'est comme une évidence, un marqueur temporel, une rencontre divine. On voit un film comme ça, on en tombe amoureux et rien ne le détrônera.


Life of Chuck ne ressemble à rien de connu et j'imagine sans mal les tourments de l'équipe marketing pour le vendre. C'est l'adaptation d'un texte de Stephen King, le roi de l'horreur, par Mike Flanagan, un autre maître du genre. Sauf que ce n'est pas du tout un film d'horreur. La seule vedette du film n'y apparaît qu'une vingtaine de minutes en tout et pour tout. Comment vendre un truc pareil ?


J'ai lu que Life of Chuck serait La Vie est belle (version Frank Capra, pas Roberto Benigni) d'aujourd'hui. Autrement dit, grossièrement résumé, un film triste mais quand même revigorant in fine. C'est pas faux, mais ce n'est pas vrai non plus. Ce n'est pas non plus un musical, même s'il y a des scènes dansées merveilleuses (dont l'une est le climax du film... Au milieu du film !).


Non, franchement, vous pouvez le tortiller dans tous les sens, Life of Chuck est surtout un casse-tête à définir. Mais... Et si c'était ça, sa qualité ? D'être indéfinissable, inclassable, triste et plein d'espoir, tendre et brutal, extraordinaire et banal. Tenez : virez Chuck du titre. Que reste-t-il ? Life. Et la vie, c'est quoi ? C'est tout ça : c'est beau, c'est triste, c'est drôle, c'est quelconque, c'est insensé.

Le récit commence par la fin, la fin du monde même carrément. Tout part en couilles : plus d'internet, de téléphone, de télé, d'électricité, des catastrophes naturelles partout dans le monde, et un couple divorcé qui se retrouve pour passer ensemble ces derniers moments avant l'extinction des feux. Rien ne sera expliqué mais l'issue ne fait aucun doute. On assiste au baisser de rideau ultime.

Les jours précédents, Marty et Felicia, comme tous les habitants de la ville où ils vivent, remarquent des panneaux représentant un type, Chuck Krantz, qu'on remercie pour 39 années incroyables. Sauf que personne ne sait qui c'est. Est-ce un gag ? Un illuminé mégalo ? L'idole d'une secte ? Et qu'a-t-il fait de si formidable ? Là non plus, le film ne vous le dira pas.

Donc ce n'est même pas l'histoire d'un type dont on découvre en remontant le temps ses bonnes actions et comment elles ont bouleversé la vie de quelques personnes qui, à l'aube de la fin du monde, le remercient. Non, Chuck est, on va le découvrir, un simple comptable, qui n'a rien fait d'autre que vivre sa vie jusqu'au bout, sans rien révolutionner, en homme intègre, bon, mais noyé dans la masse.

Le climax du film se situe donc au milieu dudit film et ce n'est pas un spoiler de le dévoiler : Chuck se promène dans une rue, après avoir assisté à une conférence. Une musicienne de rue, qui joue de la batterie, attire son attention. Il se met à danser, comme s'il ne pouvait résister au rythme. Puis il repère une jeune femme parmi les badauds qui s'attroupent et l'invite à danser avec lui. Applaudissements.

Chuck ne va pas faire sa vie avec Janice, sa partenaire le temps de cette danse. Ce n'est pas non plus une comédie romantique. Ils ont partagé, avec Taylor la batteuse, ce moment, suspendu, magique, grisant. Et ce sera tout. Une vingtaine de minutes de cinéma, comme ça, inoubliable, comme Mia et Sebastian dans La La Land.

Mais qui 20' qui vont éclairer ce qui s'est passé dans ce qui a précédé et dans ce qui va suivre. Comment par exemple Chuck a appris à si bien danser ? Et pourquoi certainement quelqu'un ou beaucoup de monde n'ont jamais oublié cet homme qui a dansé ce jour-là et illuminé cette journée ? En vérité, Chuck ressemble à l'avatar du film : il n'impose rien au spectateur, mais il lui propose des pistes.

Mike Flanagan a réalisé, mais aussi adapté le texte de King et il a également occupé le poste de monteur du film. Le rythme est d'une perfection absolue. Elliptique, mais évocateur. Le spectateur a un film où il manque plein de moments, de scènes, mais le cinéaste laisse à chacun la liberté de remplir ces vides, d'imaginer ce qui s'est passé entre chaque acte. Et c'est pour cela aussi que c'est si bien. Vous êtes en quelque sorte le co-auteur avec Flanagan et King du film.

Ou alors vous pouvez laisser des blancs, accepter ces ellipses. Sauter d'une époque à l'autre, remonter le temps, apprécier cette chronologie inversée et ne retenir que les temps forts, les angles saillants, ça marche aussi très bien. Parce que tout est également dit, ou plutôt suggéré, toujours dans ce souci de ne rien imposer, de ne surtout pas tout vouloir expliquer, justifier.

Il faut attendre la toute dernière scène pour vraiment saisir le secret de cette histoire, qui lui aussi est plus évoqué que réellement montré. C'est d'une tristesse abyssale, mais aussi d'une beauté incroyable. Même les plus cyniques seront terrassés par la manière dont c'est présenté. Parce que personne ne peut s'y attendre. Ce n'est pas vraiment un twist, qui vous fait repenser tout le film différemment...

... C'est plutôt... Comment dire ?... Une sorte de flash. Oui, voilà, une apparition, quelque chose de fulgurant, presque subliminal. Et qui dit simplement : "j'ignore dans combien de temps ce que je viens de voir va se passer, mais d'ici-là, je vivrai, jusqu'au dernier souffle". Et seuls les angles les plus saillants, les moments les plus forts subsisteront. Comme dans n'importe quelle vie.

Life of Chuck est une histoire sur le temps. Comment quand, adulte, on se souvient de certains moments qui ont paru durer une éternité et qui, en vérité, n'ont duré que quelques secondes, ou l'inverse. Comme quand on a l'impression que c'était anecdotique et que ça restera gravé dans votre mémoire pour toujours. Comme quand on a failli ne pas y aller et qu'on y est allé et que ça été merveilleux. Ou terminal.

