vendredi 7 mars 2025

THE NICE HOUSE BY THE SEA #6 (of 12) (James Tynion IV / Alvaro Martinez Bueno)


Deux salles, deux ambiances. Pendant que les habitants de la maison de la plage complotent pour décider de la meilleure manière d'éliminer ceux de la maison du lac, ces derniers - en particulier Reg Madison et Ryan Cane - se mettent en tête d'aller rendre visite à leurs semblables pour tisser des liens amicaux. Ce, pendant que Norah et Max se retrouvent...


C'est le dernier épisode de The Nice House by the Sea avant un bon moment. A l'heure qu'il est, les fans sont dans le flou le plus complet puisqu'aucune date n'a été annoncée pour le retour de la série et son deuxième et dernier acte. Une situation qui trouble puisque pour The Nice House on the Lake, l'interruption avait duré six mois et on l'avait appris à la fin du 6ème numéro.


Mais James Tynion IV et Alvaro Martinez Bueno sont en situation de faire comme bon leur semble : leurs séries sont des cartons critiques (avec une flopée de prix glanés partout dans le monde) et commerciaux, et DC n'a visiblement pas l'intention de presser les deux stars pour préserver la qualité du titre.


Donc, en bref : il va falloir s'armer de patience. Et rien ne dit que, quand ça reviendra, on aura six ultimes épisodes en six mois. Déjà, les six premiers ont connu des retards (Alvaro Martinez Bueno est parti faire des dédicaces en Europe)... Je n'ai pas l'habitude de me formaliser sur ce point, mais là, je trouve que c'est un chouia abusé niveau planning.
 

Bon, ceci étant dit, il ne faudrait pas perdre de vue l'essentiel : la qualité du produit. Et ce sixième épisode est encore une fois magistral. Le récit occupe trois niveaux, trois actions parallèles : ce qui se prépare à la maison de la plage, ce qui se joue à la maison du lac, et ce qui s'échange entre Norah et Max.

Passons ça en revue : on le sait déjà, les habitants de la maison de la plage ne sont pas ravis 1/ de savoir qu'il existe d'autres survivants dans une autre maison car ils les considèrent comme des rivaux, une menace. Pourquoi ? Parce que, semble-t-il, Max, leur hôtesse, leur a promis des avantages et qu'ils craignent de les voir désormais partagés. Décision est donc votée d'éliminer carrément les voisins.

Dans la mesure où les occupants de la maison de la plage bénéficient de connaissances plus avancées grâce aux cadeaux que leur a faits Max (en particulier sur la régénération physique, le contrôle des éléments, etc), on se dit qu'ils ne vont faire qu'une bouchée de ceux de la maison du lac, tranquillement installés dans une existence paisible et hédoniste, malgré les drames traversés.

James Tynion IV souligne ce contraste dramatique en montrant Ryan et Reg échanger sur un projet : Reg a découvert qu'un passage était constamment ouvert entre les deux maisons et il pense qu'il est temps de se présenter aux habitants de la maison de la plage et de devenir leurs amis. Le raisonnement est logique : ils sont tous des survivants et a priori cela devrait les souder.

Mais le scénariste va plus loin dans ce malentendu en montrant les retrouvailles à l'écart de tout ça entre Norah et Max. L'épisode est entrecoupé par des mails envoyés jadis par Norman (avant donc sa transition pour devenir Norah) à Max. Il apparaît clairement qu'ils ont une relation amoureuse, que n'approuvait pas Walter, et qui s'est terminée brusquement et unilatéralement quand Max a disparu de l'existence de Norman.

Mais il devient aussi clair que, actuellement, Norah sait que Walter n'est pas mort, tout comme le sait Max. Norah sait que Walter comme Max ne peuvent mourir comme des humains, mais elle n'a rien dit à ses amis pour les conforter dans leur action. Max d'ailleurs ne se formalise pas qu'ils aient tenté de tuer Walter. Sa préoccupation est différente : l'équilibre est rompu, il faut le rétablir.

Attention, Max ne pense même pas à empêcher les habitants de la maison de la plage de mettre leur plan à exécution. C'est une expérience comme une autre et on verra ce qu'il adviendra, qui gagnera. Et les morts peuvent ressusciter avec la technologie alien de Max et Walter... En revanche, Max paraît vouloir épargner Norah à tout prix. Par remords ? Ce n'est pas clair, mais c'est fort possible.

Et le marché qu'elle lui propose à la fin de l'épisode comme la réponse de Norah a de quoi nous donner envie de lire la suite, quel que soit le moment où elle paraîtra. Tynion connait son métier et il le fait très bien. A sa manière, c'est un brillant manipulateur, comme Walter et Max - et ce ne serait pas le premier scénariste de comics à s'amuser cruellement avec ses héros et le lecteur, comme un vrai bon méchant sadique.

Visuellement, la série reste sur sa lancée : c'est aussi une expérience absolue, par un très grand artiste, Alvaro Martinez Bueno, et le résultat doit aussi énormément à sa collaboration avec Jordie Bellaire, la coloriste. Ensemble, ils réussissent à saisir le lecteur par un style radical, très audacieux, qui prouve qu'on peut proposer une mise en images hors normes sans braquer les fans.

En même temps, Martinez Bueno et Bellaire appliquent des formules simples, étonnamment simples : les scènes entre Max et Norah sont dominées par des camaïeux de bleus correspondant à la nuit et au temps pluvieux ; les scènes dans la maison de la plage sont rouges comme pour symboliser le sang qui s'apprête à couler mais aussi une sorte de fièvre assassine qui s'empare des habitants. Et les scènes entre Ryan et Reg sont les plus nuancées, comme pour signifier la bienveillance de ces deux personnages.

Le découpage est également très fluide, Martinez Bueno prenant soin de ne pas compliquer la narration pour mieux que le lecteur distingue les endroits, les personnages, les ambiances. C'est dans ce mélange de sobriété et de radicalité que The Nice House by the Sea trouble le plus. On est constamment entre deux feux : d'un côté, comme bercé par la tranquillité inéluctablement funeste du récit, et de l'autre, remué par les atmosphères contrastées.

