jeudi 6 mars 2025

THE TIN CAN SOCIETY #6 (of 9) (Peter Warren / Francesco Mobili)


Après avoir découvert une nourrisson dans l'armure de Caliburn, Kasia l'identifie comme étant le fils de Johnny Moore et Hillary Cross. Elle embarque Greg, Adam et Val pour interroger cette dernière qui leur révèle la véritable histoire du bébé...


Un résumé concis mais en dire plus serait criminel - même si, le mois prochain, il me faudra certainement revenir sur certaines révélations... Encore que : le cliffhanger de ce sixième épisode est encore plus dingue que celui du cinquième ! D'ailleurs, plus on avance dans cette histoire et plus on est abasourdi par la maîtrise du coup de théâtre des auteurs.


Car il ne faut pas se tromper : il existe des comics où les rebondissements, les twists, appelez ça comme vous voulez, sont artificiels. C'est de la mécanique narrative : il faut surprendre le lecteur avant tout pour s'assurer qu'il continuera à lire, quitte à flirter avec le grotesque. Un exemple bien connu est la fin du run de J. Michael Straczynski sur Amazing Spider-Man : le fameux One more day.


Pour mémoire, à cette époque, JMS est le scénariste de la série depuis six ans et c'est un succès en termes critique et commercial, malgré des arcs narratifs controversés (Sins Past). Durant l'event Civil War, JMS s'acquitte brillamment d'épisodes en lien avec cette saga et va jusqu'à quasiment assassiner May Parker suite à la révélation publique de la double identité de Peter Parker (par lui-même).


S'ensuit un autre arc dans lequel Peter/Spider-Man traque le commanditaire de cette tentative d'assassinat (je ne vous dis pas qui au cas où vous l'ignoreriez). Mais tante May reste dans le coma et c'est alors que Spider-Man se voit proposer un marché pour la sauver en échange du sacrifice de son couple avec Mary-Jane Watson.

Les derniers épisodes du run de JMS seront dessinés par Joe Quesada, à l'époque grand manitou de Marvel Comics, et donc a priori un argument de poids pour impressionner les fans car il se faisait rare comme artiste, emploi du temps oblige. Sauf que Quesada va forcer Straczynski à écrire une histoire différente de ce qu'il avait prévu et le scénariste claquera la porte une fois ce chapitre terminé.

A cette époque, l'affaire fait grand bruit, moins pour l'interventionnisme de Quesada ou le départ de Straczynski que pour la résolution de l'intrigue que beaucoup juge grotesque, avec des conséquences irritantes. C'est devenu, depuis, l'archétype du coup de théâtre raté parce que dicté par des considérations éditoriales plus que logiques ou artistiques.

Dans The Tin Can Society, Peter Warren s'est quasiment fait un devoir d'étonner le lecteur à chaque fin d'épisode en entraînant son récit dans une direction imprévisible. On peut même dire qu'il a carrément commencé son histoire ainsi, en tuant le héros à la première scène. Mais il a toujours su, en revanche, échapper au ridicule, sinon en justifiant, du moins en imaginant des conséquences dignes de ce nom.

Après avoir intégré à l'intrigue les portraits, très fouillés par ailleurs, des protagonistes (c'est encore le cas cette fois, avec le personnage de Hillary Cross, la veuve du héros), et en progressant dans les découvertes qu'ils font lors de leurs investigations sur la mort de leur ami, on pouvait toutefois raisonnablement se demander ce qu'il allait pouvoir inventer d'aussi étonnant.

Et le plus fort, c'est qu'il parvient, une nouvelle fois, à nous cueillir. Ce qu'on apprend en même temps que Kasia, Greg, Adam et Val, via Hillary Cross, révèle un côté sombre de Johnny Moore mais surtout d'une de ses associées, Sharon Wagner, tout reliant le tout à la mort de Walter Gimmler et à la soeur de ce dernier, Nora, dont les vies ont été broyées pour de sombres magouilles affairistes.

