mardi 20 août 2024

WATCHMEN : CHAPTER 1 (Brandon Vietti, 2024)


1985. Edward Blake est assassiné chez lui. La police s'interroge sur le mobile du meurtre et la victime qui a été défenestrée par un tueur assez costaud si on tient compte du gabarit de Blake. La nuit venue, Rorschach, un justicier masqué s'introduit dans l'appartement de Blake dont il connaissait la double vie. En effet, pendant une quarantaine d'années, Blake a travaillé pour le gouvernement sous l'identité du Comédien, après avoir été membre dans sa jeunesse des Minutemen, un groupe de vigilants masqués.


Pour Rorschach, dont la paranoïa est évidente et les méthodes brutales, il ne fait aucun doute que l'assassin cible des hommes masqués, bien que ceux-ci n'aient plus le droit d'être actifs depuis une loi votée en 1977 et qui les a contraints à se retirer. Rorschach, lui, a refusé cela et agit dans la clandestinité. Mais il prévient les anciens Gardiens de sa théorie qui est accueillie avec perplexité par Dan Dreiberg/le Hibou, Laurie Juspeczyk/le Spectre Soyeux et Jon Osterman/Dr. Manhattan, Adrian Veidt/Ozymandias...


Pourtant dans les jours qui vont suivre, une série d'événements va instiller le doute chez chacun : Dr. Manhattan, le surhomme le plus puissant du monde, quitte la Terre ; Veidt est la cible d'une tentative d'assassinat ; Laurie est renvoyée de la base militaire où elle vivait avec Osterman et se rapproche de Dreiberg ; Rorschach tombe dans un piège tendu par la police...


Ce résumé n'était peut-être pas très utile vu que ceux qui regarderont Watchmen : Chapter 1 ont sans doute déjà lu la mini-série écrite par Alan Moore et Dave Gibbons, parue en 1986-1987, et qui reste encore aujourd'hui le tournant majeur des comics modernes. Mais si je l'ai rédigé, c'est pour souligner à quel point cette adaptation est fidèle au matériau source.


Evidemment, Alan Moore n'a rien à voir avec ce projet : il a demandé depuis longtemps que son nom ne soit plus crédité pour les films ou séries transposés pour le petit ou le grand écran, en particulier pour Watchmen, suite à un litige entre lui et DC Comics pour l'obtention des droits de cette oeuvre. Je doute d'ailleurs qu'il s'y intéresse encore puisqu'il n'écrit plus de comics et ne s'exprime plus sur ce que produit l'industrie.


En revanche Dave Gibbons reste associé à ce qu'on fait de Watchmen et il est ici crédité comme consultant pour la production. Ce qui frappe en effet, c'est là aussi l'extrême fidélité à la charte graphique de la série originale : l'équipe artistique de Warner a fait en sorte que le trait soit le plus proche possible de celui de l'artiste.
 

Le script est signé par J. Michael Straczynski, qui avait participé à Before Watchmen : Nite Owl (dessiné par Andy Kubert) et Before Watchmen : Dr. Manhattan (dessiné par Adam Hughes), parus en 2012, qui, comme leurs titres l'indiquent, sont des préquelles à la série-mère. Il accomplit un boulot absolument remarquable en respectant au maximum l'enchaînement des scènes, le déroulement de l'intrigue, la caractérisation des personnages, la tonalité des dialogues et de la voix-off.

La réalisation a été confiée à Brandon Vietti qui, avec son équipe d'animateurs, a opté pour quelque chose qui ressemble à ce que Marvel a fait avec sa série What if...? sur Disney + : de la 3D à l'apparence 2D sur le modèle de l'ombrage celluloïd, qui donne donc une impression de 3D aplatie avec moins de couleurs d'ombrage afin justement d'imiter le dessin traditionnel des comics.

Je sais que ce style ne plaît pas à tout le monde mais, pour ma part, je suis ravi de ce parti-pris graphique que je trouve élégant, même s'il a l'air un peu statique, manquant de dynamisme (on verra ce que ça donnera pour le Chapter 2, où figurent des scènes d'action plus spectaculaires et énergiques). C'est en tout cas moins agressif que ce qui a été fait pour Spider-Man : Into/Accross the Spider-verse et c'est toujours meilleur que la majorité des cartoons DC de chez Warner, qui, à force de vouloir copier Bruce Timm, sont inférieurs à l'original ou ne font que flatter la nostalgie des fans.

