mardi 13 août 2024

UN FAUX MOUVEMENT (Carl Franklin, 1992)


Trois criminels - Pluto, Ray et sa copine Fantasia - commettent six meurtres la même nuit à Los Angeles en cherchant où des dealers ont planqué leur argent et leur cocaïne. Ils prennent ensuite la fuite en direction de Houston, Texas, où Pluto connaît quelqu'un qui sera intéressé pour acheter la drogue.


Les inspecteurs Dud Cole et John McFeely du L.A.P.D. sont chargés de l'enquête. Les fugitifs ont laissé un témoin, un enfant dont Fantasia n'a pas parlé à Ray et Pluto, qui leur permet d'identifier le trio. Fantasia étant originaire de la petite ville de Star City dans l'Arkansas, tout laisse penser que c'est là qu'elle ira avec ses complices. Le LAPD contacte le shérif Dale Dixon, un ami de Cole, qui se montre tout de suite très enthousiaste à l'idée de coincer trois malfaiteurs pareils malgré le danger.


Cependant, Pluto vend la voiture à un dépanneur qui leur en refile une autre. Le trio s'arrête ensuite à une station-service pour faire le plein et acheter quelques provisions. Ils sont ensuite suivis par un policier en patrouille qui les arrête pour un banal contrôle d'identité. Mais Fantasia l'abat quand il leur demande de sortir du véhicule. La nouvelle parvient à Star City où Cole et McFeely ont rejoint Dixon et peu après ils reçoivent la cassette de l'enregistrement d'une caméra de surveillance de la station-service sur laquelle on reconnaît Ray et Fantasia.


Dixon révèle alors qu'elle s'appelle Lila Walker et qu'il la connaît depuis l'enfance. Elle a quitté Star City pour faire carrière comme actrice à Hollywood et sa mère et son frère habitent encore ici...


One False Move (en vo) fait partie de cette vague de films néo-noirs apparus dans les années 80-90. Pendant longtemps, son scénario a été dans "l'enfer de Hollywood", un script passant de main en main, de studio en studio sans réussir à être financer. Pour ses auteurs, Billy Bob Thornton et Tom Epperson, deux amis qui rêvaient de percer sans y parvenir, cela représentait la dernière chance avant de repartir pour l'Arkansas 


Carl Franklin, le réalisateur, était dans la même impasse : d'abord acteur pour des séries télé (L'Agence tous risques, Cagney & Lacey), il renonce pour étudier la mise en scène. Son court métrage de fin d'études, Punk, attire l'attention et le manuscrit de Un Faux Mouvement lui est communiqué. Il est emballé et conserve Thorton au casting dans un premier rôle.


Ce qu'il y a de frappant avec ce film, c'est à quel point il a bien vieilli. Certes, la bande son trahit son époque avec une musique où un saxo ténor dégoulinant se fait entendre comme c'était la mode dans pas mal de tubes d'alors. Mais sinon, aussi bien narrativement qu'esthétiquement, c'est un vrai classique, qui s'est bonifié avec le temps.

L'histoire suit en parallèle la cavale du trio formé par Pluto (un afro-américain au quotient intellectuel développé et qui manie son couteau avec un détachement flippant), Ray (un redneck toxico et impulsif) et Fantasia (une métisse qui n'a plus d'illusions), et le trio de flics qui veut leur tendre un piège, composé des detectives Cole et McFeely (deux citadins sûrs de leur fait et méprisant le shérif de Star City qu'ils considèrent comme un plouc) et Dale Dixon (un agent apprécié dans son comté, naïf mais pugnace et courageux).

Au fur et à mesure que l'histoire progresse, Carl Franklin dresse un tableau très réaliste de l'Amérique profonde, en proie à un racisme bien enraciné, parfois maladroit, parfois franc. Dixon traite Pluto de négro sans faire attention alors que McFeeley est également noir, ce qui lui vaut un coup de pied au tibia sous la table par sa femme. Pluto est un autre cas de figure intéressant : quand les flics du LAPD l'identifient, son dossier mentionne son intelligence et son absence totale de scrupules : il n'est pas à prendre à la légère et, effectivement, en plusieurs circonstances, on le voit filmé en retrait, parlant d'une voix posée, exprimant des réflexions frappées du bon sens, et frappant impitoyablement. 

Fantasia, enfin, est une métisse. Son personnage devient rapidement le coeur du film : on la voit traumatisée par les tueries commises par Pluto et Ray, et elle-même est bouleversée quand elle abat un agent de police. Surtout, sans en dire trop, à la fin, on découvre qu'elle est mère d'un petit garçon né comme elle d'une relation avec un homme blanc qui a abusé de son pouvoir puis l'a complètement occultée. C'est une femme dépeinte de manière déchirante.

D'une manière similaire, Dale Dixon est d'abord montré comme un type sympa et simple mais lorsqu'il surprend la conversation des deux inspecteurs de Los Angeles qui se moquent de lui, de ses ambitions, de ses manières, il décide ensuite de faire cavalier seul, au mépris du danger et à la grande inquiétude de son épouse afin de "faire son boulot de flic", autrement dit de prouver sa valeur.

La remarquable caractérisation ancre l'intrigue dans un réalisme poignant et intense. Et Franklin, on comprend pourquoi, a obtenu de réaliser le film parce qu'il avait compris que c'était la clé de la réussite du projet : privilégier les trajectoires humaines et ne jamais enjoliver la réalité, ne jamais embellir la violence (qu'elle soit celle des armes ou de la société). Il tient bon jusqu'à la fin, qui n'épargne rien ni personne mais qui surtout vous cueille par cette façon anti-spectaculaire de résoudre l'affaire.

En 1992, Billy Bob Thornton était un inconnu à l'aube d'une belle carrière qui compte un autre sommet néo-noir (The Barber, l'homme qui n'était pas là, des frères Coen) : il est formidable dans la peau de Ray. Cynda Williams n'a plus jamais retrouvé un rôle comme celui de Fantasia ensuite mais la comédienne est sublime de bout en bout et on mesure donc l'injustice de son parcours (dans le film et ensuite). Michael Beach est impressionnant dans le rôle de Pluto, d'autant plus qu'il parle peu, affiche un visage impassible, mais réussit à transmettre la moindre émotion avec une étonnante subtilité. Enfin, le regretté Bill Paxton est comme d'habitude sensationnel dans la peau de Dale Dixon à qui il donne une humanité émouvante : celui qui était considéré comme le monsieur tout-le-monde du cinéma US était un acteur exceptionnel de finesse.

Un Faux Mouvement est un chef d'oeuvre du genre. A revoir absolument.

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