dimanche 11 août 2024

THE POWER FANTASY #1 (Kieron Gillen / Caspar Wijngaard)


1966. New York. Etienne expose à Valentina deux options pour maîtriser la course à l'armement mondiale : prendre le contrôle de la Terre ou offrir une contrepartie aux grandes puissances. 33 ans plus tard, Etienne répond aux questions de Tonya sur la Famille Nucléaire, les cinq individus les plus puissants du monde, lorsque Ray, dans on havre flottant, apparaît dans le ciel de la ville...


Parfois, vous avez beau ne pas trop aimer un auteur, le pitch qu'il soumet au public a quelque chose de trop excitant pour que vous résistiez à l'envie de lire la série qui va le développer. C'est exactement ce qui s'est passé pour moi avec The Power Fantasy, la nouvelle création de Kieron Gillen.


Si j'ai des réserves au sujet de Gillen, c'est surtout parce que son travail sur la franchise X m'a toujours découragé : lorsqu'il écrivit Uncanny X-Men (en 2013), il ne m'avait pas convaincu de le suivre, et quand il est revenu durant la période Krakoa pour Immortal X-Men, pas davantage. Son obsession pour Mr. Sinister m'a même franchement gonflé. Ce que je sauve, c'est l'event Judgment Day durant cette période.


Avant cela, sinon, j'avais beaucoup aimé son run sur Young Avengers, et les 3/4 de The Wicked + The Divine (en fait, quand il bosse avec Jamie McKelvie). Mais de manière générale, il souffre de la comparaison avec Jonathan Hickman avec lequel il partage le goût des histoires high concept, sauf que lui a du mal à tenir sur la durée.


C'est pourquoi je fonde de grands espoirs sur The Power Fantasy. Gillen a voulu, comme il le fait fréquemment après un passage chez Marvel, revenir à quelque chose de personnel, mais en continuant à creuser sa réflexion sur la déité. Ici résumé comme : "que serait le monde avec l'équivalent de six Doctor Manhattan ?"


Dans l'univers de The Power Fantasy, des surhumains investis de pouvoirs immenses sont apparus à partir de 1945 et ont évidemment bouleversé l'équilibre politique du monde. Ne se mettant au service de personne, ils ont tous quand même pris position pour influencer ou non le cours de l'Histoire. Certains se sont carrément retirés pour ne pas se mêler des affaires humaines, d'autres travaillent dans l'ombre à on-ne-sait-trop-quoi, d'autres ont fondé leur propre société, d'autres réfléchissent à ce que pourrait être le monde, d'autres ont agi concrètement...


L'épisode s'ouvre par un dialogue entre Etienne et Valentina : lui est préoccupé par l'éthique, elle est une une sorte de déesse proactive et impulsive. Il lui explique pourquoi, selon lui, seules deux directions sont possibles : la première, interventionniste, tyrannique provoque la colère de Valentina sur le point de tuer Etienne ; la seconde, plus mesurée, la convainc de sa calmer tout en veillant au grain.

33 ans plus tard (le chiffre ne doit évidemment rien au hasard quand un auteur comme Gillen anime littéralement des dieux modernes), Etienne répond aux questions d'une journaliste sur la Famille Nucléaire, ainsi qu'on a nommée les six individus qui, comme lui, peuvent tout changer par leur puissance. Dans leur échange, on devine que, dans le laps de temps qui a séparé la première scène de cette deuxième, pas mal de choses ont bougé, dont certaines causées par Etienne, qui nourrit des regrets. Il est suggéré que des événements tragiques et considérables sont advenus à cause de choix faits par ces néo-dieux. 

Nul doute que ces mystères seront éclaircis dans les prochains épisodes et nourriront les relations actuels entre les membres de la Famille. Petit à petit, on fait connaissance avec ces six individus lorsque l'un d'entre eux, Ray, surgit dans son Havre flottant dans le ciel de New York. En apparence, Ray ressemble à un hippie à la tête d'une tribu d'adorateurs et son havre est une espèce d'île flottante immense. De plus près, ça fait plutôt penser à un gourou et une secte, parce qu'il est rapidement évident que Ray est un provocateur qui, sûr de lui et de sa domination sur les humains, teste le gouvernement américain en s 'affichant ainsi.

