mercredi 14 août 2024

A L'OMBRE DE LA HAINE (Marc Forster, 2001)


Etat de Géorgie. Hank Grotowsky, veuf, vit avec son fils Sonny et son père Buck sous le même toit depuis le suicide de sa mère. Lui et son fils travaillent comment agents correctionnels au pénitencier. C'est là que Lawrence Musgrove attend son exécution après sa condamnation pour meurtre. Sa femme, Leticia, et leur fils, Tyrell, lui rendent une dernière visite, mais la mère du garçon est uniquement venu pour que ce dernier fasse ses adieux à son père. Chez elle, Leticia, criblée de dettes au point qu'elle sera expulsée dans trente jours, exprime sa colère contre son fils qui est obèse et se gave de sucreries dès qu'elle a le dos tourné, sans se rendre compte qu'il compense ainsi son propre chagrin.


La veille de l'exécution, Hank explique à Sonny la tradition du "bal du monstre" ou comment les agents veillent aux dernières volontés du condamné. Alors qu'ils le surveillent à tour de rôle dans sa cellule, ils sont dessinés par Lawrence. Puis c'est l'heure de le conduire à la chaise électrique : Sonny a un malaise et, plus tard, Hank lui reproche d'avoir gâché les derniers instants de Musgrove. Le lendemain matin, il décide de le flanquer à la porte mais Sonny dégaine un revolver et menace son père avant de suicider en se tirant une balle dans le coeur. 
 

Désormais veuve, Leticia subsiste avec un maigre salaire de serveuse dans un restaurant où Hank a ses habitudes. Celui-ci, dévasté, a présenté sa démission au directeur de la prison et a racheté une station service tandis que son père observe tout ça en le traitant de "faible". Il sort pour voir une prostituée mais comme elle avait aussi Sonny comme client, il la paie sans consommer. Puis en rentrant chez lui en voiture sous une pluie battante, il aperçoit Leticia sur le bas-côté : Tyrell a été fauché par un chauffard et il les emmène à l'hôpital. Mais le garçon ne survit pas.


Les jours passent. Hank revoit Leticia au restaurant et propose de la déposer chez elle après son service. Il lui avoue avoir également perdu son enfant unique. Elle l'invite à entrer boire un verre...


Que reste-t-il de Monster's Ball (en vo) ? A l'époque de sa sortie, le film avait fait sensation car il avait permis à Halle Berry de remporter l'Oscar de la meilleure actrice dans un premier rôle, ce qui faisait d'elle la première afro-américaine à décrocher la statuette. La suite fut plus douloureuse car la comédienne fit de mauvais choix et sa carrière déclina (comme d'autres lauréates avant et après elle, comme si une malédiction les frappait).


Tout d'abord, il faut revenir aux origines du projet : les scénaristes, Milo Addica et Will Rokos, étaient deux acteurs méconnus qui se sont inspirés de leur propre passé douloureux puis en ont tiré une sorte de conte cruel. Leur script a mis plus de dix ans avant de trouver un financement. Le réalisateur Oliver Stone s'y intéressa, et des comédiens de premier plan furent courtisés. C'est finalement le cinéaste suisse exilé aux Etats-Unis, Marc Forster, qui le portera à l'écran.


Tourné en cinq semains en Louisiane, bénéficiant du décor réel d'un pénitencier d'Etat, A l'ombre de la haine (quel titre français débile...) connut un joli succès en salles malgré son sujet difficile. C'est un pur mélodrame, revendiquant ses influences sudistes, mais qui joue sur les clichés pour mieux les contourner.

L'histoire suit en parallèle deux personnages qui sont liés sans le savoir et qui partagent, toujours en l'ignorant, des drames terribles. On pourrait croire que parce que lui est un homme blanc, élevé par un père raciste et élevant à la dure un fils sensible, et elle une femme noire, qui a reçu plus de coups durs qu'elle peut en encaisser, qui se montre volontiers dure avec son enfant et son mari condamné, que le développement de l'intrigue va s'articuler autour des questions raciales.

