samedi 29 mars 2025

ABSOLUTE MARTIAN MANHUNTER #1 (of 12) (Deniz Camp / Javier Rodriguez)


John Jones est un agent du F.B.I. affecté au département de la stochastique. Alors qu'il était dans un coffee shop, un homme avec une ceinture d'explosif a surgi et s'est fait sauter. John s'en est tiré avec des blessures superficielles et, contre l'avis du médecin, de sa hiérarchie et de sa femme, il a tenu à continuer à travailler. Sauf que John n'est plus le même depuis cet événement...


J'ai eu l'occasion, après avoir lu ce premier épisode de Absolute Martian Manhunter, de féliciter sur BlueSky, les auteurs, Deniz Camp et Javier Rodriguez, pour leur réalisation véritablement exceptionnelle. Je leur ai dit que Johan Cruyff avait inventé le football total et qu'ils venaient de concevoir une sorte de bande dessinée totale.


Jusqu'à présent je me suis tenu éloigné des publications estampillées Absolute (Batman, Superman, Wonder Woman). La semaine dernière, un ami m'a fait lire le premier n° de Absolute Flash (par Jeff Lemire et Nick Robles) qui m'a laissé complètement froid. Mais j'attendais avec curiosité Absolute Martian Manhunter et fondais de grands espoirs à son endroit.


Le fait d'avoir choisi le Limier Martien comme cinquième héros de cette collection a de quoi surprendre car, même dans l'univers DC classique, c'est loin d'être une vedette comparable à Batman, Superman, Wonder Woman et Flash. Il aurait été plus prévisible d'avoir un Absolute Green Arrow ou Aquaman. Mais DC a fait preuve d'audace, qui plus en laissant carte blanche à Deniz Camp et Javier Rodriguez.


Le scénariste (qui écrit également la série Ultimates pour Marvel) et le dessinateur (qui sort du succès de Zatanna : Bring down the house) ont en effet conçu leur projet volontairement en marge du reste de la gamme Absolute. Il s'agissait, de leur propre aveu, de produire quelque chose de différent, pas seulement dans cet univers de poche, mais en général.

D'ailleurs, la série n'était programmée que pour six numéros. Mais les retours très positifs de ce premier épisode ont convaincu l'éditeur de poursuivre l'aventure en laissant à Camp et Rodriguez le champ libre pour douze épisodes (et plus si affinités). Et, pour ne rien gâcher, avec la promesse que Rodriguez dessinerait tout, sans fill-in (ce qui suppose que ce ne sera pas forcément mensuel à partir d'un moment, peut-être avec un break entre le n°6 et 7).

Cela fait penser à ce qui s'était passé pour Poison Ivy de G. Willow Wilson et Marcio Takara. Mais Absolute Martian Manhunter est une offre bien plus radicale. Le principe de cette collection est de dépouiller les personnages de ce qui les définissait dans l'univers classique : par exemple Batman n'est pas un riche héritier avec un majordome et une Batcave, Superman est vraiment le dernier survivant de Krypton, Wonder Woman a été élevée en enfer, etc.

Ici, donc, pas de professeur Mark Erdel qui a téléporté par erreur un martien sur Terre avant de succomber d'une crise cardiaque devant la créature. Deniz Camp sépare John Jones du martien dont il est l'alias dans la continuité ordinaire. Ici, il s'agit d'un simple agent du FBI affecté au département stochastique qui survit à un attentat.

Sauf que, depuis, John perçoit la réalité différemment, il il entend des voix de manière de plus en plus envahissante, dont celle d'un inconnu qui paraît vouloir communiquer avec lui. Est-il en train de perdre les pédales ? Hallucine-t-il ? Est-il sujet à un stress post-traumatique ? Ou bien une entité surnaturelle est-elle réellement en train de cohabiter avec lui ?

Avant d'aller plus loin, je vous en conjure, si vous voulez suivre cette série en vo mensuellement, achetez ce numéro 1 en version physique car les deux dernières pages (recto/verso) vous réservent une merveilleuse surprise dont vous privera la version numérique. En effet, sans rien spoiler, en plaçant l'avant-dernière page devant une source lumineuse, par transparence, vous pourrez découvrir que l'image au verso complète celle au recto. Et vous réaliserez que le martien est à la fois plus drôle et inquiétant...

Javier Rodriguez est un artiste exceptionnel : celui qui a débuté en Europe (notamment avec la série Lolita HR, écrite par Delphine Rieu) avant de partir tenter sa chance Outre Atlantique comme coloriste d'abord puis dessinateur ensuite a prouvé au fil des projets qu'on lui a confiés une imagination graphique sans limites.

Après quelques fill-in sur Daredevil (période Waid-Samnee), un premier long run sur Spider-Woman (avec Dennis Hopeless), il a tout explosé sur Defenders (avec Al Ewing) et L'Histoire de l'Univers Marvel (avec Waid). Puis il a récemment migré chez DC, d'abord pour une histoire courte sur Superman (avec Christopher Cantwell dans Batman : The Brave and the Bold) puis la mini Zatanna : Bring down the House.

Mais Absolute Martian Manhunter est l'occasion de repousser encore les limites pour l'artiste espagnol qui a été la priorité de Deniz Camp. Il a conçu le design du martien en pate à modeler (avouant être incapable de produire ça par infographie) et, comme toujours, il signe dessin, encrage et colorisation. Une maîtrise complète de sa partie visuelle.

Le résultat est totalement fou mais toujours lisible. Rodriguez ne cherche pas à noyer le lecteur sous un flot d'informations graphiques juste pour épater la galerie : c'est un narrateur virtuose qui réfléchit à ses effets et veut d'abord augmenter le script par le dessin. La lecture est d'une fluidité remarquable et plonge le lecteur dans tous les états qui trouble le héros avec une efficacité redoutable.

C'est la réponse parfaite au scénario de Camp qui saisit à la perfection ce qui se joue pour l'agent Jones et sème la confusion chez le lecteur avec virtuosité. On s'interroge constamment sur la santé mentale de ce jeune homme, marié, père de famille, ayant été confronté à l'horreur absolu et dont on épouse le point de vue.

L'épisode va crescendo jusqu'aux dernières fameuses pages. C'est grisant, mais aussi très amusant. Il y a une étrangeté ludique dans l'expérience que propose Absolute Martian Manhunter qui, pour le coup, ne se contente pas de travailler son personnage en épurant mais plutôt en faisant un grand pas de côté pour questionner les notions de raison mentale, d'altérité, de communication, de langage, d'appréhension du monde environnant.

Pour toutes ces raisons, c'est bien un comic-book total, qui joue avec les possibilités du média, qui se joue de nous, qui surprend constamment, qui dépasse les motifs super-héroïques et même d'univers parallèle. Là où Batman, Superman, Wonder Woman, Flash se contentent de modifications surtout cosmétiques, Absolute Martian Manhunter est absolument martien. Embarquez, le trip est génial !

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