dimanche 18 août 2024

DEFENDERS : PLUS AUCUNE REGLE (Al Ewing / Javier Rodriguez)


Qui est le Voleur Masqué ? Nul ne le sait. Mais son masque est de la même substance que l'entité cosmique Eternité et depuis des décennies il a été l'objet de bien des convoitises et ce derrière quoi plusieurs individus se sont cachés. Son pouvoir permet à son détenteur d'égaler la puissance de son adversaire mais le masque consume aussi celui qui le porte.
 

Le Voleur Masqué actuel pénètre dans le Sanctum Sanctorum du Dr. Strange qui n'apprécie guère cette intrusion dans sa maison. Après l'avoir désarmé, il lit ses origines grâce à l'Oeil d'Agamotto et comprend que son porteur est traqué par une organisation secrète du nom de l'Enclave dont le dernier représentant est un savant fou, Carlo Zota.
 

Zota était en possession d'un grimoire que le Voleur Masqué a détruit et suite à cela, le savant a disparu dans le continuum temporel. Pour le retrouver et l'empêcher le cours de l'Histoire, Strange invoque une équipe de Défenseurs grâce à un jeu de tarot.


Le Surfeur d'Argent, la Harpie Rouge, Nuage suivent Strange et le Voleur Masqué dans le passé où ils font la connaissance de Taia, la mère de... Galactus ! Ils sont remontés tellement loin dans le temps qu'ils ont atteint le 8ème cosmos menacé par Omnimax le dévoreur dont Zota est devenu le héraut. Ce n'est que le début d'une aventure pour empêcher une catastrophe multiverselle...


Al Ewing avait déjà participé à une précédente mini-série avec les Défenseurs intitulé Defenders : The Best Defense, en 2018, co-écrite avec Gerry Duggan, Chip Zdarsky et Jason Latour et co-dessiné par Greg Smallwood, Jason Latour, Carlos Magno et Joe Bennett. Il remet donc le couvert, mais en se passant de Hulk et Namor au profit dans un premier temps d'un casting comprenant Dr. Strange, Silver Surfer, la Harpie Rouge, Nuage et Taia.
 

Cette première mini-série Defenders date de 2021 et Ewing s'attache les services au dessin et aux couleurs de Javier Rodriguez, qui a impressionné tout le monde en illustrant L'Histoire de l'Univers Marvel de Mark Waid. Il faudra bien la folie graphique de l'espagnol pour soutenir l'intrigue délirante concoctée par Ewing. Car la lecture n'est pas des plus aisés, il faut s'accrocher et même, dirai-je, accepter de ne pas tout saisir.


Panini Comics a eu la bonne idée d'ajouter les pages de Marvel Comics #1000 auxquels a participé Ewing et qui retrace l'histoire du masque d'Eternité. On peut toutefois se demander pourquoi dans l'album ces pages se trouvent au milieu, entre les deux mini-séries alors qu'elles se situent chronologiquement avant... Comme le résumé ci-dessus l'explique, le masque d'Eternité a beaucoup voyagé, connu plusieurs porteurs, et a été convoité de longue date par l'Enclave, un groupe de savants dont Carlo Zota est le dernier survivant.

Zota a fait partie du programme Korvac et, lorsque sa créature lui a échappé, il a cherché à reprendre la main grâce à un grimoire que le Voleur Masqué à détruit, envoyant Zota dans le passé. Mais où et quand exactement ? Il fait donc appel au Dr. Strange pour l'aider dans sa quête. Ewing s'appuie sur une équipe de Defenders qui ne dépareille pas avec les nombreux membres tous plus bizarres les uns que les autres qu'a connu cette non-équipe par excellence. La Harpie Rouge est Betty Ross dans une dimension parallèle, Nuage est une constellation vivante, aux côtés du Surfeur d'Argent (le seul autre membre fondateur avec Strange) et Taia, la propre mère de Galactus.

J'ai souvent pensé que si Ewing écrivait un jour pour DC, il serait parfait pour deux séries : New Gods (qui va être relancé bientôt par Ram V et Evan Cagle) ou La Légion des Super Héros. Parce qu'il a ce sens du cosmique tout en le ramenant toujours à hauteur d'homme. Et c'est tout le défi de Defenders : nous embarquer avec cinq héros complètement atypiques, réunis de la manière la plus étrange, et plongé dans un précipité d'événements tous plus barjos les uns que les autres.