Sauf que pas vraiment. Evidemment ce n'est pas occulté, mais ce n'est pas au centre du propos. Parfois maladroitement, à force d'accabler ses protagonistes, le film se révèle surtout sensible dans sa manière de montrer comment Hank et Leticia vont se rapprocher, s'éloigner, se retrouver, et faire la paix entre eux et avec eux-mêmes. La route sera longue et la fin du film n'assène aucune certitude sur leur futur ensemble, mais c'est un plus car le spectateur, selon qu'il est optimiste ou pas, jugera.

Par ailleurs, plus que les deuils qu'ils endurent, ce qui fonde la romance tortueuse de Hank et Leticia, c'est l'homme qu'il a conduit à la chaise électrique, dont à la mort, et qu'elle a aimé puis détesté pour les avoir abandonnés, elle et leur fils. La clé, ce sont les dessins de Lawrence, qui est un artiste autant qu'un meurtrier, et dont, évidemment, Leticia découvrira que Hank a gardé les portraits que Lawrence fit de lui et de Sonny. Comment ? Je ne vous le dirai évidemment pas, mais la scène en elle-même est parfaitement amenée et se passe de dialogues, de voix off, toutes ces béquilles narratives, pour mieux laisser les émotions brutes dominer et l'ambiguïté s'installer.

On peut interpréter alors de bien des façons la réaction de Leticia. Mais la plus plausible me paraît être qu'elle décide de tourner la page, et d'accepter comme le lui dit Hank que "tout va bien se passer, je crois". Et c'est bouleversant.

Néanmoins, il existe dans le film une scène qui peut poser problème. Leticia se donne à Hank dans un moment d'intense détresse après avoir évoqué son mari, son fils, tous deux morts, et avoir besoin de se sentir bien, que quelqu'un lui fasse du bien. A ce moment-là, elle est ivre et épuisée, brisée. On la voit poser, sans même faire attention, plusieurs une main sur la cuisse de Hank, puis lui prendre la main pour qu'il caresse le sein qu'elle lui offre. Ils finissent par s'étreindre et faire l'amour avec une fougue qui est plus déchirante qu'excitée.

C'est un moment très puissant, et les deux acteurs sont extraordinaires. Mais la manière dont Forster filme ça prête à discussion car il s'attarde, avec un brin de complaisance je trouve, sur la nudité de l'actrice et insiste sur ce corps désirable. Ce qui peut faire penser que Hank en profite et que le cinéaste aussi. Halle Berry devait l'avoir deviné car elle insista et obtint que son partenaire soit également nu et montré sans pudeur comme elle pour cette scène - c'était bien avant que les "coordinateurs d'intimité" ne soient obligatoires sur les plateaux de tournage.

De manière générale, Forster manque de sobriété dans sa mise en scène où il multiplie des angles de vue alambiqués sans raison, alors que c'est quand sa caméra se pose et enregistre le plus simplement qu'il saisit le récit dans ce qu'il a de meilleur, de plus beau, de plus émouvant, de plus dérangeant aussi. Cette scène de sexe marque le paroxysme à la fois de l'histoire et du maniérisme lourdingue du réalisateur. Une autre scène d'amour est, elle, filmée avec beaucoup plus de subtilité sans perdre de force.

Halle Berry est donc phénoménale dans le rôle de Leticia. Non seulement elle est d'une beauté renversante et elle donne à chacune de ses scènes tout ce quelle a, maîtrisant royalement sa partition (le rôle avait été refusée par Angela Bassett et Vanessa Williams, d'abord pressenties). Billy Bob Thornton est aussi d'une finesse épatante, parvenant à communiquer ce que traverse son personnage en en faisant le minimum, ce qui n'aurait sans doute pas été le cas avec Harvey Keitel ou Robert de Niro, préalablement sollicités. Le regretté Heath Ledger apparaît peu mais rappelle à quel point sa présence était mémorable (lui aussi hérita du rôle offert à Wes Bentley). Enfin, plus ironiquement, voir Sean Combs (aka P. Diddy) dans la peau du condamné trouve un écho troublant aujourd'hui qu'il est lui-même rattrapé par la justice pour viol et agression sexuelle sur mineure.

Inégale esthétiquement, mais porté par des interprètes au sommet de leur art et une histoire poignante, A l'ombre de la haine continue de vous remuer plus de vingt ans après.

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