vendredi 7 mars 2025

JSA #5 (Jeff Lemire / Diego Olortegui)


Flanqué de Kid Eternity, Hawkman, délivré de ses liens, voit Hawkgirl arriver à son secours. Cependant, Dr. Mid-Nite échappe à Scandal Savage et à la Société d'Injustice en emmenant avec elle le corps sans connaissance d'Obsidian. Sand et Jade comprennent que la disparition de Beth Chappell est le fait d'un traître dans les rangs de la JSA...


C'est un épisode extraordinairement dense, il s'y passe une multitude de choses, animant beaucoup de personnages, dans des endroits divers... Et pourtant Jeff Lemire réussit l'exploit de ne jamais nous perdre en route. Le lecteur se surprend même à questionner comment l'auteur fait pour faire tenir tout ça dans une vingtaine de pages.


Il ne s'agit pas, pour Jeff Lemire, de témoigner de son amour pour ces héros, cette équipe pléthorique qu'est la JSA : il y a la volonté de le prouver. Et pour cela, il semble avoir refusé de choisir une incarnation de la JSA : il prend tout, tout le monde, dans toute sa diversité et en rajoute même, comme on peut le découvrir avec l'apparition d'une nouvelle incarnation de Kid Eternity.


Il fut un temps, dans les années 50-60 du siècle dernier, où un épisode de comics, en faisant déjà une vingtaine de pages, était découpé en segments, en chapitres : cela donnait à la lecture un côté théâtral, avec une exposition, de l'action, un dénouement. C'était aussi une époque où la notion d'arc narratif n'existait pas, ou si peu, et chaque épisode était auto-contenu.


Ce procédé a mal vieilli, il suffit pour s'en convaincre de relire ces comics d'un autre âge, avec des dialogues très explicatifs, des cartouches, et ce séquençage très particulier qui nuisait au rythme même de l'histoire en train de se dérouler. Mais Jeff Lemire pourrait bien avoir repris ce concept en le modernisant dans JSA.

Fréquemment, à chaque épisode, il segmente son scénario par des cartouches indiquant avec quel(s) personnage(s) on va se trouver, dans quel lieu, quelle situation. Ce sont des repères pour justement éviter qu'on ne s'égare avec la foule de héros et de vilains mis en scène dans la série. Mais c'est aussi une référence à la narration des comics du Silver Age.

Et, ainsi, la densité d'informations que dispense l'auteur devient plus fluide à défaut d'aboutir à un récit plus rythmé. Il faut rappeler que Lemire voir loin : il a prévu que cette histoire, Ragnarok, durerait un an, soit douze épisodes. Il ne prend pas son temps, mais il l'a (en tout cas tant que la série ne déçoit pas commercialement).

Le lecteur, lui, ne peut pas s'ennuyer : à la manière d'un zapping permanent, on passe d'un personnage ou groupe de personnages à un autre, d'un décor à un autre, d'une situation à une autre. Et surtout on voit, de manière évidente, ce qui relie tous ces éléments. Lemire a pris soin de nous révéler assez tôt les ressorts de son récit, quitte à se griller au niveau du suspense.

Mais le scénariste est assez malin et inventif pour avoir en réserve assez de coups de théâtre, de péripéties. Par exemple, on suit le personnage d'Obsidian sur pas moins de trois niveaux narratifs : d'abord aux côtés de Jakeem Thunder dans une sorte de dimension onirique où ils ignorent qu'ils sont la proie d'un cauchemar ; ensuite aux côtés de Beth Chappell (Dr. Mid-Nite) où il est inconscient, précisément en train de dormir ; et enfin aux côtés de Wildcat II, Jessie Quick et Hourman où, en vérité, il s'agit de Johnny Sorrow qui a usurpé son apparence et son identité.

Trois Obsidian, ça peut paraître confus, too much. Mais le lecteur différencie chacun de ces trois aspects du personnage. Tout est l'avenant, qu'il s'agisse du moment où Sand et Jade comprennent qu'il y a un traître dans les rangs de la JSA, que Wildcat I, Jay Garrick, Alan Scott et Dr. Fate sont coincés dans la Tour du Destin assiégée, de Beth Chappell fuyant le repaire de la Société d'Injustice, de Obsidian et Jakeem Thunder prisonniers de leurs rêves...

Avec un script aussi fourni, la tâche du dessinateur est plutôt ingrate en surface : il ne faut surtout pas en rajouter. Mais en même temps il faut livrer des planches qui rendent justice au scénario, être spectaculaire quand cela l'exige, angoissant aussi au besoin. Diego Olortegui, de retour, s'en sort mieux que bien.

L'artiste se montre généreux mais c'est aussi parce qu'il a eu le temps de travailler et que ses suppléants n'ont pas abaissé le niveau de qualité. Olortegui se distingue notamment pas deux doubles pages formidables (voir plus haut), mais quand il doit mettre en image un dialogue entre deux personnages dans une pièce, il réussit tout aussi bien à restituer l'intensité du texte.

Au niveau éditorial, c'est admirablement géré : dessiner un team book est exigeant et avoir dès le départ prévu des doublures à Olortegui permet à ce dernier d'être toujours au top et à ses remplaçants de prouver qu'ils ne sont pas là pour gâcher la fête. On peut déplorer qu'Olortegui ne puisse pas enchaîner davantage d'épisodes à la suite, mais je préfère qu'il soit là au maximum de ses capacités que de s'épuiser au fil des mois.

Ce qui est aussi certain, c'est que JSA me comble plus que Justice League Unlimited : Jeff Lemire signe une saga plus classique mais narrativement plus ambitieuse, et graphiquement s'il ne dispose pas d'un bourreau de travail comme Dan Mora, le résultat n'a vraiment pas à rougir de la comparaison.

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