J'espère quand même que DC ou les auteurs communiqueront assez vite sur le retour de la série parce que nous laisser ainsi dans l'expectative est un peu cavalier. Bien entendu, je serai là quand ça reprendra, mais ça va être long d'attendre quoi qu'il en soit...

JSA #5 (Jeff Lemire / Diego Olortegui)


Flanqué de Kid Eternity, Hawkman, délivré de ses liens, voit Hawkgirl arriver à son secours. Cependant, Dr. Mid-Nite échappe à Scandal Savage et à la Société d'Injustice en emmenant avec elle le corps sans connaissance d'Obsidian. Sand et Jade comprennent que la disparition de Beth Chappell est le fait d'un traître dans les rangs de la JSA...


C'est un épisode extraordinairement dense, il s'y passe une multitude de choses, animant beaucoup de personnages, dans des endroits divers... Et pourtant Jeff Lemire réussit l'exploit de ne jamais nous perdre en route. Le lecteur se surprend même à questionner comment l'auteur fait pour faire tenir tout ça dans une vingtaine de pages.


Il ne s'agit pas, pour Jeff Lemire, de témoigner de son amour pour ces héros, cette équipe pléthorique qu'est la JSA : il y a la volonté de le prouver. Et pour cela, il semble avoir refusé de choisir une incarnation de la JSA : il prend tout, tout le monde, dans toute sa diversité et en rajoute même, comme on peut le découvrir avec l'apparition d'une nouvelle incarnation de Kid Eternity.


Il fut un temps, dans les années 50-60 du siècle dernier, où un épisode de comics, en faisant déjà une vingtaine de pages, était découpé en segments, en chapitres : cela donnait à la lecture un côté théâtral, avec une exposition, de l'action, un dénouement. C'était aussi une époque où la notion d'arc narratif n'existait pas, ou si peu, et chaque épisode était auto-contenu.


Ce procédé a mal vieilli, il suffit pour s'en convaincre de relire ces comics d'un autre âge, avec des dialogues très explicatifs, des cartouches, et ce séquençage très particulier qui nuisait au rythme même de l'histoire en train de se dérouler. Mais Jeff Lemire pourrait bien avoir repris ce concept en le modernisant dans JSA.

Fréquemment, à chaque épisode, il segmente son scénario par des cartouches indiquant avec quel(s) personnage(s) on va se trouver, dans quel lieu, quelle situation. Ce sont des repères pour justement éviter qu'on ne s'égare avec la foule de héros et de vilains mis en scène dans la série. Mais c'est aussi une référence à la narration des comics du Silver Age.

Et, ainsi, la densité d'informations que dispense l'auteur devient plus fluide à défaut d'aboutir à un récit plus rythmé. Il faut rappeler que Lemire voir loin : il a prévu que cette histoire, Ragnarok, durerait un an, soit douze épisodes. Il ne prend pas son temps, mais il l'a (en tout cas tant que la série ne déçoit pas commercialement).

Le lecteur, lui, ne peut pas s'ennuyer : à la manière d'un zapping permanent, on passe d'un personnage ou groupe de personnages à un autre, d'un décor à un autre, d'une situation à une autre. Et surtout on voit, de manière évidente, ce qui relie tous ces éléments. Lemire a pris soin de nous révéler assez tôt les ressorts de son récit, quitte à se griller au niveau du suspense.

Mais le scénariste est assez malin et inventif pour avoir en réserve assez de coups de théâtre, de péripéties. Par exemple, on suit le personnage d'Obsidian sur pas moins de trois niveaux narratifs : d'abord aux côtés de Jakeem Thunder dans une sorte de dimension onirique où ils ignorent qu'ils sont la proie d'un cauchemar ; ensuite aux côtés de Beth Chappell (Dr. Mid-Nite) où il est inconscient, précisément en train de dormir ; et enfin aux côtés de Wildcat II, Jessie Quick et Hourman où, en vérité, il s'agit de Johnny Sorrow qui a usurpé son apparence et son identité.

Trois Obsidian, ça peut paraître confus, too much. Mais le lecteur différencie chacun de ces trois aspects du personnage. Tout est l'avenant, qu'il s'agisse du moment où Sand et Jade comprennent qu'il y a un traître dans les rangs de la JSA, que Wildcat I, Jay Garrick, Alan Scott et Dr. Fate sont coincés dans la Tour du Destin assiégée, de Beth Chappell fuyant le repaire de la Société d'Injustice, de Obsidian et Jakeem Thunder prisonniers de leurs rêves...

Avec un script aussi fourni, la tâche du dessinateur est plutôt ingrate en surface : il ne faut surtout pas en rajouter. Mais en même temps il faut livrer des planches qui rendent justice au scénario, être spectaculaire quand cela l'exige, angoissant aussi au besoin. Diego Olortegui, de retour, s'en sort mieux que bien.

L'artiste se montre généreux mais c'est aussi parce qu'il a eu le temps de travailler et que ses suppléants n'ont pas abaissé le niveau de qualité. Olortegui se distingue notamment pas deux doubles pages formidables (voir plus haut), mais quand il doit mettre en image un dialogue entre deux personnages dans une pièce, il réussit tout aussi bien à restituer l'intensité du texte.

Au niveau éditorial, c'est admirablement géré : dessiner un team book est exigeant et avoir dès le départ prévu des doublures à Olortegui permet à ce dernier d'être toujours au top et à ses remplaçants de prouver qu'ils ne sont pas là pour gâcher la fête. On peut déplorer qu'Olortegui ne puisse pas enchaîner davantage d'épisodes à la suite, mais je préfère qu'il soit là au maximum de ses capacités que de s'épuiser au fil des mois.

Ce qui est aussi certain, c'est que JSA me comble plus que Justice League Unlimited : Jeff Lemire signe une saga plus classique mais narrativement plus ambitieuse, et graphiquement s'il ne dispose pas d'un bourreau de travail comme Dan Mora, le résultat n'a vraiment pas à rougir de la comparaison.

jeudi 6 mars 2025

THE TIN CAN SOCIETY #6 (of 9) (Peter Warren / Francesco Mobili)


Après avoir découvert une nourrisson dans l'armure de Caliburn, Kasia l'identifie comme étant le fils de Johnny Moore et Hillary Cross. Elle embarque Greg, Adam et Val pour interroger cette dernière qui leur révèle la véritable histoire du bébé...


Un résumé concis mais en dire plus serait criminel - même si, le mois prochain, il me faudra certainement revenir sur certaines révélations... Encore que : le cliffhanger de ce sixième épisode est encore plus dingue que celui du cinquième ! D'ailleurs, plus on avance dans cette histoire et plus on est abasourdi par la maîtrise du coup de théâtre des auteurs.


Car il ne faut pas se tromper : il existe des comics où les rebondissements, les twists, appelez ça comme vous voulez, sont artificiels. C'est de la mécanique narrative : il faut surprendre le lecteur avant tout pour s'assurer qu'il continuera à lire, quitte à flirter avec le grotesque. Un exemple bien connu est la fin du run de J. Michael Straczynski sur Amazing Spider-Man : le fameux One more day.


Pour mémoire, à cette époque, JMS est le scénariste de la série depuis six ans et c'est un succès en termes critique et commercial, malgré des arcs narratifs controversés (Sins Past). Durant l'event Civil War, JMS s'acquitte brillamment d'épisodes en lien avec cette saga et va jusqu'à quasiment assassiner May Parker suite à la révélation publique de la double identité de Peter Parker (par lui-même).


S'ensuit un autre arc dans lequel Peter/Spider-Man traque le commanditaire de cette tentative d'assassinat (je ne vous dis pas qui au cas où vous l'ignoreriez). Mais tante May reste dans le coma et c'est alors que Spider-Man se voit proposer un marché pour la sauver en échange du sacrifice de son couple avec Mary-Jane Watson.

Les derniers épisodes du run de JMS seront dessinés par Joe Quesada, à l'époque grand manitou de Marvel Comics, et donc a priori un argument de poids pour impressionner les fans car il se faisait rare comme artiste, emploi du temps oblige. Sauf que Quesada va forcer Straczynski à écrire une histoire différente de ce qu'il avait prévu et le scénariste claquera la porte une fois ce chapitre terminé.

A cette époque, l'affaire fait grand bruit, moins pour l'interventionnisme de Quesada ou le départ de Straczynski que pour la résolution de l'intrigue que beaucoup juge grotesque, avec des conséquences irritantes. C'est devenu, depuis, l'archétype du coup de théâtre raté parce que dicté par des considérations éditoriales plus que logiques ou artistiques.

Dans The Tin Can Society, Peter Warren s'est quasiment fait un devoir d'étonner le lecteur à chaque fin d'épisode en entraînant son récit dans une direction imprévisible. On peut même dire qu'il a carrément commencé son histoire ainsi, en tuant le héros à la première scène. Mais il a toujours su, en revanche, échapper au ridicule, sinon en justifiant, du moins en imaginant des conséquences dignes de ce nom.

Après avoir intégré à l'intrigue les portraits, très fouillés par ailleurs, des protagonistes (c'est encore le cas cette fois, avec le personnage de Hillary Cross, la veuve du héros), et en progressant dans les découvertes qu'ils font lors de leurs investigations sur la mort de leur ami, on pouvait toutefois raisonnablement se demander ce qu'il allait pouvoir inventer d'aussi étonnant.

Et le plus fort, c'est qu'il parvient, une nouvelle fois, à nous cueillir. Ce qu'on apprend en même temps que Kasia, Greg, Adam et Val, via Hillary Cross, révèle un côté sombre de Johnny Moore mais surtout d'une de ses associées, Sharon Wagner, tout reliant le tout à la mort de Walter Gimmler et à la soeur de ce dernier, Nora, dont les vies ont été broyées pour de sombres magouilles affairistes.

Peter Warren ne perd jamais de vue l'aspect humain de son histoire qui comporte certes des éléments super-héroïques, polar et même mélodramatiques, mais qui repose avant tout sur des conflits psychologiques, des tourments relationnels. C'est âpre et déchirant, mais crédible, tout en respectant la dimension, disons, plus "fantaisiste" du paramètre super-héroïque.

Et quand arrive la dernière page, il nous sort à nouveau du chapeau un twist ahurissant, qui, là, nous laisse vraiment sur le flanc. Le septième et antépénultième épisode, le mois prochain, promet énormément tout en étant hyper casse-gueule. On peut y aller en craignant que ce bel édifice ne se fissure. Mais vu l'impressionnante maîtrise de l'ouvrage, peu de risque que tout ça se casse la figure.

Cette passionnante série, qui, pour moi, est d'ores et déjà la mini-série la plus bluffante, la plus extraordinaire, de 2025 (même si elle  a débuté en 2024), ne serait toutefois pas aussi époustouflante dans une partie graphique à sa mesure. Et là aussi, Francesco Mobili ne peut que mettre tout le monde d'accord : sa prestation tient du chef d'oeuvre.

Voilà un artiste avec une technique tout à fait virtuose. Ce n'est pas quelqu'un qui verse dans l'expérimental et épatera par ses audaces visuelles. Mais, bigre, il est balèze ! C'est d'abord du beau dessin, au trait, avec une maîtrise parfaite des fondamentaux. On a souvent, en Europe, raillé les dessinateurs de comics pour plein de raisons (leur propension à zapper les décors, leurs proportions exagérées, leur narration sommaire). Mais là, ce n'est pas possible.

Ce n'est pas possible parce que c'est vraiment très bien exécuté. On sent qu'il a eu du temps, mais surtout on voit qu'il sait dessiner, qu'il a du métier, qu'il a appris à dessiner. Ce n'est pas un de ces dessinateurs formés sur le tas, à l'arrache, ou formé par un mentor, un vétéran. Mobili est un authentique artiste.

Mais, et c'est ce qui fait toute la différence, c'est également un narrateur. Dans la bande dessinée, il ne suffit pas de bien dessiner (en général ou des trucs particuliers). Il faut savoir raconter en images, c'est l'art séquentiel théorisé par Will Eisner. Le dessinateur de bande dessinée est un conteur à part entière, pas un illustrateur. Il sert le scénario mais il le magnifie aussi, il le booste, il le plusse comme disait Alex Toth (autre grand "professeur" es-comics).

Cet épisode en donne une démonstration impeccable : la majorité de ce qui y est raconté tient de l'évocation, du flashback, avec justement des vignettes et de la voix off, des faits rapportés par Hillary Cross. Donc, on est dans un registre descriptif. On peut en disposer de bien des manières : par exemple, Ed Brubaker et Sean Phillips séparent strictement le texte du dessin qui l'accompagne pour que chacun appuie ses effets tout en se répondant.

Mobili opère différemment parce que Peter Warren est moins bavard que Brubaker, dont les voix off ressemblent à des blocs très littéraires. Le dessin de Mobili fait écho au texte de Warren sans répéter ce qui est écrit mais, à la manière d'un monteur de film, en en tirant les images les plus fortes, et sans répondre au texte, mais en l'accompagnant Le résultat est infiniment plus fluide.

Puis, passé ce passage évocateur, quand la narration redevient active, Mobili fait parler sa technique et son sens du spectacle avec, ici, des pleines pages aux compositions superbes, dynamiques et intenses, ou un "gaufrier" à l'avant-dernière page qui cadre les visages des protagonistes pour saisir leur sidération face à ce que lecteur découvre, lui, à la dernière page. L'effet est simple mais puissant, parce qu'ainsi on sait à la fois que la dernière page va être bouleversante mais sans mesurer à quel point.

Que ces miracles narratifs perdurent depuis six mois tient du miracle. Ou d'immenses talents conjugués - je préfère cette option car en bande dessinée, il n'y a pas de miracle. Juste du travail. Et celui de The Tin Can Society, c'est vraiment du très beau travail.

MOON KNIGHT : FIST OF KHONSHU #6 (Jed MacKay / Domenico Carbone)


Mis K.O. par Achilles Fairchild, Moon Knight est tancé par Khonshu qui se sent humilié mais qui a donné à Hunter's Moon les moyens de le sauver. Avec Tigra, Reese et Solider, Hunter's Moon tire des griffes de Fairchild et Carver. Mais, une fois remis, Moon Knight doit avoir une explication avec Tigra sur un sujet épineux...


C'est encore une fois un excellent épisode : le mois dernier, on quittait Moon Knight en bien fâcheuse posture et sur une révélation tonitruante au sujet d'Achilles Fairchild (que j'ai choisi de ne pas spoiler tant que c'est encore possible, mais encore une fois, tenez-vous éloigné des réseaux sociaux et des petits malins qui aiment gâcher les surprises).


Sans grande surprise, l'épisode de ce mois repose essentiellement sur la mission de sauvetage des amis de Marc Spector. On pourra juste s'étonner qu'ils réussissent si bien alors que Jed MacKay aurait pu faire durer le plaisir (et le supplice de son héros). Mais on peur aussi remercier l'auteur de continuer à nous surprendre en refusant justement de tirer sur la corde.


Néanmoins, le récit n'est pas dénué de facilités narratives, comme le moyen mis à disposition d'Hunter's Moon pour pister rapidement Moon Knight. C'est vraiment ce qu'on appelle un deus ex machina... De même, on pourra sourire de la naïveté de Fairchild qui fait transporter Moon Knight par des sbires au lieu de s'en charger lui-même ou de confier cela à Carver, son assistante.


Mais en vérité, MacKay semble surtout concerné par les deux grandes scènes d'explication de l'épisode : la première concerne Marc Spector et Khonshu sur la lune et le scénariste s'amuse visiblement beaucoup à broder sur la relation orageuse entre les deux. Marc apparaît comme le fils indomptable devant un père colérique - ou plutôt frustré de constater l'indocilité de son soldat.

Cela donne lieu à des pages magnifiques visuellement où Domenico Carbone ne pâlit pas de la comparaison avec Dev Pramanik, même si leurs styles diffèrent beaucoup. Pramanik est sans doute plus fort, plus audacieux, mais Carbone, dont le trait est influencé par celui d'Olivier Coipel, a quelque chose de très séduisant aussi.

Dans les deux cas, on a affaire à des artistes très inventifs dans leur découpage et avec eux deux la série s'élève très (mais alors très) au-dessus de bien des productions Marvel actuels (en attendant le retour aux affaires sérieuses de cadors comme Valerio Schiti et Javier Garron). Pour une fois que l'éditeur dispose d'un artiste régulier de haut niveau et d'une doublure quasi aussi forte...

Puis il y a ce dialogue entre Marc et Tigra qui remet sur le tapis Hank Pym. L'échange est tendu mais écrit de façon épatante, MacKay réussissant à exprimer les sentiments de chacun sans expédier ce moment de vérité. Il paraît inévitable qu'à court ou moyen terme Pym apparaisse dans la série et vu là où on l'a laissé (à la fin de l'éphémère Avengers Inc.), cela promet.

Là encore, Carbone se montre inspiré. Même si on peut trouver qu'il représente Marc Spector un peu trop rajeuni, son trait a quelque chose d'immédiatement accrocheur, avec des angles de vue accrocheurs, des compositions nerveuses. Graphiquement, Moon Knight : Fist of Khonshu est comme on le dirait d'une chanson impeccablement produit.

Ajoutez à cela quelques allusions bien senties (enfermer Moon Knight dans un endroit où il ne verra pas la lune, comme s'il tirait sa force du satellite de la Terre : brillante analogie avec Superman qui se régénère grâce au soleil) ou la fin de l'épisode qui annonce du costaud pour le mois prochain, et vous comprendrez qu'il ne faut absolument pas/plus passer à côté de ce titre.

mercredi 5 mars 2025

BIRDS OF PREY #19 (Kelly Thompson / Juann Cabal)


D'un côté, Black Canary et Sin affrontent la ligue des assassins dans la maison où elles se sont retirées pour mieux attirer l'ennemi, avec Oracle et ses drones en soutien. De l'autre, Big Barda et Batgirl secourent John Constantine dans la dimension magique où il a été piégé par Barter et ses golems...