Réussir à convoquer ça exige du doigté, de la précision. Ce qu'accomplit Flanagan, en commençant par faire entendre les mots de King. Pourquoi y a-t-il si peu d'adaptations de King satisfaisantes ? Parce qu'on n'entend pas ses mots. Or c'est une littérature à la fois très simple et très efficace, très évocatrice et économe. Il ne faut rien rajouter à ce qu'écrit King, sans quoi c'est du bla-bla, inutile, superflu.

C'est ainsi qu'il écrit (et qu'il l'explique) : il déteste les adverbes, les adjectifs, les tournures de phrases compliquées. Il va à l'essentiel. Flanagan a compris ça et c'est pourquoi son film est si réussi : il adapte sans trahir ("adapter, c'est trahir", non mais quelle connerie !). Et sa mise en scène ne fait que souligner ça, appuyée quand il le faut, invisible quand il le faut.

Et autre chose que Flanagan ose et réussit, c'est son casting. Comme je le disais plus haut, la seule vedette du film, c'est Tom Hiddleston, et il n'apparaît qu'une vingtaine de minutes en tout et pour tout sur 110'. Pourtant en 20', il pose son personnage, et le rend inoubliable, séduisant, élégant, mais aussi fragile, éphémère. 20' comme ça et pour moi, il mérite un Oscar. Parce qu'il est magnifique.

Chewitel Ejiofor et Karen Gillan le sont également et le spectateur jubile de les revoir, en arrière-plan dans les actes 2 et 1 après qu'ils soient les protagonistes du 3. Mark Hamill est bouleversant en papy porté sur la bouteille et les conseils de sage. Mia Sara a un tel charme, une telle présence elle aussi qu'on se demande comment elle n'a pas eu une meilleure carrière après avoir été révélée dans La folle journée de Ferris Bueller (il y a... 40 ans !). 

Et je ne veux ni oublier Carl Lumbly, deux scènes mais où le bonhomme est fabuleux ; ni Jacob Tremblay qui joue Chuck à 12 ans et dont la bouille est géniale ; ni Annalise Basso, la fille qui danse avec Chuck dans la rue et qui est à tomber.

La musique, enfin, des Newton Brothers : rien que pour ce solo de batterie, dingo, et Gimme some lovin'... Allez voir le film, vous comprendrez. Oui, allez voir Life of Chuck, sorti au début de ce mois, pendant qu'il est encore en salles, avant l'arrivée des blockbusters estivaux. Vous allez adorer, vous serez tristes, vous serez joyeux. Et vous sortirez de la salle en voulant vivre, jusqu'au bout.

samedi 28 juin 2025

L'EVALUATION (Fleur Fortuné, 2024)


Le futur. Une catastrophe climatique a poussé le gouvernement à contrôler strictement les naissances pour ne pas épuiser les ressources naturelles. Pour s'en assurer, les couples qui désireraient devenir parents doivent subir une évaluation : une représentante des autorités s'installe pendant une semaine et fait subir une batterie de tests non conventionnels destinée à déterminer si vous êtes aptes ou non à avoir une progéniture, exclusivement développée via un utérus artificiel.


Mia est une biologiste et Aaryan, son époux, conçoit des animaux virtuels depuis qu'il est interdit d'en avoir de vrais. Ils habitent une maison isolée de tout avec une serre attenante pour les expériences de Mia. C'est ainsi qu'ils reçoivent leur évaluatrice, Virginia. Elle se présente sous un jour sympathique mais explique les conditions strictes de son travail. Au terme de son séjour, elle rendra une décision définitive.


Le lendemain de son arrivée, l'évaluation commence. Virginia adopte un comportement enfantin, capricieux, qui met à rude épreuve les nerfs des deux candidats. Au fur et à mesure du processus, ses méthodes deviennent de plus en plus intrusives et manipulatrices, culminant lors d'un dîner en présence de la famille et d'amis du couple où se révèlent des secrets embarrassants...


The Assessment (en vo) est le le premier film de Fleur Fortuné, une réalisatrice de clips vidéos, choisie pour mettre en scène le script de Dave Thomas & Neil Garfath-Cox (couple à la ville) et John Donnelly. Tourné avec un petit budget en Allemagne et projeté dans divers festivals, il bénéficie d'un casting remarquable.
 

La scène d'ouverture montre une fillette nageant dans la mer lorsqu'elle entend sa mère lui crier de rentrer. Elle fait demi-tour, plonge, et quand elle remonte à la surface, c'est elle mais adulte, et plus personne ne l'appelle. Il y a un sentiment de liberté et d'angoisse dans cette scène qui anticipe tout le reste du film.


Dans leur maison, où une intelligence artificielle règle leur confort et les informe des conditions météo, Mia et Aaryan sont comme dans un cocon. Ils vivent certes à l'écart de la civilisation mais c'est aussi en rapport avec leur profession : elle est biologiste et effectue des recherches dans une serre attenante à la maison, il créé des animaux virtuels pour remplacer les vrais qu'on n'a plus le droit de posséder.

Ne vous attendez pas à une représentation détaillée d'un futur post-apocalyptique. Le peu de moyens du film a forcé ses auteurs à évoquer, suggérer plutôt qu'à montrer. Il y a dans le script une part de théâtralité assumée et le sujet de l'histoire s'en porte fort bien puisque le registre est très intimiste, c'est quasiment un huis clos avec trois personnages.

Cette austérité a pour but de capter l'attention du spectateur : rien ne doit le distraire. C'est aussi ce qui se produit avec le couple formé par Mia et Aaryan, concentrés dans leur boulot, mais aussi dans leur évaluation pour savoir s'ils sont dignes d'avoir un enfant. Et de concentration, ils vont en avoir besoin avec celle qui est chargée de les juger.

Très vite, le personnage de Virginia convoque le malaise. Elle est crispante, et même détestable. En jouant à l'enfant (alors que c'est une adulte), à la gamine insupportable, toujours en train de mesurer la résistance de ses potentiels parents, on a envie de la gifler. On pourrait se demander comment Mia et Aaryan ne cèdent pas à cette envie si l'enjeu n'était pas aussi important pour eux.