Watchmen : Chapter 1 reprend la trame des cinq premiers épisodes de la série originale, c'est à dire de la mort d'Edward Blake jusqu'à l'arrestation de Rorschach. La narration intègre de manière très fluide les flashbacks sur la tentative de viol de Sally Jupiter/le Spectre Soyeux par le Comédien, l'essai raté de Captain Metropolis de reformer une équipe avec la nouvelle génération de héros, l'intervention de Dr. Manhattan et du Comédien au Vietnam, celle du Comédien et du Hibou durant les émeutes contre les masques pendant la grève de la police de 1977, l'origine de Dr. Manhattan, et même la lecture de Tales of the Black Freighter (la bande dessinée de pirates).

Straczynski, encore une fois, a su trouver des astuces prodigieuses pour que tout ça rentre dans un film de 85' sans que ce soit bourratif. C'est exemplaire et ça devrait (dans le meilleur des mondes, du moins) convaincre les fans de Zack Snyder qu'il n'y avait aucun besoin de remanier le scénario de Moore pour en tirer une adaptation modèle.

Par ailleurs, les comédiens qui prêtent leur voix aux personnages ont été idéalement castés : Matthew Rhys interprète Dan Dreiberg/le Hibou, Katee Sackhoff Laurie Juspeczyk/le Spectre Soyeux 2, Titus Welliver Rorschach, Troy Baker Adrian Veidt/Ozymandias, Michael Cerviris Jon Osterman/Dr. Manhattan et Rick Wasserman Edward Blake/le Comédien. Mention spéciale pour Welliver qui a pris des intonations incroyablement sinistres pour Rorschach et Cerviris qui campe à la perfection le détachement de Manhattan.

Se pose la question de l'utilité d'une telle entreprise ? Après les préquelles, les rééditions sans fin, le film de Snyder, la série de Damon Lindelof, les fausses suites comme Rorschach de Tom King et Jorge Fornés, était-il nécessaire d'adapter Watchmen en film d'animation ?

Répondre à cette interrogation, c'est à mon avis s'en poser une autre qui serait : faut-il relire Watchmen encore aujourd'hui ? Autrement dit : a-t-on épuisé le contenu de cette oeuvre ? Commercialement, certainement pas puisque DC n'a plus, depuis belle lurette, de scrupules à exploiter ce filon. Quant à l'histoire que raconte Watchmen, il me semble qu'on n'en fera jamais le tour complet : la richesse de ce qu'a écrit Alan Moore est impossible à mesurer, c'est d'une profondeur inégalée. Cette bande dessinée va bientôt avoir quarante ans (!) et je découvre à chaque fois que je la relis (entièrement ou partiellement) quelque chose que je n'avais pas remarqué ou considéré suffisamment.

Beaucoup d'auteurs ont voulu adapter Watchmen avant Snyder, et pas des moindres (Paul Greengrass, Terry Gilliam...), parfois en voulant notablement altérer le récit, espérant lui rajouter quelque chose qui n'était pas indispensable. Ici, le pari, c'est de transposer le comic-book le plus fidèlement possible, aussi bien narrativement que visuellement, et je pense que ça peut encore permettre à ceux qui découvriront Watchmen ainsi de se procurer le recueil de la série originale et d'apprécier son incommensurable qualité. Rien que pour ça, ça vaut le coup. Et surtout j'ai envie de dire : "enfin !" - enfin une adaptation littérale de la série. Et rien que ça.

J'ai en tout cas beaucoup apprécié le soin apporté à ce film, oserai-je dire : sa dignité envers ce qui l'a inspiré. Son intégrité. DC n'a pas été aussi décent avec Alan Moore que ce film ne l'est. Warner n'a pas encore communiqué la date de diffusion du Chapter 2 (même s'il se dit que ce serait pour la fin de l'année ou début 2025), mais je l'attends avec impatience. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire