dimanche 4 août 2024

I CARE A LOT (J. Blakeson, 2020)


Marla Grayson est une redoutable manipulatrice. Avec la complicité du docteur Karen Amos, elle présente à un juge le cas d'une personnage âgée qui ne peut vivre sans assistance et dont elle devient la tutrice. Elle envoie la personne dans une maison de retraite privée dont le directeur est également son complice et où elle devient complètement dépendante et coupée du monde extérieur. Ensuite, Marla vend les biens de la personne pour payer ses frais de résidence et médicaux, mais en gardant une bonne part de l'argent ainsi récolté.


Lorsqu'un de ses "patients" meurt plus vite qu'elle ne l'avait escompté, Karen Amos prévient Marla qu'elle connaît une dame âgée sans famille : Jennifer Peterson est une paisible retraitée assis sur une fortune, atteinte d'un début de démence, de confusion passagère et d'un manque léger de mobilité. Marla obtient vite sa mise sous tutelle et procède aux opérations habituelles avant que Jennifer Peterson n'ait eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait.


Avant de vendre ses biens aux enchères, Marla découvre dans un tiroir la clé d'un coffre à la banque. Elle y trouve des lingots d'or, de l'argent liquide et des diamants qu'elle s'approprie pour les mettre à l'abri car ils n'ont pas été déclarés. Cependant, Fran, la partenaire en affaires et en amour de Marla, met en vente la maison de Jennifer Peterson lorsqu'un chauffeur de taxi se présente pour venir la cherche. Apprenant la situation avec étonnement, il avertit son patron, Roman Lunyov, un mafieux russe qui s'avère être le fils de la vieille dame.


Et si Jennifer Peterson n'était pas "la cerise sur le gâteau" espéré...


Présenté au Festival du film de Toronto en avant-première, I Care a Lot a bénéficié d'une sortie en salles limitée avant que Netflix ne s'en empare. Son scénariste et réalisateur, J. Blakeson, s'était fait remarquer auparavant avec La Disparition d'Elizabeth Creed (2009 - un thriller avec Gemma Arterton) et La Cinquième Vague (2016 - un film fantastique d'anticipation avec Chloë Grace Moretz). Mais ici, il signe son meilleur opus.


La première scène, dans un tribunal, où Marla Grayson convainc un juge que le fils d'une femme dont elle est la tutrice ne peut s'en occuper après avoir brutalisé un gardien de la maison de retraite où elle a été placée est un modèle du genre. Les dialogues fusent, la tension est maximale, et l'héroïne se montre impitoyable dans son rôle d'ange gardien qui se soucie tellement de ses "patients" qu'elle n'hésite pas à écarter un membre de la famille.


Puis, sans nous laisser le temps de souffler, Blakeson va encore plus loin : un vieil homme dont Marla a la charge décède. Pourtant, elle est davantage contrariée par le fait qu'elle ne pourra plus le dépouiller que par sa mort. Et surtout maintenant il faut lui trouver un remplaçant. Pour cela elle peut compter sur un docteur qui s'occupe justement de personnes âgées et n'hésite pas contre quelque compensation financière à falsifier des certificats médicaux pour convaincre la justice d'une mise sous tutelle.

Seulement voilà, Jennifer Peterson va vite s'avérer être un cas plus complexe et embarrassant que prévu. Le scénario multiplie les révélations sur cette vénérable dame fortunée en même temps qu'un mafieux russe se mêle à toute l'affaire car il est son fils. Mais lui aussi a des intérêts autres que ceux du sang et la situation ne va cesser de monter dans les tours. Qui craquera le premier ?

I care a lot pose un regard acéré sur le véritable business que représente la mise sous tutelle dans un pays comme les Etats-Unis où il existe des professionnels en affaire avec des médecins spécialisés dans les problèmes de santé liés au grand âge et les maisons de retraites privées. Le film montre clairement et de manière glaçante à quel point tout, pour Marla, est transactionnel : elle agit avec froideur, détachement, sans jamais perdre son calme ni sa détermination.

Cette blonde aux cheveux coupés en carré et aux tenues monochromes est, à sa façon, fascinante : elle est certes antipathique au possible, ne reculant devant rien pour arriver à ses fins, affichant un flegme sidérant même devant les menaces et la mort qu'on lui promet, mais elle possède un charisme et un pouvoir d'attraction dignes des grands fauves. D'ailleurs, elle se définit elle-même comme une prédatrice et ses petits vieux sont ses proies. Elle n'a absolument aucune compassion pour leur ancienneté, affirmant qu'ils sont aussi impitoyables que les plus jeunes.

Pour quand même lui donner un peu d'humanité, Blakeson en a fait une lesbienne mais même là, elle couche avec celle qui est sa partenaire en affaires, la très belle Fran, qui est un peu son pendant physique alors que Marla est cérébrale. Fran non plus ne s'embarrasse pas de scrupules quand elle passe à l'action. Le seul bémol qu'on peut adresser au script est de ne pas avoir davantage souligné ce qui les motive autant, ce qui justifie leur caractère cupide : on peut tout au plus deviner que Fran est issue d'un milieu plus modeste et donc a saisi une opportunité de s'en sortir, tandis que Marla est une figure purement capitaliste, âpre au gain, dénuée de morale et de sensibilité (sauf donc envers Fran).

En tout cas, conduit par ces deux femmes fortes, que le film ne cherche jamais à rendre plus attachantes, I care a lot se distingue déjà par cet aspect. La "proie" est aussi jubilatoire quand on comprend qu'elle ne désarmera pas et surtout qu'elle est la mère d'un dangereux mafieux qui, malgré son nanisme, est tout sauf un individu à prendre à la légère. Dans la seconde moitié du récit, les péripéties s'accélèrent, parfois au détriment d'un certain réalisme, mais c'est si prenant, si divertissant, si diabolique, qu'on ne s'en formalise pas. La partie est gagnée depuis longtemps et le spectateur conquis par cette comédie très noire.

La réalisation emballe ça avec brio, surtout parce qu'elle ne cherche pas à en rajouter formellement. Et puis l'interprétation est de toute beauté. Chris Messina campe un avocat marron qui, en deux scènes, étincelle. Dianne Wiest est épatante en vieille dure-à-cuire. Peter Dinklage est saisissant en fils mafieux colérique. Mais ce sont surtout Eiza Gonzalez et Rosamund Pike qui dominent le jeu : la première, moins dans le charme brut que d'habitude (bien qu'elle soit de toute façon incroyablement canon), prouve encore une fois qu'elle a un talent réel pour la composition (ce qui en fait une actrice plus profonde que Ana de Armas dans un registre similaire), et la seconde trouve là sa meilleure partition depuis sa révélation dans Gone Girl (rôle qui aurait dû lui ouvrir les portes d'une carrière olympique, mais à laquelle elle a préférée des films plus "auteuristes"). Elle est en tout cas exceptionnelle dans la peau de Marla Grayson à laquelle elle prête son allure distinguée et ses nuances de jeu admirables.

Quelle bonne surprise donc ! 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire