Mais donc j'ai eu envie de vérifier cette première impression. Est-ce que j'ai complètement changé d'avis ? Non. Mais je pense qu'il y a quand même de bonnes choses et surtout que Jed MacKay a un vrai plan sur le long terme, même s'il doit sûrement beaucoup composer avec des contraintes éditoriales.
Marvel est d'ailleurs réputé pour ça : les editors regardent par-dessus l'épaule des auteurs pour s'assurer qu'ils ne sortent pas des clous, surtout quand il s'agit des séries les plus exposées - grosso modo Amazing Spider-Man, X-Men et The Avengers. Quand un scénariste accepte d'écrire un ou plusieurs de ces titres, il sait qu'il ne va pas avoir les mains libres, ou en tout cas pas tant que les chiffres de vente ne lui donnent raison.
Cet interventionnisme éditorial se vérifie ici dans le casting de l'équipe des Avengers : tous sont des personnages qui ont eu droit à leur film ou leur série Disney +. Et ce n'est que récemment que Jed MacKay a pu commencer à opérer quelques modifications, en s'appuyant sur des mouvements effectués par d'autres auteurs sur d'autres titres ou en en ayant gagné le droit de haute lutte (cela va faire deux ans qu'il écrit la série).
Ensuite se pose une autre difficulté : les Avengers sont l'équipe qui, par définition, se rassemble quand un seul héros ne peut régler un problème, affronter une menace. La série est donc fondée sur des dangers si vastes qu'elle est soumise à une surenchère permanente. C'est pratiquement tous les six mois la fin du monde, voire de l'univers. Qu'inventer de neuf alors ?
La réponse de MacKay se trouve dans son inspiration, plus ou moins assumée, verbalisée : celle du Warren Ellis de The Authority. Si les Avengers sont des super-héros moins radicaux que la super-équipe de Wildstorm, les vilains auxquels ils font face font furieusement penser à ce que Ellis aurait pu imaginer.
Mais MacKay, quand il prend la série en main, doit surtout faire avec un méchant imposé : Kang. En effet, il y a deux ans, le MCU était programmé par Kevin Feige pour que Kang remplace Thanos comme ennemi public numéro un et on devine que cela devait se retrouver également dans les comics. Depuis l'affaire Jonathan Majors (qui a conduit au renvoi du comédien), les échecs de plusieurs films, les choses ont changé...
... Mais MacKay, lui, a démarré une histoire avec Kang et il la développe malgré tout. Peut-être par pur professionnalisme. Peut-être parce qu'il apprécie le personnage (qui était au centre du one-shot Timeless de 2022, sorte de prologue à ses Avengers mais aussi gros teaser pour les comics Marvel).
Le point de départ est donc le suivant : Kang est dans le collimateur d'un certain Myrdinn et de son Cercle du Crépuscule, comme lui à la recherche de l'Instant Manquant. Celui qui en percera le premier le mystère aura les cartes du temps entre les mains. Et, après avoir été poignardé par Myrdinn, Kang demande l'aide des Avengers. Pour les convaincre, il leur permet d'éviter des catastrophes.
Mais placé dans le coma, Kang ne peut les avertir de l'arrivée sur Terre du Cartel des Cendres (Ashen Combine) dont le plaisir est d'asservir des mondes en dévastant des métropoles. L'affrontement entre Avengers et Cartel fournit l'essentiel de l'action de ces six premiers épisodes. C'est spectaculaire, grandiloquent, comme pouvait l'être un arc de The Authority...
... Sauf que le Cartel des Cendres n'a pas le charisme des vilains de Warren Ellis (puis de Mark Millar), ses membres sont affublés de noms et de pouvoirs assez grotesques (Lord Ennui...), et la résolution du conflit passe par un sursaut héroïque assez ridicule et providentielle. On a le sentiment que ces adversaires sont surtout là pour montrer que les Avengers sont des champions qui ne renoncent jamais.
Ce fighting spirit est honorable mais mine le récit par sa naïveté et son dénouement expéditif. Le plus intéressant ? La Cité Impossible qui donne son nom à l'arc narratif, une forteresse immense en orbite au-dessus de la Terre, et douée de raison, soumise par le Cartel, qui va devenir le nouveau QG des Avengers - ce qui est aussi démesuré que le Céleste du run de Jason Aaron... Et qui devance de quelques bons mois le retour de la Tour de Guet dans Justice League Unlimited !
Au dessin, C.F. (pour Carlos Fabian) Villa assure les quatre premiers numéros avant que Ivan Fiorelli ferme le ban sur les épisodes 5 et 6. Le résultat, dans un cas comme dans l'autre, est sans appel, surtout quand on voit que les couvertures de la série ont été confiées à Stuart Immonen : c'est très en-deçà de ce qu'une série pareille exige.
Villa a un trait très énergique mais parfois franchement bâclé : plus le récit avance et les enjeux augmentent, plus les décors deviennent absents et les personnages trop vite croqués. Il exagère les expressions et a recours à un découpage de plus en plus sommaire, avec une surabondance de pleines pages plus ou moins bien composées. On sent clairement qu'il n'arrive pas à tenir le rythme et surtout à s'aligner sur le côté cataclysmique de l'action.
De son côté Fiorelli apparaît plus sûr de lui mais son trait a quelque chose de trop naïf, de trop fin, et son découpage manque d'amplitude. Lui aussi ne paraît jamais en mesure de produire des pages suffisamment spectaculaires comme le réclame une telle histoire. Mais contrairement à Villa, il a le mérite d'être un peu plus flatteur avec les personnages (en même temps il ne dessine que deux épisodes).
Immonen, avec ses seules couvertures, montre ce à quoi tout ça aurait pu ressembler entre les mains d'un artiste de sa trempe, mais le canadien a-t-il encore envie de s'investir dans ce genre de projets ? Il semble quasiment à la retraite alors qu'il n'a que 56 ans ! A-t-il perdu l'envie ? Ou est-ce que plus personne ne pense à lui ? C'est un mystère. Et une forme de scandale ou de gâchis.
Bref, on ne peut pas dire que ce premier tome impressionne. Jed MacKay est plein de bonne volonté mais il semble évident que Marvel le teste pour voir ce qu'il a dans le ventre, après qu'il a brillé sur des titres moins exposés. Quant à la partie graphique, il faudra, je préviens tout de suite, s'armer de patience avant qu'elle ne convainque...
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