Tout est bon pour les provoquer : construire un cabane avec tellement de pièces à assembler qu'ils y passent une nuit et il reste encore un élément mais plus aucun endroit où le placer, s'assurer que la soeur de Mia va bien alors qu'elle vient d'être hospitalisée au risque d'être disqualifiés, ou même achever une fellation en se sachant épiés. C'est totalement délirant.

Et c'est bien parce qu'il ose tout pendant une heure et demie que le film convainc, dérange, perturbe, réjouit, irrite si bien. L'issue ne fait pourtant aucun doute, surtout après le climax que représente le dîner en famille et avec les voisins, sommet de gêne qui dure, dure, jusqu'à l'insoutenable. On est dans le même état d'éreintement que le couple de héros.

Hélas ! les scénaristes n'ont pas su s'arrêter à temps, c'est-à-dire avec la fin de l'évaluation. La dernière demi-heure est interminable, parce qu'elle est inutile. Il y a encore un bel échange entre Mia, qui est obsédée par le résultat de l'évaluation et veut en comprendre la raison, et Virginia, mais c'est surtout parce que les deux actrices sont sensationnelles.

Fleur Fortuné, pour son premier long métrage, fait preuve d'une maîtrise assez épatante. Le minimalisme imposé par la production, son sens du cadre, la photo superbe, le soin qu'elle met à créer cette ambiance délétère, sont fascinantes pour une débutante. Elle dirige aussi fermement ses acteurs. Mais elle n'a visiblement pas eu le final cut et ne peut pas sauver cette dernière demi-heure pénible.

Elizabeth Olsen est absolument remarquable de patience et de sensibilité dans le rôle de cette femme abandonnée par sa mère et qui s'interroge sur la rationalité de l'entreprise. Himesh Patel a une fébrilité poignante qui en fait un homme piégé entre deux femmes sans espoir d'en sortir indemne. Enfin, Alicia Vikander est exceptionnelle : elle ne rend jamais son personnage plus sympathique et on retrouve là une performance équivalente à celle qu'elle produisit dans Ex_Machina d'Alex Garland (chef d'oeuvre).

C'est vraiment dommage que cette Evaluation dure trop longtemps, sans quoi il aurait mérité les félicitations du jury. Mais pendant 95', on assiste quand même à quelque chose d'assez sidérant, par son économie et son intensité.

ULTIMATE SPIDER-MAN #18 (Jonathan Hickman / Marco Checchetto)


Harry vient chercher Peter pour qu'il l'aide à affronter Wilson Fisk. Gwen a une discussion tendue avec ses alliés. Richard suit son père sans le lui dire mais pour mieux rejoindre Felicia Hardy...


Que c'est compliqué de résumer chaque nouvel épisode d'Ultimate Spider-Man sans spoiler ce qui s'est passé avant ni ce qui est annoncé après dans le dit épisode du mois ! Jonathan Hickman fait bien son boulot, remarquez, puisqu'il défie le lecteur vo en écrivant son intrigue moins comme une série que comme un feuilleton.


C'est quelque chose qui m'a frappé récemment, avec les événements survenus dans la série et les nombreux coups de théâtre qui s'y sont enchaînés : Ultimate Spider-Man ne progresse pas vraiment par arcs narratifs mais plutôt en "saisons", en année. L'Année 1 s'est terminée en même temps que la première année de publication, au mois de Décembre 2024.


Et durant cette première "saison", on a grosso modo fait connaissance avec ces nouvelles versions des personnages, ce nouvel univers Ultimate. Hickman s'est visiblement beaucoup amusé à déjouer nos attentes et à provoquer Marvel en établissant ce que l'éditeur ne tolère pas/plus dans son univers classique (exemple : la mariage de Peter Parker et Mary Jane).


Mais en passant de la saison 1 à la saison 2, on a pu noter une accélération.  C'est là que Hickman a compliqué la tâche des lecteurs vo et des critiques. Les moins scrupuleux auront spoilé à tout-va, se moquant de ce que les lecteurs vf ne découvriraient que des mois plus tard. Les plus précautionneux auront dû se contorsionner pour ne pas trop en dire.

Ce qui est certain et peut être dit, c'est qu'au mois d'Octobre prochain, le Créateur sera libre - Marvel, toujours impatient, communique déjà dessus - et ça va percuter l'ensemble de la ligne Ultimate. Ces derniers jours, des rumeurs ont couru que toute la gamme allait se terminer au #24 pour les quatre titres principaux (Spider-Man, Black Panther, X-Men, Ultimates) et au 12 pour le quatrième (Wolverine).

Rumeurs lancés par le traducteur de Peach Momoko (aux commandes de Ultimate X-Men) aux USA et démenties ensuite par cette dernière. Mais pas par Marvel qui, sur ce coup, s'est montré étonnamment mutique... Quoi qu'il en soit, le retour du Créateur va immanquablement faire bouger l'univers Ultimate. Au prix d'un relaunch ? D'un reboot ? D'un event (Ultimate vs 616) ?

Il y a quelque temps, moi-même, je pariai que Hickman n'allait pas rester indéfiniment sur la série, comme il le fait désormais avec tout ce qu'il écrit pour Marvel. Deux ans (et quelques) sur Ultimate Spider-Man, ce serait déjà beaucoup. Et je pense même toujours qu'il va finir par quitter la "maison des idées" tôt ou tard (pour des creator-owned. Et DC ?).

En attendant, ce 18ème épisode d'USM prépare la guerre contre le Caïd et les Sinister Six (ou ce qu'il en reste). Mais pour l'heure, c'est du côté de Richard Parker que les choses se gâtent le plus. Hickman sait nous accrocher avec des moments comme celui-ci (je veille encore une fois à ne pas trop en dire), qui font le sel de son run et de cette saison 2.

Marco Checchetto nous régale, sans forcer. Ses planches ont cet air presque désinvolte, mais le résultat est très plaisant, très vivant. Qu'il s'agisse de mettre en images l'au revoir de Peter à Mary Jane, la discussion électrique entre Gwen et des partenaires à elle, ou plus sobrement une double planche de baston avec Spider-Man et le Bouffon Vert contre des malfrats de New York, c'est imparable.

Néanmoins, il est indéniable, à mes yeux, que ni Hickman ni Checchetto ne sont à 100%. En auteurs aguerris, ils savent ce qu'ils font et ils le font parfaitement. Mais la série elle-même n'a rien de comparable avec ce qu'ils ont produit de meilleur. Checchetto est loin de ce qu'il a fait sur Daredevil par exemple. Et Hickman très loin de Avengers ou X-Men.

