samedi 17 août 2024

LOKI : AGENT OF ASGARD, VOLUME 3 : LAST DAYS (Al Ewing / Lee Garbett)


Son crime révélé, Loki est banni d'Asgardia par Freyja. Celle-ci se rend ensuite dans la cellule où est détenu le vieux Loki qui s'est évadé. Loki erre dans le vide où il croise Odin qui lui conserve son affection mais ne peut excuser ce qu'il a fait et le condamne à rester sur Terre. De retour chez Verity Willis, Loki y est attendu par le vieux Loki.


Verity lâche Loki à son tour quand le vieux Loki dévoile les nombreux méfaits que sa version plus jeune a commis pour subsister. Mais comment Loki a-t-il pu devenir aussi vieux et méchant ? Ses missions accomplies pour le triumvirat de Freyja, Iddun et Gaea puis Freyja, Odin et Cul, n'ont pas suffi à changer le regard des asgardiens à son égard et n'a pu le supporter.


Pour échapper au vieux Loki, Loki plonge dans le néant où il confronte sa première version et Kid Loki qui le mettent face à ses mensonges. Mais qu'est-ce qu'un mensonge sinon une histoire ? Loki trouve le moyen de briser une première fois ce cercle vicieux en se retransformant en une synthèse de tout ce qu'il a été et rejoindre Verity.


Mais le temps lui est compté : l'incursion est sur le point de produire qui provoquera la fin de tous les royaumes. La guerre est aux portes d'Asgardia entre les troupes d'Odin et Freyja et celles de Hela auxquelles s'est rallié le vieux Loki. Loki réussira-t-il à sauver Verity et à se sauver lui-même ?


C'est un programme copieux qu'offre ce troisième et dernier tome de Loki : Agent of Asgard avec pas moins de sept épisodes. L'univers Marvel s'apprête à être chamboulé par un nouvel event conçu et écrit par Jonathan Hickman, Secret Wars. L'architecte-scénariste ambitionne ni plus ni moins de tout remodeler et pour ça il a obtenu l'impensable : l'arrêt de toutes les séries régulières de l'éditeur de Mai 2015 à Janvier 2016 !
 

Durant ce laps de temps, tous les titres se dérouleront dans le Battleworld, la dimension façonné par le Dr. Fatalis investi des pouvoirs du Beyonder. Al Ewing doit donc conclure son run avant Mai 2015 et il va produire sept derniers chapitres très denses mais toujours palpitants, bouclant sa saga dignement, sans rien bâcler, et établissant Loki comme un tout nouveau personnage pour les auteurs qui voudront l'utiliser ensuite.


On peut distinguer trois mouvements dans la fin de ce run épique. Le premier traite des conséquences de la révélation du crime commis par Loki contre Kid Loki : il est chassé d'Asgard et condamné à séjourner sur Terre. Le deuxième le met face au vieux Loki qui tient sa vengeance et peut donc, logiquement, provoquer la fin de la Terre telle que l'a vue Fatalis. Le troisième est la conclusion des aventures de Loki et l'établissement de son nouveau statut, passant du dieu de la malice à dieu des histoires.


Et on se rend compte en définitive que, depuis le tout début, c'est le thème de la série écrite par Al Ewing : une histoire sur les histoires, sur les notions même d'histoire, de fiction, de mensonge, ce que cela dit de nous, de ce qu'on laisse comme impression, de la possibilité de se réinventer et donc d'écrire sa propre histoire en transcendant ce qu'on a déjà vécu.

Loki est le véhicule parfait pour cela car c'est un être en changement constant : il a été mauvais, il a été bon ; il a été enfant, jeune homme, adulte, vieux ; il a été homme et femme ; il a été le sujet d'histoires et le créateur d'autres histoires. Il le sujet et l'objet. Il est terriblement humain et complètement divin.

Face à son moi futur, face à une femme qui détecte les mensonges, face à son père et à sa mère adoptifs, face à son demi-frère, face à lui-même enfin et surtout, Loki découvre que se battre n'est pas la solution. Il lui faut dépasser cela pour trouver la paix et faire la paix avec les autres, se réconcilier, embrasser tout ce qu'il fut, tourner la page et écrire le nouveau chapitre de son existence.

D'une certaine manière, la fin du monde est un sas pour lui, une passerelle. Parce que, comme il l'explique, même après la fin du monde, il reste des histoires à raconter et si ce n'est pas lui qui les écrit, il peut être celui qui les dira. Ce thème entre en résonance, à un niveau plus intimiste quoique non dénué de spectaculaire, avec ce que fut Secret Wars de Hickman.

Pour comprendre cela, il faut revenir sur ce que fut cet event. Secret Wars a d'abord été le nom d'un des premiers events Marvel en 1984-1985, écrit par Jim Shooter et dessiné par Mike Zeck et Bob Layton, qui introduisit dans l'univers Marvel une de ses entités les plus puissantes, le Beyonder. Ce dernier est aussi à l'origine de l'histoire de 2015-2016 puisque Fatalis récupère sa puissance absolue et remodèle l'univers selon ses fantasmes.

