vendredi 2 août 2024

MASTERPIECE #6 (Brian Michael Bendis / Alex Maleev)


Emma et sa bande vont-ils réussir à faire tomber Zero Preston ? Rouleront-ils par la même occasion Katie Roots ? Et si oui, ne vont-ils pas s'attirer les foudres d'autres ennemis des parents d'Emma ?
 

Lire et a fortiori critiquer Masterpiece aura été une expérience, disons, étonnante. Mais finalement pas tant pour l'histoire que cette série a racontée que pour le fait de relire du Brian Michael Bendis-Alex Maleev. C'est un fan de leur run sur Daredevil et plus généralement de l'oeuvre du scénariste chez Marvel qui parle ici.
 

Lorsque j'ai découvert Bendis, cela faisait une éternité que je ne lisais plus de comics de super-héros. Et c'est lui et pas un autre qui m'a redonné le goût à cette littérature. Pourquoi lui, pourquoi ses séries ? Evidemment, la réponse n'était pas immédiatement évidente, il a fallu plusieurs années pour que je comprenne ce qui me séduisait dans le style de Bendis.


Et en fin de compte je ne peux pas dire autrement que : c'est parce qu'il n'écrivait pas ce genre de comics comme les autres, comme tous les autres. Peut-être que je me trompe mais je n'ai jamais eu l'impression que tout le folklore des super-héros intéressait vraiment Bendis : ce qui faisait le sel de ce qu'il écrivait, c'était justement de ramener le super au héros, le héros à l'humain. C'est pour ça que Daredevil lui allait si bien : il n'avait pas de super-pouvoir spectaculaire et Matt Murdock comptait autant que le diable de Hell's Kitchen.


Je pense aussi que c'est ce qui déplait autant à ceux qui n'aiment pas Bendis. Plus que ses dialogues abondants, le peu de cas qu'il a toujours fait de la continuité, il n'a jamais vraiment donné aux fans ce qu'ils aimaient, c'est-à-dire de la baston, du manichéisme, des costumes bariolés, bref ce que j'appelle le folklore. Ou ce que Warren Ellis appelle la folie des super-héros, ces individus en tenues colorées bons pour l'asile mais qui y échappent parce qu'ils reprennent la figure du chevalier.

Au fond, qu'est-ce qui différencie New Avengers et Masterpiece ? Pas grand-chose : on passe beaucoup de temps à discutailler, on règle le problème en vitesse, on fête la victoire et on pense à la suite. Car suite il y aura : ce n'est pas encore officiel, annoncé, mais la fin est trop ouverte et offerte pour que Bendis et Maleev en restent là.

Emma et sa bande sont comme Luke Cage et ses New Avengers : ce n'est pas une équipe, c'est une famille recomposée, faite de bric et de broc, dont la formation a occupé la majeure partie des six épisodes. Les méchants de l'histoire sont finalement assez quelconques, en tout cas défaits avec malice : Zero Preston devient complètement zinzin et Katie Roots se fait duper en beauté par ces gamins et leurs chaperons. Mais Emma et ses amis sont devenus une famille avec la tante inquiète, le tonton grognon, les cousins  complices, l'ami de dernière minute. 

Leur point commun : ce sont des surdoués dans leur domaine, et même s'ils n'ont pas de spécialités, ils ont des sentiments tellement forts qui les animent que ça en fait des espèces d'experts. Emma s'émancipe de ses défunts parents en assumant leur héritage, à la fois éprouvant et amusant, comme hier Luke Cage finissait par se passer de Captain America et Iron Man. Les outsiders qu'étaient les New Avengers de Cage ont fait place à un groupe de jeunes et deux vieux de la vieille affranchis d'un couple de voleurs mythiques.

J'ai déjà avancé l'hypothèse que Masterpiece pouvait être lu comme l'histoire de deux auteurs, Bendis et Maleev, désormais des vétérans, chez Dark Horse, observant de loin ceux qui régnaient ou prétendaient régner à leur place sur l'industrie chez les Big Two. Mais avec ce dernier épisode, c'est surtout un hymne à la relève, un vrai passage de flambeau et deux auteurs qui ne renoncent pas à parler aux jeunes. Ce qui empêche tout procès en condescendance ou supériorité contre Bendis et Maleev : ce ne sont pas deux auteurs en quête de revanche, ils sont là où ils veulent être.

Peut-être que pour certains, y compris parmi leurs fans, c'est une sorte de régression de produire chez Dark Horse quand on a été sur le toit du monde au temps où Marvel dépassait tout le marché de la tête et des épaules. Mais je crois vraiment que Dark Horse n'a pas la gueule d'une maison de retraite quand on voit qu'ils publient Jeff Lemire, que Mike Mignola est toujours actif, que Mark Millar a signé avec eux, que Tom King retrouve Bilquis Evely chez eux, et j'en oublie sûrement. Mais rien qu'en citant ceux-là, il faut avouer que ça ne manque pas d'allure pour un éditeur qui était donné pour mort après la perte de licences juteuses comme Star Wars, Predator, Alien.

Et Maleev ? La force tranquille, le slogan de Mitterrand, lui convient à merveille. Certes son travail sur Masterpiece est loin d'être son plus impressionnant et on a pu avoir l'impression qu'il jouait l'économie, sans jamais se forcer. C'est un décevant quand, par ailleurs, on le voit poster sur ses réseaux sociaux de sublimes peintures (à l'aquarelle, à l'huile). Mais il faut aussi admettre que Maleev parle le Bendis comme peu savent le faire. Et au bout du compte, cette simplicité du dessin qui est désormais la sienne convient superbement à la démarche modeste du scénariste.

Maleev soigne dorénavant ses personnages, il en fait des archétypes pour épouser l'ambition de son scénariste de convaincre le lecteur qu'il est présenté à des mythes vivants. Le reste passe un peu à la trappe : décors, finitions, détails, compositions, découpage. Cela laisse beaucoup de place à Ian Herring le coloriste qui se partage la tâche avec Maleev lui-même pour habiller les fonds d'images. Du coup, je recommanderai quand même de lire Masterpiece en trade paperback plutôt qu'en single issues parce que d'une traite, la fluidité de la narration graphique doit être encore plus frappante. Mais sinon, c'est très facile à lire et c'est quelque chose de toujours précieux (même si ce n'est pas ce à quoi on pense en priorité).

Masterpiece, c'est donc fini, mais pas vraiment. Comme Bendis et Maleev en fait.

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