Peter Warren ne perd jamais de vue l'aspect humain de son histoire qui comporte certes des éléments super-héroïques, polar et même mélodramatiques, mais qui repose avant tout sur des conflits psychologiques, des tourments relationnels. C'est âpre et déchirant, mais crédible, tout en respectant la dimension, disons, plus "fantaisiste" du paramètre super-héroïque.

Et quand arrive la dernière page, il nous sort à nouveau du chapeau un twist ahurissant, qui, là, nous laisse vraiment sur le flanc. Le septième et antépénultième épisode, le mois prochain, promet énormément tout en étant hyper casse-gueule. On peut y aller en craignant que ce bel édifice ne se fissure. Mais vu l'impressionnante maîtrise de l'ouvrage, peu de risque que tout ça se casse la figure.

Cette passionnante série, qui, pour moi, est d'ores et déjà la mini-série la plus bluffante, la plus extraordinaire, de 2025 (même si elle  a débuté en 2024), ne serait toutefois pas aussi époustouflante dans une partie graphique à sa mesure. Et là aussi, Francesco Mobili ne peut que mettre tout le monde d'accord : sa prestation tient du chef d'oeuvre.

Voilà un artiste avec une technique tout à fait virtuose. Ce n'est pas quelqu'un qui verse dans l'expérimental et épatera par ses audaces visuelles. Mais, bigre, il est balèze ! C'est d'abord du beau dessin, au trait, avec une maîtrise parfaite des fondamentaux. On a souvent, en Europe, raillé les dessinateurs de comics pour plein de raisons (leur propension à zapper les décors, leurs proportions exagérées, leur narration sommaire). Mais là, ce n'est pas possible.

Ce n'est pas possible parce que c'est vraiment très bien exécuté. On sent qu'il a eu du temps, mais surtout on voit qu'il sait dessiner, qu'il a du métier, qu'il a appris à dessiner. Ce n'est pas un de ces dessinateurs formés sur le tas, à l'arrache, ou formé par un mentor, un vétéran. Mobili est un authentique artiste.

Mais, et c'est ce qui fait toute la différence, c'est également un narrateur. Dans la bande dessinée, il ne suffit pas de bien dessiner (en général ou des trucs particuliers). Il faut savoir raconter en images, c'est l'art séquentiel théorisé par Will Eisner. Le dessinateur de bande dessinée est un conteur à part entière, pas un illustrateur. Il sert le scénario mais il le magnifie aussi, il le booste, il le plusse comme disait Alex Toth (autre grand "professeur" es-comics).

Cet épisode en donne une démonstration impeccable : la majorité de ce qui y est raconté tient de l'évocation, du flashback, avec justement des vignettes et de la voix off, des faits rapportés par Hillary Cross. Donc, on est dans un registre descriptif. On peut en disposer de bien des manières : par exemple, Ed Brubaker et Sean Phillips séparent strictement le texte du dessin qui l'accompagne pour que chacun appuie ses effets tout en se répondant.

Mobili opère différemment parce que Peter Warren est moins bavard que Brubaker, dont les voix off ressemblent à des blocs très littéraires. Le dessin de Mobili fait écho au texte de Warren sans répéter ce qui est écrit mais, à la manière d'un monteur de film, en en tirant les images les plus fortes, et sans répondre au texte, mais en l'accompagnant Le résultat est infiniment plus fluide.

Puis, passé ce passage évocateur, quand la narration redevient active, Mobili fait parler sa technique et son sens du spectacle avec, ici, des pleines pages aux compositions superbes, dynamiques et intenses, ou un "gaufrier" à l'avant-dernière page qui cadre les visages des protagonistes pour saisir leur sidération face à ce que lecteur découvre, lui, à la dernière page. L'effet est simple mais puissant, parce qu'ainsi on sait à la fois que la dernière page va être bouleversante mais sans mesurer à quel point.

Que ces miracles narratifs perdurent depuis six mois tient du miracle. Ou d'immenses talents conjugués - je préfère cette option car en bande dessinée, il n'y a pas de miracle. Juste du travail. Et celui de The Tin Can Society, c'est vraiment du très beau travail.

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