Les mois précédents le début de cette saga, toutes les séries régulières sont estampillées Last Days, pour bien signifier aux lecteurs que tout va effectivement s'arrêter. Certains fans rêvèrent d'un reboot à l'issue de Secret Wars, mais Marvel n'a pas voulu aller aussi loin (par peur d'aller trop loin ? De revivre l'échec du New Universe dans les années 80 ? Pour ne pas avoir l'air de copier les New 52 de DC ?). Toutefois est-il qu'en Février 2016, à part quelques modifications à la marge (comme l'inclusion de Miles Morales à l'univers classique de la Terre-616 et la disparition des Fantastic Four - dont Marvel n'avait pas les droits d'exploitation cinématographiques à l'époque), la révolution imaginée par Hickman accoucha d'une souris. Le scénariste, lui, quitta l'éditeur au terme de son récit et n'y reviendra qu'en 2019.

Loki : Agent of Asgard n'a pas échappé à ces Last Days, qui donne d'ailleurs son titre à ce troisième tome. Mais Ewing a sur négocier cette échéance magistralement pour amener Loki là où il le voulait et en veillant à ce qu'on ne puisse pas revenir sur ce qu'il avait fait (sauf à se foutre ouvertement de la gueule du lecteur... Ce qui n'a jamais effrayé Marvel, mais qui s'en est dispensé jusqu'à présent pour ce personnage).

La conclusion tient en peu d'étapes : Loki comprend, par la démonstration cinglante que lui fait le vieux Loki, que, malgré tous ses (leurs) efforts, rien, jamais, ne changera le regard des autres sur lui. Pourtant le vieux Loki n'avait pas prévu deux choses : 1/ que l'incursion allait provoquer la fin de tout (absolument tout, pire que le Ragnarok) et 2/ que Loki allait trouver une issue, une alternative à ce qu'il a été et à ce qu'il allait devenir.

L'incursion débutant, la guerre éclatant à Asgardia, Loki se réfugie un temps dans le néant puis fait deux rapides crochets par la Terre, pour sauver Verity Willis (de manière certes dérangeante pour elle mais tout de même il lui épargne la fin du monde), puis par Asgardia justement pour faire comprendre aux deux camps en conflit (Hela et Odin) qu'il n'est ni avec l'un ni avec l'autre.

Il est alors soumis au jugement de Ceux-qui-siègent-dans-l'ombre. Mais même face à eux, il a la réponse : la fin de tout va les emporter, ils seront de l'histoire ancienne, et comme Loki est le dieu des histoires, il protégera la leur comme toutes les autres au moment de la renaissance de l'univers. Comme dans sa série en streaming, Loki, selon Ewing, accède à un rang insoupçonné, élevé, supérieur. Mais il n'est pas grisé par cela car il a appris de ses erreurs, dont justement la griserie qu'offre la puissance. Il ne reste plus qu'à traverser une ultime porte, qu'il trace lui-même dans le vide sidéral, immaculé, virginal. Next.

Et ce mot, "suivant", sera le sésame de Defenders Beyond écrit par Ewing...

Lee Garbett dessine l'intégralité de ce volume 3, sept épisodes de rang. On peut juger cela normal, mais par les temps qui courent, avec la multitude d'artistes n'arrive pas à compléter un arc entier souvent moins long, la performance est à souligner.

Son travail est magnifique, moins pour ses qualités techniques - comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, Garbett n'est pas un artiste qui brille par sa maestria, il est plutôt de la classe des artisans sérieux, réguliers, appliqués - que par sa constance. Aucun numéro ne trahit le moindre signe de fatigue, d'essoufflement, tout est d'une admirable permanence, d'une impeccable propreté.

C'est en cela aussi que cette série reste si agréable à (re)lire : parce que, précisément, elle est très lisible, très claire. Le scénario est dense, complexe, il manie des concepts forts, à la fois intimistes est spectaculaires (et ce tome alterne de façon foisonnante les moments introspectifs et épiques), mais le dessin ramène tout ça à hauteur d'homme. C'est cela, la grande réussite de Loki : Agent of Asgard : plutôt que d'épouser le point de vue d'un dieu, tout est raconté de manière divertissante, abordable, grâce au dessin de Garbett. 

L'artiste nous prend par la main, nous guide, nous entraîne, faisant passer le discours ambitieux du scénariste comme une lettre à la poste. Si on aime et comprend Loki, c'est parce qu'au fond il nous apparaît familier, on peut s'identifier à lui, ou du moins saisir qui il est. Comme nous, il est bon ou mauvais, généreux ou mesquin, sympathique ou antipathique, comme nous il évolue constamment, il en bave, il se dépasse, se désespère, se relève... C'est aussi ce qui le rend sans doute, finalement, plus intéressant que Thor : il est plus ambigu, ambivalent, polymorphe. Sa quête est identitaire : il veut se racheter, comprend que cela ne changera rien fondamentalement, cherche une alternative, la trouve en lui. Et le monde extérieur, les autres, ne peuvent alors que s'y soumettre ou la rejeter totalement. Mais le lecteur, lui, sait que le Loki du début et de la fin de cette série n'est plus le même.

17 épisodes pour dire tout cela. Même pas un an et demi d'existence éditoriale. C'est dérisoire. Mais en 17 épisodes, Al Ewing et Lee Garbett en ont raconté davantage que d'autres qu'eux sur des années. Et si bien que Loki est resté tel qu'ils l'avaient laissé : passionnant, nouveau, renouvelé. Marvel devrait sérieusement songer à lui redonner une série régulière, même si ça ne sera pas facile de trouver une équipe créative aussi brillante que celle-ci.

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