Cela suffit amplement à combler le fan, mais je ne peux pas m'empêcher d'imaginer ce que ça aurait été avec un Hickman plus investi et un Checchetto plus motivé. Quelque part, oui, je pense qu'il serait mieux qu'ils s'arrêtent bientôt. Pour rebondir, certainement chacun de leur côté, ailleurs, sur autre chose. C'est très bien à lire, mais venant de ces deux-là, on est exigeant et on sait qu'ils peuvent faire mieux.

SUPERMAN #27 (Joshua Williamson / Eddy Barrows, Sean Izaakse)


Tandis que Lois accueille Jimmy Olsen de retour au "Daily Planet", Superman à la prison de Stryker perd ses nerfs à cause de la kryptonite rouge. Il convainc nénamoins Marilyn Moonlight de l'aider car Pharm et Graft se sont évadés ainsi que Lex Luthor...


Cet épisode marque la fin de cet arc narratif assez décevant. Joshua Williamson ne s'est pas montré sous son meilleur jour, on le lui pardonne toutefois après plusieurs histoires très réussies et avant de nouvelles qui son alléchantes. Appelons-ça un coup de moins bien, un arc de transition et gageons que le mois prochain tout sera rentré dans l'ordre.


Williamson ne s'en cache guère d'ailleurs puisque la dernière page annonce non seulement une suite accrocheuse mais surtout le début du compte à rebours d'un event au centre duquel se trouvera Superman dans quelques mois. Le secret reste bien gardé sur son contenu, DC n'ayant encore rien communiqué à ce sujet (à ce stade, Marvel aurait sûrement dévoilé la majeure partie du plot).
 

Le scénariste paraît surtout avoir voulu conclure des affaires qui traînaient depuis un certain temps : la kryptonite rouge qui exacerbe la rage de Superman, la vengeance de Pharm et Graft, Lex Luthor qui a recouvré la mémoire, la malédiction de Marilyn Moonlight, l'état de santé de Jimmy Olsen, la situation de Lois Lane...
 

Tout est ici résolu, au moins pour un temps. Je ne vais bien entendu pas vous dévoiler l'essentiel, mais au moins vous dire que Jimmy Olsen est sorti de l'hôpital (où il avait été admis après avoir été accidentellement blessé par Superwoman), et que le dossier Pharm et Graft a l'air d'être clos. Quant à Lois, Lex, Mercy Graves et Marilyn Moonlight...

Hé bien, il vous faudra lire cet épisode ou attendre leur traduction chez Urban pour savoir ce qu'il en est. Urban, qui d'ailleurs vient de sortir Superman : Dark Prophecy tome 1, qui reprend le run de Williamson à partir du n°19 (et donc l'arrivée de Dan Mora au dessin). Le décalage entre vo et vf n'est donc pas conséquent.

Au dessin, Eddy Barrows assure la majorité des planches dans un style toujours aussi soigné. Il signe de beaux moments d'action, très spectaculaires, même si sa prestation sur les derniers mois aura été en deçà de qu'on pouvait espérer d'un artiste de son calibre. C'est vraiment dommage qu'il n'ait pu tenir les délais pour un arc aussi court.

Sean Izaakse vient lui prêter main forte et produit les pages 7-8 puis 16 et 19. Son trait est moins qualitatif que celui de Barrows, toutefois je n'ai pas envie de l'accabler : il a été visiblement appelé en urgence et sa tâche a été ingrate. Mais en même temps, Izaakse, ça fait un moment maintenant qu'il travaille pour Marvel puis DC, et lui non plus n'est pas capable de livrer 20 pages par mois.

Si le sort de quelques personnages reste inconnu (reverra-t-on Marilyn Moonlight ?), le scénario de Williamson a surtout servi à tourner la page d'autres seconds rôles. Les prochains mois seront certainement plus épiques et ambitieux, avant le retour inévitable d'un premier rôle. De quoi continuer à faire confiance à Superman comme série pour encore un bon moment.

WE ARE YESTERDAY, PART 6 (of 6) - JUSTICE LEAGUE UNLIMITED #8 (Mark Waid / Dan Mora)


Air Wave a extirpé du multivers plusieurs héros pour empêcher la Legion of Doom de s'emparer de la Tour de Guet, mais ça ne suffit pas. Red Tornado l'autorise alors à siphonner son énergie pour rapatrier tous les membres de la Justice League perdus dans l'espace-temps...


Ainsi se termine We are Yesterday, crossover entre World's Finest et Justice League Unlimited, qui ne restera pas, loin s'en faut, comme une franche réussite. Ce dénouement le confirme, toujours aussi brouillon et expéditif, teasant déjà des complications à venir. Quelle déception ! Mais y avait-il seulement moyen de faire mieux ?


Le postulat de We are yesterday tendait déjà le bâton pour se faire battre : les intrigues à base de voyages dans le temps sont les plus périlleuses à mener à bien, impliquant plusieurs versions de personnages issues d'époques différentes et créant inévitablement de la confusion chez le lecteur. Pour le critique, c'est un casse-tête à résumer.


Mais là Mark Waid s'est pris le mur en pleine face avec ce crossover de deux séries qu'il écrit pourtant. Il aurait dû maitriser son sujet, il n'a fait que mélanger deux titres dont l'un est plus impacté que l'autre (d'ailleurs le nouveau numéro de World's Finest est déjà paru dans l'intervalle, déconnecté des événements de We are yesterday, comme si l'auteur avait hâte de passer à autre chose).


J'ai beau chercher, je ne vois pas du tout ce que Waid a voulu mettre en place, même si son intrigue se termine avec des répercussions qui s'annoncent compliquées à gérer, puisque, sans trop spoiler, un nombre consistant de personnages sont désormais contraints de rester à notre époque, dans cette dimension, après avoir été extraits des leurs.

Il y a toujours eu chez DC cette propension à compliquer les choses simples : d'abord avec les terres parallèles apparues lors du Silver Age, puis la révision radicale opérée lors de Crisis on infinite earths (retour à une seule Terre), puis l'annulation de ce statu quo (Infinite Crisis), puis Final Crisis, les New 52, DC Rebirth, Dark Crisis...

