J'ai d'ailleurs décidé de ne plus lire les séries du label Ghost Machine qu'en trade paperback (et ainsi j'ai revendu mes floppies de The Rocketfellers dont j'ai effacé les critiques et dont je parlerai quand le premier recueil sera disponible). Pour Redcoat, nul besoin de prérequis sur l'univers de The Unnamed, même si cette série s'inscrit dans un corpus comprenant Geiger, Junkyard Joe et prochainement First Ghost.
Geoff Johns a pendant longtemps été l'architecte du DCU avec des succès comme JSA ; Green Lantern ; Justice League. Puis son étoile a lentement pâli quand son nom fut mêlé à la débâcle du Snyder-verse au cinéma et que Jim Lee, après l'éviction de Dan Didio, devient le seul vrai capitaine de DC Comics. Finalement, Johns a quitté le navire sur un ultime run de Justice Society of America l'an dernier.
Mais entre temps, il avait commencé à mettre en oeuvre son grand projet en creator-owned, d'abord avec les séries Geiger (dessinée par son vieux complice Gary Frank) puis Junkyard Joe (toujours avec Frank), jusqu'à la création du label Ghost Machine hébergé par Image Comics. Fort d'un carnet d'adresses en or, Johns a convaincu plusieurs de ses amis de le rejoindre, contrat d'exclusivité et liberté artistique à la clé.
Redcoat est donc le quatrième titre (après Geiger, Junkyard Joe et Hyde Street) qu'écrit Johns pour Ghost Machine. Comme les trois autres, il n'a rien à voir avec l'univers des super-héros (notoirement absent des productions du label). Mais le plus surprenant, c'est qu'il s'agit d'une histoire historique, fantastique et picaresque.
Le héros est Simon Pure, un soldat britannique déserteur durant la guerre d'indépendance, devenu immortel après avoir interrompu une cérémonie occulte ayant pour acteur Benjamin Franklin. Un siècle après cet événement, au lieu de mettre à profit ce cadeau, Pure est resté cet individu médiocre, sans ambitions, collectionnant les aventures amoureuses et les dettes.
Après avoir été tué par des créanciers, il est déterré par un jeune garçon allemand qui tente de le convaincre qu'il peut sauver les Etats-Unis d'une vaste conspiration apocalyptique. Ce gamin n'est autre qu'Albert Einstein et il aura bien du mal à impliquer Pure qui pense d'abord à échapper à de mystérieux hommes en cagoules semblables à ceux qui l'ont rendu immortel.
S'ensuit un récit échevelé, sans temps mort, avec moult courses poursuites dans le New York de 1892, en compagnie d'un autre immortel, au coeur d'un complot ourdi par George Washington. On n'attendait vraiment pas Johns sur ce terrain mais il s'y montre étonnamment à son aise, semblant avoir trouvé un nouveau souffle et un regain d'audace.
C'est manifeste à la fois dans la caractérisation de Simon Pure, un gredin égoïste, lâche, obligé de se mêler de cette affaire quand il apprend que ses jours sont comptés ; mais également dans le ton du scénario. En effet, on rit souvent tout au long de récit palpitant, avant un final dont l'émotion vous saisit de manière imparable - le 7ème épisode est un épilogue détaché du reste mais poignant.
Johns n'est pas le seul à avoir voulu surprendre ses fans puisqu'il a attiré Bryan Hitch, co-créateur à part entière. L'artiste qui avait fait le tour de Marvel (où il n'a jamais fait mieux que ses épisodes sur Ultimates) et DC (où il a été à la fois scénariste et dessinateur) voulait manifestement sortir de sa zone de confort.
Mais Hitch reste Hitch, ce bonhomme taillé pour la démesure. Avec Andrew Currie à l'encrage (un de ses partenaires favoris), et après avoir complètement changé sa façon de travailler suite au diagnostic de ses troubles bipolaires, il affiche désormais un rendement impressionnant alors qu'à ses débuts il avait du mal avec les deadlines.
Aujourd'hui, le trait de Hitch a perdu de sa rondeur mais a gagné en efficacité et en volume. Si vous aimez ses planches bourrées de détails, ses décors fournis, ses personnages réalistes avec des vêtements d'un réalisme pointilleux, alors la lecture de Redcoat va vous combler. L'artiste a lui aussi, comme son scénariste, trouvé une nouvelle jeunesse.
On ne l'avait pas vu si inspiré, si motivé depuis des lustres. De son propre aveu, cette série lui a redonné l'envie et c'est ce qu'il a signé de plus abouti depuis son run sur Hawkman (en 2018). Il donne à Simon Pure les traits de l'acteur Charlie Hunnam (vu notamment dans Triple Frontière et bientôt dans la série Criminal d'après les comics de Ed Brubaker et Sean Phillips), sans que cela ne parasite la lecture.
Lorsqu'au #7, il doit représenter Einstein en 1955, la ressemblance est également parfaite avec le grand physicien. Mais il ne faudrait pas limiter les efforts de Hitch à son talent de portraitiste. Son découpage est très énergique, ses compositions à la fois amples et parfaitement maîtrisées, le flux de lecture est d'une fluidité parfaite. Grâce à l'artiste, Redcoat s'impose comme une réussite totale.
Si totale que, d'ailleurs, ce premier arc se suffit à lui-même. Il pourrait s'agir d'une mini-série et ce serait impeccable. Mais Johns et Hitch ont repris le collier, après une brève pause, et, ma foi, cela donne très envie de découvrir où ils vont entraîner Simon Pure surtout quand on sait, d'après les planches extraites de Geiger 80-Page Giant Special #1, que l'immortel est encore vivant au XXIème siècle...
A suivre donc.
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