Voilà un épisode, le dernier de cette série que je lirai puisque j'ai décidé d'arrêter les frais avec Birds of Prey, qui aurait de quoi donner des regrets à n'importe qui. Parce que, tout simplement, il est très bon et il est ce qu'aurait dû être cette série depuis le début si Kelly Thompson n'en avait pas fait n'importe quoi. Et si DC, pour une fois, avait veillé un peu plus au grain.


Alors, bon, Birds of Prey va continuer, la série n'est pas menacée, elle doit réaliser d'assez bonnes ventes pour ne pas risquer d'annulation, et quelque part, c'est une bonne chose. Parce que ça prouve qu'il n'y a pas (plus ?) de signe indien sur les team books féminins alors que Marvel et DC nous ont serinés pendant des lustres que des titres exclusivement avec des héroïnes, ça ne marchait pas.


En outre, ça permet à des personnages d'exister autrement ou de façon plus autonome. Black Canary n'est pas condamnée à être la partenaire de Green Arrow ou un membre de plus dans Justice League Unlimited. Batgirl (Cassandra Cain) a même droit à sa propre série à nouveau. Et Big Barda tient les premiers rôles dans The New Gods actuellement.


Mais tout de même, que de regrets ai-je en cessant cette série ! Tout avait plutôt bien commencé : Kelly Thompson renouait avec Leonardo Romero et ces deux-là avaient laissé de très bons souvenirs aux fans de Hawkeye. Le premier arc, réalisé par ce duo, laissait entrevoir de très belles choses. Puis patatras ! Tout s'est lamentablement cassé la gueule et ce fut un long et pénible naufrage.

Romero parti, la partie graphique a vu défiler des artistes allant du bon au très mauvais. Mais le pire, ce furent les intrigues débiles assénées par Thompson, qui semblait se moquer ouvertement des personnages, de leurs histoires, du lecteur surtout. Jusqu'à ce diptyque...

Parce que, là, miraculeusement, la scénariste paraît avoir retrouvé la raison ; un petit arc en deux numéros, efficace, simple, bien caractérisé. Le genre de récit qui aurait fait de Birds of Prey la réussite espérée, attendue, si Thompson s'était montrée rigoureuse. Et si elle s'en était tenue aux personnages qu'elle préférait, sans en rajouter dans la fantaisie trop appuyée.

Il est certain que, quand elle s'en donne la peine, Thompson anime ses héroïnes avec savoir-faire et le lecteur prend plaisir à observer leurs interactions. Par exemple le tandem Big Barda-Batgirl, c'est une trouvaille inspirée et qui fonctionne parfaitement, mais qui a trop souvent été noyé dans des histoires sans intérêt où leur complicité ressemblait plus à un gimmick grossier.

Le trio Black Canary-Oracle-Sin marche aussi du tonnerre, si tant est que Thompson ne le parasite pas avec des membres surnuméraires et inutiles. Cette formation resserrée des Birds of Prey est la meilleur parce qu'elle suffit mais aussi, surtout, parce qu'elle empêche la scénariste de se disperser. Ces deux derniers épisodes brillent par leur concision et leur dynamisme.

Les cinq filles n'ont pas besoin, sous la plume de Thompson, de plus de membres. Elles agissent plus harmonieusement, l'adversité qu'elles rencontrent aboutit à de l'action plus nerveuse, et leurs missions sont plus directes. C'est cela qu'il fallait à Birds of Prey. Des arcs narratifs qui ne laissent pas de creux et soulignent les liens entre les membres de l'équipe. En y dérogeant, la série s'est perdue et sa scénariste aussi.

Enfin, si Romero n'a jamais été vraiment remplacé, et malgré les interventions réussies de Javier Pina par exemple, le dernier regret, c'est de voir arriver Juann Cabal si tard alors qu'il est taillé pour le job. Pourtant il ne va pas rester sur le titre (Sami Basri revient dès le #20) et c'est incompréhensible parce que Cabal, en perdition chez Marvel, renoue avec son meilleur niveau ici.

Son découpage est inspiré, énergique, inventif, avec pourtant des idées toutes simples (comme des cadres classiques pour la partie avec Black Canary et Sin et d'autres jouant avec les tangentes pour la partie avec Batgirl, Barda et Constantine). N'empêche, Cabal maîtrise ça à la perfection et on le sent enthousiaste dans ce genre d'expérimentation.

Ensuite, comme c'est un dessinateur qui a revendiqué l'influence de Kevin Maguire, on apprécie l'expressivité de ses personnages, aussi bien dans les visages que dans leur gestuelle. Tout cela contribue à rendre le récit très vivant, et surtout bien plus soigné qu'à l'ordinaire. Pourquoi DC ne le laisse-t-il pas sur ce titre ? A moins que l'éditeur ait d'autres projets pour lui - croisons les doigts.

Ce sera donc bien, malgré tout, mon dernier épisode.  Je ne veux pas risquer une nouvelle déception en accordant une énième chance à cette série, compte tenu de ce qu'a montré Kelly Thompson depuis 19 épisodes. Mais si j'avais eu la garantie qu'elle se reprenne comme ces deux derniers mois et que Cabal soit resté, là, j'aurai sérieusement réfléchi à ce renoncement.

dimanche 2 mars 2025

FML #4 (of 8) (Kelly Sue DeConnick / David Lopez)


Riley et sa bande ont découvert dans la forêt le corps de Cort Sumner. L'homme dont sa mère, Patricia, a toujours été convaincu qu'il était l'assassin de sa meilleure amie Kat. Ce rebondissement remet tout en question : pour Patricia et ses amies qui espéraient le faire arrêter, mais aussi pour Riley et son groupe qui se voit proposer d'ouvrir le Heavy Fest parce que, désormais, ils ont une réputation sulfureuse...


A quoi reconnaît-on un bon scénario pour une mini-série ? Il y a bien des réponses possibles à cette question, mais il me semble que lorsque le scénariste, arrivé à mi-parcours de son histoire, trouve un twist qui rebat les cartes et donne donc simplement envie au lecteur de poursuivre la lecture, c'est qu'il a bien fait son boulot.


Et c'est ce qu'accomplit Kelly Sue DeConnick ici. Jusqu'alors FML était une histoire foutraque, drôle et parfois émouvante sur un gamin qui s'était transformé en monstre, ce qui ne perturbait personne à part lui, et de sa mère qui était hantée par la mort suspecte de sa meilleure amie d'enfance, alors même qu'elle allait rencontrer son meurtrier présumé à un festival littéraire.


Il y a encore des moments très rigolos et complètement absurdes dans FML #4, comme les retrouvailles de Riley et son père, revenu en catastrophe après avoir appris l'arrestation des on fiston et la mort de Cort Sumner, mais qui est lui aussi à peine surpris par la transformation de son rejeton - il trouve juste qu'il a bien grandi depuis la dernière fois où il l'a vu !


Ou encore ce moment lunaire mais où tout bascule en vérité où Patricia déboule au commissariat pour en faire sortir son fils et ses amis pendant que Amy, leur avocate, fait la leçon aux flics et à leur supérieur sur ce qu'ils reprochent aux jeunes. Juste avant d'apprendre la mort de Cort Sumner dont le cadavre vient d'être retrouvé dans la forêt voisine.

Kelly Sue DeConnick et David Lopez, au dessin, jouent à merveille cette partition. Lopez s'amuse même à expérimenter graphiquement avec des pages non encrées et non colorisées, dans un style évoquant les crobards qu'on peut faire dans un journal intime ou les marges d'une planche, pour souligner ces instants suspendus et comiques.

Lopez n'hésite pas non plus à forcer les expressions des visages et les attitudes, la gestuelle, de façon très théâtrale, pour solliciter la complicité du lecteur et lui faire comprendre que de toute manière, jusqu'au bout, FML restera un projet zinzin, loufoque, en marge. Ce n'est pas sérieux. Jusqu'à ce que ça le soit, jusqu'à ce que les auteurs le décident.

Et justement dans cet épisode, il y a donc un renversement de situation. Quelles vont être les conséquences de la mort de Cort Sumner ? Pour Riley et sa bande, elles sont immédiates : le Heavy Fest leur ouvre grand ses portes en surfant sur le fait divers auquel ils sont mêlés et qui va donc faire une publicité monstre au groupe et à l'événement.

Cela interroge les jeunes qui refusent de profiter de cela pour être connu - une marque d'intégrité pour des musiciens et des ados plus mûrs qu'il n'y paraît. Même si Riley ne peut cacher sa déception... Et Pour Patricia et ses copines ? Cela conduit au cliffhanger de l'épisode qui remet une pièce dans la machine en dévoilant un secret sur Kat et Amy.

Polar loufoque, coming-of-age story, FML est tout ça à la fois et plus encore. C'est un authentique ovni et un sacré pari qui n'a peur de déboussoler le lecteur. Mais si vous êtes joueur, si vous avez envie de rigoler et de vibrer, si vous appréciez les expériences freestyle, alors c'est une mini série jouissive, complétement imprévisible. Une vraie récréation.

samedi 1 mars 2025

JUSTICE LEAGUE UNLIMITED #4 (Mark Waid / Dan Mora)


Face aux méga incendies qui dévastent toujours la forêt amazonienne, Mr. Terrific, sur les conseils de Red Tornado, fait appel à Téfé Holland, la fille d'Alec Holland et Abigail Arcane, qui a comme son père une connexion avec la Sève. Pendant ce temps, Batman retrouve le Limier Martien en Egypte où il se terre depuis son brusque départ de l'équipe...
 

L'arc en cours de Justice League Unlimited s'achèvera donc avec le #5, à paraître à la fin Mars. Après quoi ce sera le début du crossover We are Yesterday entre cette série et Batman/Superman : World's Finest en Avril-Mai (six parties au total). Et, comme pour confirmer ce plan, à la fin de cet épisode, on nous promet la révélation de l'identité des membres d'Inferno dans le prochain chapitre.


Je ne sais pas de quoi sera fait l'avenir de la JLU et comme Mark Waid a promis que le crossover allait pas mal bouleverser l'ordre établi, au-delà des deux séries, je ne serai pas contre qu'ensuite, pour la JLU au moins, on ait droit à des intrigues un peu plus classiques. Je sais que ça peut paraître incongru de demander ça mais je vais m'expliquer.


Cela fait quatre mois que la série a démarré et on ne s'ennuie pas en la lisant. Mark Waid y fait la démonstration de son savoir-faire avec un concept qu'il maîtrise bien et qui a eu le mérite de remettre le Justice League en marche dans une configuration inédite (même si elle a déjà existé de cette manière dans une série animée du même nom).


Le résultat est toujours spectaculaire et le scénariste utilise son casting potentiellement infini pour montrer de nouvelles têtes sans sacrifier les vedettes, ce qui change d'une certaine et funeste époque où cet imbécile de Dan Didio estimait qu'il fallait régulièrement éloigner Superman, Batman et Wonder Woman pour faire respirer le concept de la Justice League.

Ainsi, on a pu voir Dr. Occult, mais aussi Xanthe Zhou (héroïne de la mini série Spirit World) et cette fois Téfé Holand, la fille d'Alec Holland et Abigail Arcane. Pour ceux qui n'ont pas suivi (comme moi) les récentes aventures liées à la Créature du Marais, Swamp Thing est désormais incarné par un certain Levi Kamei et on l'a vu en sale état dans le précédent numéro.

Confrontée à des incendies immenses en Amérique du Sud, la JLU a bien du mal à sauver à la fois les civils sur place et la végétation. Evidemment, le coup est l'oeuvre d'Inferno, cette nouvelle organisation secrète qui challenge les héros tout en leur ayant assuré qu'ils les dominaient déjà. On apprend au passage que l'un d'eux serait un vieil ennemi d'Aquaman, sans savoir lequel.

Bon. Mais après ? La Justice League doit-elle jouer les super-pompiers ? Je ne pense pas être le seul à admirer les soldats du feu, ni à estimer que des super-héros doivent s'illustrer autrement qu'en luttant contre des flammes magiques. Et donc, vous l'aurez compris, c'est quand même une légère déception qui se fait jour.