Cela s'est longtemps expliqué par des courants contraires au sein même de la maison d'édition entre ceux qui voulaient préserver ces mondes parallèles et ceux qui voulaient simplifier cette situation, quitte à sacrifier des pans entiers de la continuité, supprimant des personnages dans la foulée. Fallait-il vraiment revenir à ça, surtout pour un résultat si piteux ?

Surtout que le sentiment qui domine à la fin de We are yesterday, c'est qu'il existe deux DC (trois en comptant la ligne Absolute, même si elle n'est pas citée ici) : celui de Waid, attaché à la continuité, voulant embrasser toutes ses facettes, et celui des autres auteurs phares de la maison, qui désirent visiblement et simplement développer leurs histoires ponctués d'events (prochain sur la liste, celui avec Superman).

Que Waid soit une encyclopédie vivante des comics (DC comme Marvel), c'est évident. Pourtant il n'a pas le statut d'architecte de DC, comme Marvel voulut en établir à une période (avec Hickman, Bendis, Brubaker, Fraction, Remender, Aaron). Ce n'est pas Waid qui donne le la. Et d'ailleurs en a-t-il l'envergure ? Ce n'est pas franchement un world-builder à la Hickman.

Comme pour sauver les meubles (ou ce qu'il en reste dans ce bazar), ce sixième et dernier chapitre est dessiné par Dan Mora. L'artiste, toujours aussi généreux (on vient d'apprendre qu'il ajoutait à son agenda déjà surchargé le dessin de la série Transformers, mais il a juré qu'en 2026 il ne garderait qu'une seule série, chez DC), se donne à fond.

Toutefois, à mon humble avis, tout son talent n'est pas bien exploité dans ces épisodes abondant en personnages qui se mettent sur la tronche. Mora a beaucoup d'énergie, mais son sens de la composition des plans laisse toujours à désirer et on sait que le passage obligé de ces crossovers consiste à enchaîner les planches de baston avec un maximum de figuration.

Et ça ne manque pas : c'est brouillon au possible. Mais surtout comment croire une seule seconde que cette Legion of Doom faite de bric et de broc va pouvoir résister à cette armada de super-héros ? Donc aucun suspense. Aucune intensité. Juste du tape-à-l'oeil et l'impression gênante que Mora est utilisé à toutes les sauces, y compris pour tenter de sauver les meubles dans ce naufrage. A force, ça va finir par se voir.

Tout ce que j'espère, c'est que la série sur laquelle il concentrera ses efforts en 2026 sera Superman et pas Justice Legue Unlimited même si DC et Waid feront certainement tout pour le garder sur JLU puisqu'il est quasiment le seul dessinateur à pouvoir produire un team book dans les délais actuellement, tout éditeur confondu.

J'ignore si je vais continuer Justice League Unlimited, qui va certainement devoir composer avec les conséquences de We are yesterday. A moins que Waid ne se ressaisisse franchement et n'écrive des histoires dignes de ce nom pour cette équipe. Mais je n'y crois guère. A part JSA, les team books sont un chantier en devenir chez DC.

vendredi 27 juin 2025

THE PHOENICIAN SCHEME (Wes Anderson, 2025)


1950. Anatole "Zsa-Zsa" Korda survit au crash de son jet. Mais cet accident lui fait entrevoir l'au-delà où il est jugé pour ses actes devant une cour divine qui doit décider s'il mérite l'enfer ou le paradis. Sachant qu'il ne pourra pas tromper la mort indéfiniment, il fait venir sa fille Liesl, jeune nonne sur le point de prononcer ses voeux, et lui annonce qu'il en fait l'héritière unique de sa fortune, amassée grâce à des affaires louches. Avant de passer la main, il veut concrétiser son grand projet concernant des infrastructures en Phénicie. 


Mais les gouvernements du monde entier se liguent contre lui car il a toujours échappé aux impôts et à la justice. Pour le ruiner, ils font s'envoler les prix des matières premières dont il a besoin. Afin de rassurer ses partenaires financiers et les convaincre de compenser cette inflation en augmentant leurs prêts, Korda, sa fille et Bjonr, un entomologiste norvégien embauché comme assistant administratif entament un long périple en six étapes.
 

Ils rencontrent le prince Farouk, les frères Reagan et Leland, Marseille Bob, le capitaine Marty et la cousine Hilda. Durant ces déplacements, Korda, impressionné par sa fille, commence à s'interroger sur ses méthodes et ses objectifs tandis que Bjorn tombe amoureux de Liesl. Les attentats se succèdent. Et il reste surtout à convaincre l'oncle Nubar, demi-frère et rival de toujours de Zsa-Zsa, de ne pas le lâcher...
 

Jusqu'en 2018, tout allait pour le mieux entre Wes Anderson et moi : L'Île aux Chiens, son deuxième film d'animation, était un nouveau chef d'oeuvre à ajouter à sa filmographie, le texan s'y montrait au sommet de son art, maîtrisant plus que jamais et son sujet et sa manière de le mettre en scène, en se passant d'acteurs pour camper ses personnages dans des cadres plantés avec une maniaquerie formelle unique.


Puis, inexplicablement, la machine s'est grippée, comme si Anderson se laissait dominer par la forme au détriment du fond. Il y eut d'abord The French Dispatch, un film à sketches laborieux, puis, encore pire, Asteroid City, qui ne faisait que recycler dans le vide ses obsessions esthétiques mais sans histoire solide à raconter. Même les castings quatre étoiles ne masquaient plus le manque d'inspiration.
 

Pour renouer avec le meilleur d'Anderson, il fallut passer sur Netflix pour le compte duquel il adapta des nouvelles de Roald Dahl, dont l'univers lui convient si bien (il l'avait déjà prouvé avec Fantastic Mr. Fox). Avec un texte débité à la mitraillette par un Benedict Cumberbatch transformiste, ces courts métrages redonnaient de l'espoir aux déçus.
 

