mardi 6 août 2024

SHADOW DANCER (James Marsh, 2012)


1973. Les troubles qui agitent l'Irlande du Nord coûtent la vie au frère cadet de Colette McVeigh alors qu'ils sont encore enfants. 20 ans plus tard, après l'échec d'un attentat à la bombe dans le métro de Londres, Colette est arrêtée et présentée à l'agent du MI-6, Mac. Il lui propose un marché : devenir son informatrice ou purger une peine de 25 ans de prison. Elle accepte à contrecoeur d'espionner sa famille en échange de quoi, une fois sa mission terminée, elle aura une nouvelle identité et une nouvelle résidence.


Mais peu de temps après, Mac apprend que sa supérieure, Kate Fletcher, utilise Colette pour protéger un agent infiltré dans les rangs de l'I.R.A.. Il mène l'enquête pour découvrir l'identité de cette taupe afin de protéger son informatrice. D'ailleurs, elle et lui se rapprochent, échangeant même un baiser passionnée sur la jetée où ils se retrouvent pour faire le point chaque semaine. Toutefois, Colette se rend compte que Mac ne veut pas s'investir dans une liaison et elle est convaincue qu'il la sacrifiera s'il en reçoit l'ordre, même s'il ne lie farouchement.
 

Pendant ce temps, un des cadres de l'IRA soupçonne un membre des McVeigh d'avoir trahi à cause de l'échec de l'opération du métro londonien. Il pense que Colette n'est pas honnête car il ne s'explique pas comment elle a pu rentrer à Belfast aussi vite après avoir été arrêté dans la capitale britannique. Mac interroge Kate sur sa taupe mais elle se moque de lui en répliquant qu'il se fait du souci pour sa protégée car il en est tombé amoureux.


Mac accède alors, grâce à un ami au MI-5, aux archives sur les repentis de l'IRA et fait une étonnante découverte alors que l'étau se resserre sur les McVeigh quand Kevin décide d'interroger Connor, l'autre frère de Colette...
 

Il ne faut pas confondre mystère et énigme : une énigme a toujours une réponse. Sur ce principe simple repose toutes les qualités et les défauts de Shadow Dancer, thriller ambitieux mais qui pèce par excès d'opacité.


Pourtant tout commence très bien et très fort. D'abord par un bref flashback qui remonte le temps jusqu'en 1973, au plus fort des tensions entre l'Angleterre et l'Irlande du Nord. Un père demande à sa fille d'aller lui acheter des cigarettes mais elle est occupée à enfiler des perles pour un collier et donne l'argent à son plus jeune frère. Peu après, son autre frère le ramène, tué d'une balle en plein coeur, accusant la police anglaise.


Puis en 1993, on retrouve Colette, qui est désormais un jeune femme. Elle arrive en train à Londres et prend le métro. Elle se sent suivie et change plusieurs fois de ligne avant de prendre la fuite pour semer ce qu'elle pense être un flic en civil, abandonnant son sac dans un escalier et s'enfuyant par un souterrain. Mais elle rattrapée à la sortie et conduite dans un hôtel où elle fait la connaissance de Mac, un agent du MI-6. 

Il a un dossier sur son frère décédé en 73, sait que ses autres frères sont membres de l'IRA et responsables de plusieurs attentats et exécutions. Elle ne prend la parole que pour exiger de voir un avocat. Il s'absente, la fait mariner, attend qu'elle craque nerveusement et lui soumet un deal : elle devient son informatrice ou elle sera condamnée à 25 ans de prison dans une maison d'arrêt en Grande-Bretagne.

Ces vingt premières minutes (sur les cent que compte le film) sont les meilleures. James Marsh, qui vient du documentaire, installe une tension palpable avec des dialogues concis et des situations fulgurantes. Le marché qui va lier Mac à Colette évoque celui de Cary Grant et Ingrid Bergman dans Les Enchaînés, d'Alfred Hitchcock (1946), une sacrée référence.

Evidemment l'exploit que doit réaliser Marsh et son scénariste Tom Bradby ensuite est de jouer avec les nerfs de ses personnages (Colette sera-t-elle démasquée ?) et du spectateur donc. C'est là qu'interviennent les notions de mystère et d'énigme. Les auteurs auraient sans doute bien voulu que leur film et leurs héros soient de fascinantes énigmes, sauf qu'ils abusent trop de mystères et installent trop de distance entre Colette, Mac et nous pour qu'on reste accroché au suspense.

Ce qui était brillamment concis et intense, devient taciturne et sinistre. Tant et si bien que jamais le film ne permet de savoir qui sont vraiment ses protagonistes. On devine que Colette sert l'IRA tout en désirant s'en éloigner, comme le voudrait aussi pour elle sa mère. Mais ce n'est qu'une hypothèse. Tout n'est qu'hypothèse pour nous. On pense que, mais sans jamais être sûr. Et ce qui est au départ excitant devient lassant et frustrant - trop.

Mac est le personnage qui s'en sort malgré tout le mieux car, dans son cas, on peut se faire une opinion assez claire et nette : c'est un agent consciencieux, méthodique, mais animé par des sentiments, réagissant mal aux secrets que lui cache sa hiérarchie et aux découvertes qu'il fait en menant son enquête sur ces cachotteries. Par ailleurs, il apparaît sincère dans sa promesse, répétée, de protéger Colette, mais s'il est désarçonné quand elle l'embrasse brusquement et passionnément sur la jetée où ils ont rendez-vous chaque semaine pour faire le point. Sa réaction va provoquer un malentendu tragique.

En dehors de lui, tout est trop opaque, tacite, dans Shadow Dancer. Quand James Marsh fait un pas en avant pour souligner franchement un élément (comme une scène de funérailles où on constate le mouvement machiste des membres de l'IRA et le désarroi résigné des femmes), ou quand il réussit à faire resurgir le danger pour Colette (quand elle manque de se faire prendre sur le fait en train d'appeler Mac), ce ne sont que des scènes isolées dans un ensemble narratif qui se retient trop et refuse d'expliciter quoi que ce soit.

L'interprétation est au diapason. Clive Owen est comme d'habitude sidérant de classe et de sobriété dans son rôle, pour lequel, malgré le postulat de départ, on éprouve de la sympathie. Mais Andrea Riseborough, pourtant excellente comédienne, est comme prisonnière d'un scénario qui l'empêche d'exprimer quelque nuance que ce soit : Colette demeure impénétrable, insondable, alors même qu'elle est plongée dans un tourbillon terrible. C'est dommage car cela tue toute émotion et toute empathie. Gillian Anderson est honteusement sous-employée dans un second rôle pourtant fait pour créer un trouble puissant. Et Domhnall Gleeson a bien du mal à exister, cantonné à un personnage en colère mais rien que ça.

Le sujet, l'approche, laissaient espérer sinon un grand film, du moins un exercice captivant. Shadow Dancer n'est en définitive qu'un film dont on se détache progressivement car trop éteint, comme désincarné.

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