Et il y parvient rapidement puisque l'Etat-Major ordonne un tir pour détruire le Havre et tuer Ray. Comme il est immortel, invincible, cela n'a aucun effet si ce n'est de le mettre très en colère, menaçant de détruire un Etat entier de l'Amérique du Nord. Etienne doit consacrer tous ses efforts pour le calmer et comme en 1966 face à Valentina, deux options s'offrent à lui : se comporter en tyran et humilier Ray, ou lui donner quelque chose en contrepartie pour qu'il ne tue pas d'innocents...

Gillen fait rapidement monter la tension tout en caractérisant avec soin au moins trois des membres de la Famille : Etienne veut incarner la figure du sagesse même si on comprend qu'il a fait des erreurs lourdes en voulant toujours privilégier le compromis, Ray est donc un faux baba cool très irritable, Valentina est peut-être la plus puissante de tous mais elle a littéralement pris de la hauteur pour surveiller humains et dieux. On aperçoit aussi Masumi, qui est en retrait et se consacre à des activités artistiques ; Eliza, la plus mystérieuse, qui paraît retiré dans un monastère mais sert aussi d'intermédiaire entre Etienne et Magus, qu'on voit s'affairer avec une troupe de techniciens et d'ouvriers à quelque construction (armée ?) et qui affiche une attitude ombrageuse.

On est intrigué, accroché par ces personnages et la situation. Le monde est-il vraiment plus sûr avec six divinités pareilles ? Ce qui est certain, c'est qu'ils forment une famille qui n'a de famille que le nom, chacun étant de son côté, là encore sans doute à cause de faits antérieurs, qui se sont passés les trente-trois années précédentes. Impossible de savoir comment la série va s'articuler, se déployer ? Gillen va-t-il changer de point de vue à chaque épisode ? Chaque arc  ? Un conflit est-il en marche ? Entre humains et dieux ? Entre dieux eux-mêmes ? Beaucoup de questions donc, et autant de raisons d'y revenir.

Caspar Wijngaard est un artiste inconnu en France pour la simple et bonne raison que la série qui l'a fait connaître Outre-Atlantique, Home Sick Pilots, n'a jamais été traduite (alors que ce fut un beau succès). Ses travaux suivants, comme All Against all, non plus. Pourtant c'est un excellent dessinateur-coloriste qui sait adapter son style au récit dont il a la charge.

Moins expérimental que sur All against all, Wijngaard fait en sorte de ne pas agresser le lecteur : le découpage est simple, les couleurs agréables, il y a même une forme de douceur, mais elle est trompeuse quand le lecteur ressent les tensions entre les protagonistes, la gravité de la situation. La puissance qu'ils affichent a quelque chose de tangiblement terrible, effrayante, comme on s'en aperçoit lorsque Valentina s'emporte contre Etienne qu'elle est à deux doigts de désintégrer ou comme lorsque Ray guérit de ses blessures et semble prêt à dévaster l'Amérique.

Cette traduction graphique confirme le propos de l'histoire : personne ne devrait disposer de tels pouvoirs, c'est trop pour un seul individu, alors imaginez quand il y en a six équivalents. Wijngaard fait aussi attention à ce qu'on distingue facilement les membres de la Famille, chacun possédant une allure, un visage, bien à lui. On peut remarquer que les années les marquent physiquement à la barbe blanchie d'Etienne. Ce ne sont pas tous des athlètes bodybuildés non plus : Valentine est massive, Ray a de la bedaine... Magus est flippant avec son costume et son casque tout comme Eliza dans sa cellule baignée d'une lumière rouge.

Tout compte fait, on a l'impression de lire quelque chose qui n'est pas si éloigné des X-Men période Krakoa, qui avait bâti une nation souveraine, développé une médecine révolutionnaire, vaincu la mort. Mais libéré des contraintes éditoriales et de la continuité, Gillen et Wijngaard peuvent aborder des questions plus frontalement, comme la responsabilité qui incombe (ou pas) à des êtres aussi supérieurs et la manière dont l'humanité les perçoit (ou pas puisque Etienne, en 1966, n'hésite pas à laver le cerveau des passants qui les reconnaissent, lui et Valentina, quand ils discutent dans la rue).

Un début canon donc. Croisons les doigts pour que Kieron Gillen ne dérape pas et s'appuie sur les bonnes ondes de Caspar Wijngaard.

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