Allait-il transformer l'essai avec The Phoenician Theme, présenté en Mai dernier au Festival de Cannes (dont il est reparti bredouille, trop en décalage avec le palmarès sinistre) ? La réponse est oui. Ce n'est pas son meilleur opus, mais Anderson semble avoir voulu se délester de quelques tics devenus pesants et se lâcher franchement dans le registre comique.

Le cinéaste a dédié son film à son beau-père, récemment décédé, en qui il voyait une sorte d'aventurier d'un autre temps, une figure haute en couleurs, qui lui a inspiré le personnage de Zsa-Zsa Korda, affairiste plus que louche mais trompe-la-mort insensé, traqué par des assassins qu'il employait jadis et visé par les gouvernements du monde entier pour avoir échappé à l'impôt et la justice.

Une expérience de mort imminente fait prendre conscience à Korda que sa chance va sans doute tourner. Il lègue donc sa fortune, non pas à ses fils (biologiques ou adoptifs), mais à sa fille unique, Liesl, qui est nonne et qu'il n'a pas revue depuis ses cinq ans et la mort de la femme avec qui il l'a conçue, morte dans des circonstances énigmatiques (mais sûrement criminelles).

Ensemble, et avec un entomologiste norvégien qui est aussi son nouvel assistant administratif (poste à haut risque puisque les précédents ont tous péri dans les attentats auxquels lui a survécu), ils partent à la rencontre d'investisseurs sur le point de se retirer de son grand projet à cause de la hausse des prix des matériaux décidés par les autorités du monde entier pour ruiner Korda.

Le film reprend donc un dispositif familier à Anderson : celui de la succession de vignettes, mais loin d'être des sketches collés les uns à la suite des autres sans logique (comme dans The French Dispatch) ou des numéros calibrés pour des stars (comme dans Asteroid City), là, on a droit à un vrai fil rouge, une vraie progression dramatique.

Alors, bien sûr, on pourra reprocher à Anderson de ne pas creuser son propos sur les oligarques, ces capitalistes sans scrupules, défiant les Etats, contournant leurs lois, magouillant à qui mieux mieux pour arriver à leurs fins. Mais The Phoenician Scheme surprend autrement, notamment dans sa manière d'aborder l'aspect religieux, une vraie nouveauté dans le cinéma de l'auteur.

Via le personnage de Liesl, Korda évolue : la foi de la jeune femme et le fait qu'elle ne soit jamais impressionnée par son paternel ébranle l'affairiste et l'homme. La fin justifie-t-elle les moyens ? Et surtout qu'est-ce qui l'attend devant son Créateur ? Lui qui est un athée se met, dès qu'il s'assoupit ou perd connaissance quand on essaie de le tuer, à imaginer son procès dans l'au-delà.

Les entrevues qu'il a avec ses partenaires deviennent des tests que Korda apprécie de plus en plus à l'aune de ce qu'il imagine être des pièces à charge pour ce jugement divin. Anderson commence par un duel de panier de basket avec les frères Leland et Reagan, puis une balle de mitraillette prise à la place de Marseille Bob, une transfusion sanguine avec Marty, et une proposition de mariage avec sa cousine.

A chaque fois, il s'engage plus personnellement pour convaincre un investisseur mais aussi pour lui-même. Jusqu'au face-à-face final et grandiose avec l'oncle Nubar, son demi-frère, son rival de toujours, celui qui justifie sa maxime favorite : "si quelqu'un se met sur ton chemin, écrase-le !".

La mise en scène reprend les motifs habituels :symétrie permanente des cadrages, choix de couleurs vives, décors style maison de poupée où chaque élément est strictement sélectionné et disposé, direction d'acteurs au cordeau avec débit mitraillette. Tout cela est devenu de plus en plus rigide au fil des films, ce qui plombe le cinéma d'Anderson, qui se permettait de respirer davantage auparavant. Mais qui en fait aussi sa signature, unique.

Le casting est encore une fois exceptionnel, mais on sent une volonté manifeste, et heureuse, de moins remplir à ras-bord chaque plan d'une vedette. Benicio Del Toro est fantastiquement pince-sans-rire dans la peau de Korda. Mia Threapleton, la fille de Kate Winslet, est magistrale dans celui de Liesl. Et Michael Cera est encore un cran au-dessus de ces deux-là dans le rôle de Bjorn, à tel point qu'on s'étonne que ce soit son premier film avec Anderson tant il est parfait dans son univers.

Les seconds rôles sont attribués à des stars confirmées ou des comédiens imparables, mais qui ne sont plus noyés dans la masse : le duo Tom Hanks-Bryan Cranston est irrésistible, Riz Ahmed paraît le plus éteint du lot (dommage), Matthieu Amalric est formidable, Jeffrey Wright est un peu sacrifié aussi. Mais Scarlett Johansson est fabuleuse et Benedict Cumberbatch est tout bonnement ahurissant.

Serez-vous assez attentif pour reconnaître Charlotte Gainsbourg et l'indispensable Bill Murray ?

Accompagné par une superbe musique d'Alexandre Desplat (comme d'hab'), The Phoenician Scheme me réconcilie avec Wes Anderson. Il semble s'être recentré, repris, sans lâcher ce qui fait de chacun de ses meilleurs films une pépite.

BUG WARS #5 (of 6) (Jason Aaron / Mahmud Asrar)


Les chefs des tribus d'insectes se réunissent pour s'accorder sur un plan pouvant tuer Sidney Slaymaker. Wysta affronte les gardiens du couvent qui ne veulent pas la voir réintégrer ses rangs. Slade parcourt un labyrinthe au bout duquel une énorme surprise l'attend. La mère de Slade et Sidney veut convaincre la police que son fils n'a pas fugué mais qu'il est introuvable...


Le succès commercial (et critique) de Bug Wars a quand même dû surprendre ses auteurs, mais il va leur permettre de poursuivre leur récit. En effet, comme ils l'ont confirmé sur les réseaux sociaux, ces six premiers numéros constituent le Livre 1 de la série. Mais ils n'ont pas (pas encore) précisé à quand sortirait le Livre 2 (même s'ils vont certainement faire un break avant de s'y coller).


Subséquemment, ce succès va certainement convaincre un éditeur français de traduire Bug Wars dans les prochains mois et il faudra, vraiment, que vous guettiez les annonces sur les sites d'infos comics hexagonaux. Car outre le fait que c'est un de mes coups de coeur de 2025, c'est surtout une excellent production.