A force de trop jouer sur la carte de l'organisation secrète et super dominatrice, Waid m'ennuie un peu. Je préfèrerai dans une série de ce genre voir les membres de la JLU se battre contre autre chose que des machines géantes ou des incendies. J'aimerai encore plus que les méchants soient autre chose que des types encapuchonnés et menaçant dans l'ombre.

Et la perspective qu'offre We are Yesterday ne me fait pas bondir de joie, avec le retour de vilains qui n'ont franchement rien d'original, et même de l'un d'eux que j'espérai ne plus jamais revoir (je spoile : il s'agit de l'horripilant Batman-qui-rit). Si c'est tout ce que Justice League Unlimited à offrir, ce serait vraiment pathétique.

Alors, oui, il y a Dan Mora, mais je continue de trouver son travail inférieur ici à ce qu'il a fait sur Superman ces derniers mois. Mora est un excellent artiste, ne vous méprenez pas sur mon avis, mais s'il lui reste bien quelque chose à améliorer pour devenir un grand artiste, c'est son découpage. Et quand on dessine un team book, c'est crucial.

Or ce qui fait défaut au découpage de Mora dans un team book comme celui-ci, c'est la lisibilité et le dosage des effets. Mora est toujours à fond, il n'y a aucune nuance, c'est comme si, pour lui, tous ces héros réunis devaient être des dieux, un panthéon, au-dessus des humains, dont Waid lui-même a dénoncé la nullité dans Kingdom Come.

La seule fois où cela a vraiment fonctionné, c'est quand Warren Ellis et, dans une moindre mesure, Mark Millar écrivait The Authority. Mais les membres de The Authority était beaucoup plus radicaux, c'était un pastiche violent de la Justice League justement, une démonstration de ce que des surhommes pourraient faire pour mettre de l'ordre dans un monde déréglé.

La Justice League est incomparablement plus sage, gentille, vertueuse. Batman n'est pas le Midnighter, et Wonder Woman par exemple n'est pas Jenny Sparks, il n'y a pas de magicien aussi déglingo que le Docteur ou l'équivalent de l'Ingénieur ou de Jack Hawksmoor. 

En un sens, c'est dommage que DC et Waid (même si Waid n'a  absolument pas le tempérament d'Ellis et de Millar (il déteste d'ailleurs ce dernier) n'osent proposer avec la JLU une version vraiment radicale comme le serait The Authority puisque cette dernière est tombée dans les limbes de l'éditeur depuis la fin de Wildstorm.  

De ce point de vue, les dangers auxquels cette JLU a été confrontés depuis quatre mois pourraient faire penser à ce qu'affrontait The Authority, mais l'intensité est dramatiquement absente des scripts de Waid ici. Les héros sont dépassés mais on ne doute guère qu'ils renverseront la vapeur, alors que The Authority déjouait les plans d'un tyran à la Fu Manchu, une invasion d'une dimension parallèle et Dieu lui-même.

En ce sens, l'intervention de Téfé Holland, qui refuse dès le départ sa carte de membre de la JLU aboutit à une résolution rapide et facile. Dan Mora la met en images avec les effusions de rigueur : le lecteur qui aime être impressionné visuellement en aura pour son argent. Pas sûr que ce soit plus mémorable que ça.

Le récit super héroïque s'affranchit difficilement d'un certain folklore, le premier étant le(s) vilain(s). C'est ce qui a cruellement manqué à cet arc, ce à quoi le crossover annoncé échoue pour nous exciter... Et si le vrai problème, ce n'était pas la Justice League, sa place dans le DCU, le DC All-In, mais la façon de la mettre en scène, de la justifier ?

Pour ça, il n'existe, à mes yeux, que deux réponses : soit Mark Waid se sort les doigts pour imaginer après We are Yesterday une menace plus consistante et certainement plus classique mais plus efficace. Soit ce sera un souci d'auteur. Et là, ce serait beaucoup plus embêtant (d'autant que, par ailleurs, Waid se montre plus inspiré, en particulier sur Batman and Robin : Year One...).

DETECTIVE COMICS #1094 (Tom Taylor / Mikel Janin)


Pour savoir quel lien unit la maison de correction dont s'enfuient tous les ados tués par Asema et Scarlett Scott, Bruce Wayne doit infiltrer la première. Damian y est donc interné comme jeune délinquant tandis que Bruce propose au surveillant Flaterry d'investir dans son établissement pour mieux pirater ses fichiers avec l'ide d'Oracle...


On sait désormais (grâce aux sollicitations de l'éditeur) que cet arc s'achèvera au n°1096, et d'ailleurs le recueil sera disponible dès le mois de Mai prochain en vo et en Juin chez Urban sous le titre Batman : Ghost of Gotham, le nom zarbi choisi pour le run de Tom Taylor sur Detective Comics. Après quoi Lee Garbett jouera les fill-in de luxe pour une histoire plus courte.


Mikel Janin est toujours le dessinateur, encreur et coloriste ce mois-ci mais recevra un peu d'aide le mois prochain (à l'encrage). L'espagnol est encore une fois très en forme sur les trois postes, même si, donc, la charge de travail est conséquente. Pour ceux qui en doutaient encore, les retards sur Justice Society of America de Geoff Johns n'était pas du fait de l'artiste.


Ce qui demeure très appréciable, c'est la familiarité que Janin a avec le personnage de Batman après son long passage sur la série alors écrite par Tom King. Il le représente à la fois sombre, grave, mais le script lui permet de faire valoir d'autres aspects du dark knight, comme cette case où, apprenant que son fils Damian a pris le parti, à ses risques et périls, d'aider un jeune délinquant, il sourit, satisfait (voir ci-dessous).


A elle seule cette case pourrait d'ailleurs très bien résumer l'apport de Tom Taylor : comme King il veut humaniser Batman mais à la différence de son confrère, il le fait subtilement par le biais d'une scène avec son fils. Et surtout dans un jeu sur les apparences, un motif au coeur du récit puisqu'il s'agit, comme l'indique la couverture, d'explorer les liens du sang.