A mon humble avis, il ne faut pas commettre l'erreur de trop prendre ça au sérieux, de lire ces cinq épisodes au premier degré : Ewing manie des concepts trop zinzins pour qu'on puisse les apprécier avec trop de gravité. Le voyage compte plus que la destination et si vous êtes un peu intuitif, vous devinerez qui se cache derrière le masque d'Eternité du Voleur. Comment souvent avec Ewing, le récit forme une boucle où la solution est dans les premières pages et dont la conclusion vous ramène à la case départ comme une sorte de jeu de l'oie.

On fait donc un grand huit dans un train fantôme lancé à toute allure en traversant le 6ème, 5ème, 4ème et 3ème cosmos tout en remontant le temps jusqu'avant le big bang, avant que Galen ne devienne Galactus (bien avant puisqu'il est encore un innocent nourrisson). Zota est enivré par le pouvoir et se met au service d'être puissants et primordiaux pour le posséder, comme Omnimax le dévoreur originel, Moridun, Ce-qui-doit-être. A la fin, on a même droit à un combat entre l'Existence et le Néant !

L'inspiration est évidente : Jack Kirby, sa démesure, sa folie furieuse, hante le script d'Ewing et les planches de Javier Rodriguez qui se déchaîne et conçoit un découpage fantastique. Il joue avec la disposition des cases dans la page, leur enchaînement, le sens de lecture (j'ai volontairement choisi d'illustrer cette critique avec la première page de chaque épisode, qui montre les protagonistes cul par-dessus tête car c'est ainsi que les auteurs ont voulu placer le lecteur).

Rodriguez, toutefois, comme Darwyn Cooke pour DC : The New Frontier, ne singe pas le style de Kirby. Il lui rend hommage mais en gardant son trait, élégant, tout en courbes, en déliés. Les couleurs appuient le parti-pris d'illustrations baroques, bigarrées, mais toujours lisibles. On comprend bien qu'un tel travail ne peut être accompli que sur un nombre limité d'épisodes consécutifs et c'est pourquoi le rendu est très dense tout au long des cinq numéros. Je le répète, non pas pour effrayer le lecteur, mais pour le prévenir, qu'il faut s'accrocher car ça remue pas mal et il faut même accepter de ne pas tout comprendre.

Ce qui ne veut pas dire que ce soit incompréhensible, mais Ewing complexifie avec une bonne dose de dérision dans le vocabulaire très ampoulé qu'il emploie ce qui est en fait assez simple si on le dépouille de tous ces oripeaux. Il s'agit d'une course contre la montre où les Défenseurs tentent de rattraper un savant fou qui peut réécrire l'Histoire afin de mettre la main sur le masque d'Eternité.

Me croirez-vous si je dis que Defenders est finalement assez sage en comparaison avec sa "suite", Defenders Beyond ? Et pourtant, c'est le cas de le dire, vous n'avez encore rien vu !


A la fin de Loki : Agent of Asgard (attention, spoilers !), Loki dessine dans le vide sidéral une porte au dessus de laquelle il écrit le mot "Next" (Au suivant). Que trouve-t-il derrière la porte ? Le 6ème cosmos et la salle de surveillance du multivers où travaille, entre autres, Taia, la mère de Galactus. Le temps de prévenir qu'il a, durant son passage du vide sidéral à cette pièce, aperçu quelque chose d'inquiétant, il disparaît par une nouvelle porte qu'il ouvre comme la précédente...


Depuis la précédente aventure des Defenders, Stephen Strange a trouvé la mort. Mais sachant que le multivers restait menacé, il a prévu d'en informer Adam Brashear/Blue Marvel en dirigeant un message magique à l'adresse de sa base sous-marine. Grâce au jeu de tarot, celui-ci, alors qu'il reçoit la visite d'America Chavez pour qu'il l'aide à retrouver sa soeur, convoque des renforts.


Taia et Lady Loki répondent à son appel, déjà au courant d'une menace à venir, puis Tigra. Les voilà appelés et projetés au-delà de l'espace liminal par Eternité. Ils se retrouvent devant le Beyonder et le conseil oméga. Effectivement, le multivers est en danger : la guerre primordiale entre les Célestes et les Aspirants (des Célestes rebelles) a provoqué la fin du premier firmament et la création du 2ème cosmos. Le multivers est ainsi né et le conseil oméga a été chargé d'en prendre soin de manière hégémonique. Les Défenseurs s'opposent à ce statu quo et sont expulsés dans la chambre blanche, où dort le force phénix...


Et c'est reparti pour un tour ! En 2022, toujours avec Javier Rodriguez au dessin et aux couleurs, Al Ewing imagine cinq nouveaux épisodes encore plus foutraques et imprévisibles. Comme souvent dans sa carrière, le scénariste doit d'abord composer avec ces éléments qu'il n'a pas choisis, le premier étant la mort de Stephen Strange dans les pages de sa série écrite par Jed MacKay.