Alors que le mois prochain s'achèvera donc le premier acte de cette intrigue, fort logiquement Jason Aaron avance ses pions en vue de cette conclusion. Les protagonistes sont tous à un tournant : une guerre se prépare contre le grand annihilateur des insectes, Wysta se bat contre ceux qui l'ont banni de sa tribu, et Slade va faire une découverte qui va, réellement, tout changer pour lui.
 

Ce n'est sans doute pas l'épisode le plus original mais il demeure très efficace. Les diverses pistes narratives convergent tout en ménageant un énorme twist qu'on ne pouvait pas voir venir et qui méritera une explication à la hauteur. Sur ce dernier point, Jason Aaron a intérêt à ne pas se planter, au risque de bousiller une grande partie de la qualité de Bug Wars.

D'un point de vue visuel, il n'est difficile d'affirmer que c'est certainement le meilleur travail de Mahmud Asrar (même si je n'ai pas lu les tomes de Conan qu'il avait réalisés, déjà avec Aaron). Mais on sent que c'est son dream project, quelque chose de fait sur mesure pour lui et il honore le script avec toute l'énergie qu'il a.

Prenez par exemple le combat de Wysta avec les gardiens du couvent : c'est dynamique, le découpage est toujours clair, précis, il y a à la fois de la violence et de la fluidité dans le mouvement. Prenez encore le périple de Slade dans le labyrinthe : Asrar imagine des décors à la fois exotiques, dangereux, singuliers, et il emploie des angles de vue pour les rendre encore plus spectaculaires.

Même quand il revient dans un cadre plus familier, comme la maison de Slaymaker où la mère explique à des policiers que son fils a disparu mais pas fugué et que Sidney, excédé par la nonchalance des flics, sort, Asrar parvient à exprimer toute la tension et la frustration des personnages qui n'en savent pas autant que nous.

Et pour soutenir ces efforts graphiques, Asrar profite du savoir-faire de Matthew Wilson, qui créé des ambiances bien distinctes, sans forcer sur les nuances de sa palette, mais de manière toujours très évocatrice. C'est aussi une belle BD.

Tout cela doit vous convaincre, je l'espère, de ce que Bug Wars propose. C'est un divertissement, mais aussi un récit initiatique, une épopée, avec des acteurs inattendus, une intrigue bien tricotée, et tout ça emballé avec des illustrations de première classe. Immanquable.

ABSOLUTE MARTIAN MANHUNTER #4 (of 12) (Deniz Camp / Javier Rodriguez)


Une vague de chaleur s'abat sur Middleton et plusieurs citoyens voient rouge, s'en prenant les uns aux autres de façon de plus en plus violente. L'agent John Jones et son "martien" enquêtent, mais le climat semble affecter l'extraterrestre. Cependant que Bridget, la femme de John, tolère de moins en moins que son mari soit de plus en plus accaparé par son travail...
 

DC et Deniz Camp (tiens, c'est marrant, je n'avais pas remarqué que les initiales du scénariste étaient celles de son éditeur...) n'auraient pas pu mieux choisir la date de parution de cet épisode, alors que la canicule règne aussi bien dans l'histoire de la série que dans la vie réelle. Souhaitons quand même que les choses ne dégénèrent pas aussi brutalement dans notre monde (voeu pieux avec tous les conflits actuels)...
 

Même si l'histoire met toujours au premier plan John Jones et son martien, le véritable coeur de ce numéro est bien le couple que forme l'agent du FBI et sa femme. Comme elle le lui dit, elle ne le reconnaît plus depuis quelque temps et le soupçonne de lui cacher quelque chose. Mais quoi ? Une aventure extra-conjugale ? Autre chose ?


Deniz Camp met en parallèle, de manière inspirée, les tensions que provoque la chaleur en ville avec la crise que traverse le couple, deux terrains de guerre avec John Jones et le martien au milieu. Bien entendu, John ne peut dire à sa femme qu'il communique avec un extraterrestre, alors il ruse, maladroitement...


Après l'avoir interrogé une première fois sur son étrange comportement, Bridget n'est pas dupe et s'aperçoit que John quitte leur lit en douce la nuit pour aller travailler. Il passe de plus en plus de temps en mission et communique peu sur celle-ci, comme ils en avaient convenu. Mais le doute ronge la jeune femme qui finit par lui rappeler qu'elle n'est pas la seule à souffrir : il y a aussi leur fils.

Maintenant que John s'est habitué à la présence du martien, il ne se rend plus compte à quel point ce dernier fait quasiment partie de lui-même, de son existence. De manière humoristique, Javier Rodriguez les représente même couchés sur le sofa après que Bridget ait interdit l'accès de leur chambre à son mari. 

Deniz Camp souligne aussi que le temps perturbe le martien, qui, en d'autres circonstances, pourrait certainement manipuler mentalement Bridget. Contrairement à son modèle de l'univers classique de DC, ce martien ne craint pas le feu, mais le soleil le rend distrait, il le fixe souvent comme si l'étoile recelait un secret. A la toute fin, il sait lequel (mais je ne vais pas le spoiler).

Surtout tout l'épisode est construit comme un crescendo musical : à mesure que les incidents ont lieu en ville, l'ambiance chez les Jones devient explosive et finit d'ailleurs par une dispute coïncidant avec plusieurs déflagrations (des attentats à la bombe). La ville prend littéralement feu, plonge explicitement dans les ténèbres en même temps que le mariage de John et Bridget.

Encore une fois les planches de Javier Rodriguez prolongent le propos du script de Deniz Camp en faisant preuve d'une inventivité de tous les instants. Le fait que l'artiste assume aussi la colorisation de la série lui permet d'avoir le contrôle total sur les images et amplifient le moindre effet, parfois donc de façon comique, parfois de façon dramatique.

Le découpage joue aussi un rôle essentiel, surprenant le lecteur au meilleur moment, comme quand Bridget s'adresse à John, à genoux devant elle, et lui avouant qu'elle ne le reconnaît plus. Le visage du martien se substitue alors à celui de John (mais seulement pour le lecteur), ce qui créé un effet déstabilisant et confirme la symbiose entre les deux personnages.