On peut interpréter cela de bien des façons : il y a les liens du sang entre le père (Bruce Wayne/Batman) et le fils (Damian/Robin), mais aussi entre Asema et ses victimes (qui sont vidées de leur sang), ou la maison de correction et ses pensionnaires (à qui on prélève du sang). Pourtant, et c'est là que Taylor se montre rusé, du sang versé, il n'y en quasiment pas.

L'épisode du mois se concentre en effet sur une mission d'infiltration sur deux plans : il paraît de plus en plus évident qu'il existe un rapport entre la maison de correction dont les adolescents sont tués par Asema et Scarlett Scott avec son entreprise et son sérum de jouvence. Mais les preuves manquent à Batman.

Il est donc décidé d'envoyer Damian dans la gueule du loup pour investiguer. Faux dossier criminel à l'appui, maquillage en prime, il passe inaperçu au milieu des voyous à rééduquer. Pendant ce temps, Bruce Wayne aborde le surveillant Flattery, chargé de redresser ces jeunes, sous le prétexte bidon d'investir financièrement dans son établissement.

Dans cette mise en scène où il ne faut pas être démasqué, il semble pourtant que les manoeuvres de Batman et Robin ne passent pas inaperçues comme ils vont le remarquer à la toute fin de l'épisode. Le prochain chapitre promet des révélations par Asema et c'est intrigant car tout le monde connaît Batman comme le héros qui anticipe tout. Et là, il conserve un temps de retard...

Ce qui contraste avec la superbe et poignante scène d'ouverture où on renoue avec l'über Batman de Grant Morrison, sauvant un gamin mourant et se tirant d'un piège mortel en ayant dans sa bat-ceinture un gadget à la fois providentiel et amusant... D'un côté donc, on reste fidèle à la légende du héros de Gotham. De l'autre, donc, il demeure humain, faillible.

L'écriture de Tom Taylor est au diapason du dessin de Mikel Janin : Detective Comics est une série qui se savoure, en allant pas plus vite que la musique (le protagoniste en sait autant que le lecteur), qui affiche une sensibilité aiguisée, et malgré tout est captivante. Quand un comic-book est si bien produit, on ne peut qu'applaudir.

SUPERMAN #23 (Joshua Williamson / Dan Mora)


Le Time Trapper a de nouveau arrêté le temps alors que la bataille faisait rage entre Doomsday, Superman et Radiant. Il offre à Superwoman le même marché qu'à Superman, mais elle refuse d'être celle qui fera de lui l'égal d'un dieu. De son côté Lex Luthor met au point rapidement une solution risquée contre ceux qui ravagent Metropolis...


La fin de cet arc est spectaculaire. Si vous aimez les comics plein de rage et de fureur, de destruction massive, de démonstration de puissance et de mélodrame, vous allez vous régaler. Joshua Williamson a vraiment repris la main sur sa série avec cette histoire, après le crossover House of Brainiac et les tie-in à Absolute Power.


Mais il n'a pas fait que ça : en Juillet prochain sortira donc le film Superman de James Gunn et DC a décidé de mettre les petits plans dans les grands avec une opération Summer of Superman. Ce sera le titre d'un one-shot qui va réorganiser pas mal de choses autour du Man of Steel, à commencer par la nouvelle série Superman Unlimited de Dan Slott et Rafael Albuquerque.


Joshua Williamson, que d'aucuns pensaient sur le départ, prépare également le futur et, à cet égard, il s'inscrit dans une démarche à l'opposé de celle de Mark Waid, qui va devenir l'auteur du titre Action Comics qui reviendra sur la jeunesse de Clark Kent à Smallville avec Krypto, tandis que Mark Russell et Mike Norton signeront une mini sur Krypto, et que Sophie Campbell redonnera un mensuel à Supergirl.
 

D'un côté donc, avec Waid, le passé. De l'autre, avec Williamson et Slott, le présent et le futur. Sans oublier Absolute Superman par Jason Aaron et Rafa Sandoval... A quand remonte la dernière fois où Superman et sa super famille étaient aussi présents dans les bacs ? Signe encore une fois que le big blue est loin d'être démodé, ringard.

Je ne vais pas trop en dire sur cet épisode pour ne pas spoiler, mais la résolution de l'intrigue est épique et maline. Luthor a retrouvé la mémoire (comme on l'a vu dans le one-shot Superman : Lex Luthor Special) et joue un rôle décisif dans la bataille, même si son initiative trouble tout le monde - de quoi alimenter les doutes sur son avenir...

J'ai beaucoup aimé aussi la manière donc Superwoman est traitée ici : on la voit prendre conscience, dans des circonstances dramatiques, qu'être devenue une super héroïne n'a rien de reposant alors qu'elle appréciait ce changement avec légèreté jusque-là. Il est certain qu'avec Williamson la situation de Lois Lane n'est pas un gadget et prépare le terrain pour une future histoire.

Enfin, le dénouement de l'épisode promet beaucoup, avec des renvois à DC All-In, le one-shot, et un autre célèbre adversaire de Superman. Ce n'est vraiment pas le moment de lâcher l'affaire : les prochains mois vont être palpitants...

Et ce, même si Dan Mora achève là sa prestation (toutefois il reviendra pour quelques pages dans le n° anniversaire au #25). Le dessinateur voulait absolument être là sur le titre l'année de la sortie du film et il a donné le meilleur de lui-même. Qu'il affirme préférer Batman, c'est son avis, mais je le trouve vraiment meilleur encore avec Superman.

Avec son aisance coutumière, il s'approprie tous les personnages et leur donne du charisme, de la puissance, il sait valoriser les moments les plus intenses, et je continue de penser qu'il est plus à son avantage quand il anime une série avec un personnage vedette qu'avec un groupe où son découpage, qui manque encore de finesse, aboutit parfois à un résultat plus haché, plus expédié.

La série va continuer à offrir de beaux dessins puisque Eddy Barrows va succéder à Mora et il connaît bien Superman pour s'en être déjà occupé par le passé.

Après de longues années dominées par Batman, Joshua Williamson devient vraiment l'artisan du renouveau pour le kryptonien. Quel plaisir !