Qu'à cela ne tienne, comme il sait si bien le faire, Ewing préfère tirer parti de cette contrainte plutôt que choisir une solution de facilité (comme situer son histoire avant la mort du sorcier suprême ou dans une dimension parallèle). Et mieux même : il recompose l'équipe des Défenseurs, ne conservant que Taia et sélectionnant d'autres membres qui, a priori, n'ont jamais travaillé ensemble et parfois même se détestent franchement.


Ainsi assiste-t-on aux retrouvailles de Loki (ou en l'occurrence Lady Loki) et America Chavez qui cohabitèrent bon gré mal gré dans Young Avengers. Tigra complète le tableau aux côtés de Blue Marvel, un des personnages les plus puissants du catalogue Marvel mais dont personne, à part Ewing, ne sait quoi faire visiblement (il l'a utilisé dans ses Mighty Avengers et Ultimates).

Cette fois, pas de savant fou comme Carlo Zota pour nos héros mais rien moins que le Beyonder et son conseil oméga, des entités à la puissance si phénoménale qu'elle n'a jamais été mesurée. Toutefois, Ewing leur attribue une fonction : celle de régulateurs du multivers, de gardiens de toutes les réalités, sur lesquels ils règnent de façon hégémonique. Ce qui déplaît à ces Défenseurs qui ne peuvent imaginer comment d'un claquement de doigts, sous le coup d'une saute d'humeur, ces Beyonders pourraient effacer une réalité entière (la leur pour commencer).

On renoue ici avec un thème cher au scénariste : les dangers de l'abus de pouvoir. Sinon le procédé narratif ressemble à celui de Defenders : il s'agit d'une course contre la montre lors de laquelle les héros sont bringuebalés d'endroits inquiétants en lieux défiant l'imagination. Sauf que cette fois-ci, Ewing, qui peut faire ce qu'il veut avec ces personnages que personne n'exploite (même si MacKay récupérera ensuite Tigra dans sa série Moon Knight et que America Chavez sort de sa mini Made in U.S.A.), ne démantèle pas son équipe (dans Defenders, le Surfeur d'Argent était vite sortie de la partie).

Néanmoins, le scénariste a surtout à coeur de s'amuser à nouveau avec Loki qu'il a remis en scène le temps d'un chapitre dans Thor #24 (Legacy #750), de Donny Cates et Nic Klein, à l'occasion duquel plusieurs invités ont pu ajouter leur partie pour ce numéro (les pages concernées sont reprises dans l'album traduit par Panini). Ewing avait choisi de revenir directement sur la fin de Loki : Agent of Asgard et de mettr en scène la rencontre entre ce dernier et Taia. C'est donc logiquement qu'ils débarquent ensemble quand Blue Marvel les invoque.

Si l'aventure permet à chacun de briller, y compris Tigra (a priori l'élément le plus faible du groupe), Loki est tout de même mis en valeur et encore une fois, Ewing prouve qu'il a des choses à dire à son sujet. In fine il est question de créateur et d'histoires, de remise en question du tout-puissant, d'écrire sa propre histoire. Toutes choses déjà développées par ailleurs dans Agent of Asgard. Un peu répétitif, je vous le concède, mais tellement brillamment dit, avec une mention spéciale à "la Maison des Idées", magnifiquement contextualisée ici (Ewing s'était servi de ça aussi dans Avengers : Nuit Noire, la suite de Avengers : Jusqu'à la mort, co-écrit avec Mark Waid et Jim Zub).

Javier Rodriguez rend ce voyage toujours aussi animé, élégant et coloré. Mais ici l'artiste espagnol a complètement lâché les chevaux : les doubles pages se multiplient avec des compositions virtuoses, les pleines pages affichent une puissance et une intensité électriques, le découpage est complètement pulvérisé, et pourtant tout est parfaitement lisible, fluide. C'est vraiment extraordinaire, beau, fou, totalement raccord avec le scénario, sans chercher cette fois à calmer le jeu pour prendre le lecteur par la main.

Defenders Beyond se paie même le luxe d'une fin ouverte. Aura-t-on droit à un troisième tome ? Pas sûr, ou en tout cas pas avant un moment puisque Rodriguez a migré chez DC (pour, en ce moment, dessiner Zatanna : Bring Down the House) et que Ewing est bien occupé avec The Immortal Thor, la fin de son run sur Venom et des projets à venir chez DC. (tiens, tiens... Peut-être que les deux compères se réuniront quand même bientôt).

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