Il faut lire deux fois chaque épisode pour, dans un premier temps, suivre simplement l'histoire (qui reste étonnamment accessible malgré sa bizarrerie) et, dans un second temps, pour se régaler des idées narratives et visuelles que la série dispense généreusement, dans un esprit ludique tout en faisant monter la tension. Quelle BD !

jeudi 26 juin 2025

I'M YOUR WOMAN (Julia Hart, 2020)


Fin des années 1970. Jean est mariée à Eddie, un malfrat. Le couple ne pouvant avoir d'enfant, Eddie, un jour, débarque avec un nouveau-né sous le bras et le donne à Jean. Peu de temps après, une nuit, un complice d'Eddie réveille Jean et lui donne un sac rempli d'argent puis l'adresse d'un homme de main. Elle rencontre Cal qui doit la conduire loin de la ville.


Personne ne sait où est Eddie mais il est activement recherché. Cal installe Jean dans un pavillon de banlieue. Elle ne doit pas se faire d'ami mais il lui donne un numéro de téléphone à appeler en cas d'urgence. Jean enfreint les règles en se liant avec Evelyn, une veuve, qui habite près de chez elle. Une nuit que le bébé ne s'endort pas, elle le sort mais quand elle revient, elle voit sa porte d'entrée forcée.


Jean se réfugie chez Evelyn, bâillonnée et ligotée par deux hommes armés qui veulent savoir où se cache Eddie. Cal surgit et tue les deux gangsters puis Evelyn. Il conduit ensuite Jean dans un chalet où il a grandi, isolé de tout, puis repart. Quelques jours plus tard, Jean y est rejointe par Art, le père de Cal ; la femme de ce dernier, Teri ; et leur fils, Paul. Mais Jean en assez d'être cloîtrée, et avec Teri, elle part à la recherche de Cal...


Ce film, produit et disponible sur Amazon Prime Video, a été tourné en 2020, c'est-à-dire à l'époque où Rachel Brosnahan, qui tient le rôle principal, était encore le vedette de la série The Marvelous Ms. Maisel, qui l'a consacrée. Elle est d'ailleurs créditée ici comme co-productrice. Evidemment, tout ça paraît maintenant loin alors que se rapproche la sortie en salles de Superman, de James Gunn, dans lequel elle joue Lois Lane et qui va certainement la faire changer de dimension.


Si vous n'avez jamais vu Ms. Maisel, alors rattrapez vite ça et vous aurez la preuve que Brosnahan est une actrice rien moins qu'extraordinaire. Elle le prouve aussi dans I'm your woman, qui a le mérite d'aborder un sujet connu sous un angle inédit : celui du destin d'une femme de criminel quand elle doit prendre la tangente pour ne pas être rattrapée par les ennemis de son mari.


En effet, on voit souvent des films où le bandit est en cavale et doit multiplier les efforts pour ne pas être retrouvé avant, finalement, de faire face et de régler ses comptes, l'arme au poing. Mais quid des épouses, des petites amies, souvent livrées à elles-mêmes, et qu'on ne revoit plus, quand elle ne sont pas rapidement liquidées ?


Le scénario écrit par Hart et Jordan Horowitz explore cette facette de l'histoire en prenant (un peu trop) son temps : le film fait 120' et on peut raisonnablement estimer qu'avec 1/4 d'heure, voire 1/2 heure de moins, il aurait été bien meilleur. En même temps, sa durée rend compte de cette espèce de temps suspendu pour les gens qui doivent se cacher, attendre, repartir, se cacher à nouveau, etc.

Le film de Julia Hart s'ouvre par une scène muette où on voit Jean assise dans son jardin à l'arrière de sa maison, en train de fumer une cigarette, les yeux cachés par des lunettes fumées. Cette femme-là passe le temps en attendant le retour de son homme. C'est l'archétype de la desperate housewife, belle, apprêtée mais qui s'ennuie, une Emma Bovary américaine de la middle-class des 70's.

Puis son époux rentre avec un bébé sous le bras et le lui confie. Elle est stérile et la voilà mère d'un nourrisson sorti d'on ne sait où. Elle se montre peu maternelle, le gosse pleure toutes les nuits. Et bientôt les voilà tous deux sur la route, en train de fuir, confiés à un homme de main taciturne mais qui obéit aux ordres.

Seule, livrée à elle-même, Jean s'attache à l'enfant, même si elle est épuisée par l'angoisse de ne pas savoir de quoi demain sera fait et par la charge d'élever un bébé. La suite sera une longue course d'obstacles, mais à combustion lente. Lorsque Jean se ressaisira, elle le fera sans mesurer dans quoi elle s'engage, mais parce qu'elle est à bout, excédée qu'on lui dise quoi faire, de patienter en attendant que la mort ne la rattrape.

Dans sa dernière partie, le film peut évoquer Gloria de John Cassavettes avec Gina Rowlands et le garçon qu'elle protège. Mais Julia Hart ne cherche pas à se mesurer à ce chef d'oeuvre. Elle reste au plus près de Jean, dont elle ne fait pas une justicière mais une survivante que les épreuves révèlent à elle-même, qu'il refuse de regarder en arrière parce qu'elle doit aller de l'avant.

Rachel Brosnahan porte le film avec une sensibilité qui ne sombre jamais dans la sensiblerie. Son jeu est sobre, et certaines scènes casse-gueule (comme quand elle chantonne You make me feel like a natural woman de Carole King) deviennent des moments d'émotion fragiles mais poignants par la délicatesse qu'elle leur donne.

Face à elle Arinzé Kene est magnétique : ombrageux mais indéfectible, il en impose par sa présence, l'économie de ses mots. Grâce au personnage plus tardif qu'incarne Marsha Stephanie Blake, on évite de tomber dans le piège de la romance facile entre le protecteur et sa protégée. Entourée par ces deux acteurs noirs, Brosnahan devient littéralement cette petite bourgeoise douée pour rien qui prend conscience de ses privilèges de femme blanche, embrassant la même précarité que ses compagnons.

I'm Your Woman n'est pas parfait - il est trop long surtout. Mais il a le mérite de creuser un récit atypique, et de dessiner un portrait de femme intense, porté par une comédienne absolument sidérante.