lundi 9 septembre 2024

BIS REPETITA (Emilie Noblet, 2024)


Delphine est professeur de latin dans un lycée public à Angers. Elle a en charge une classe de cinq élèves seulement, aussi peu motivés qu'elle. Entre eux existe un pacte tacite : ils lui fichent la paix pendant qu'elle passe ses heures de cours à faire du shopping sur le Net et en échange elle leur donne de très bonnes notes.


Cela vaut à Delphine un réputation d'excellente enseignante qu'a remarquée la directrice, Christine, qui souhaiterait qu'elle lise et corrige la thèse de son neveu, Rodolphe. Mais là encore Delphine fait tout pour esquiver en expliquant qu'elle apprend le français à des migrants après ses heures au lycée ou encore, quand Rodolphe l'aborde dans la bibliothèque du lycée, elle se fait passer pour la prof d'allemand.
 

Malgré ces trouvailles, Delphine va avoir une drôle de surprise quand Christine l'invite à dîner pour lui annoncer que sa classe va participer à un concours de latin à Naples et que Rodolphe leur servira de guide puisque le sujet de sa thèse concerne justement les bienfaits de l'immersion italienne pour en redonner le goût de cette langue morte aux élèves. Sur place, ils devront affronter des compétiteurs redoutables et faire preuve de malice pour s'en sortir car si Delphine ne gagne pas, sa classe sera fermée...
 

A moins d'adorer ce que la télévision accepte de financer dans le registre de la comédie, soit des productions hyper formatées pour prétendre pouvoir être diffusées après leur exploitation en salles en prime time sur le petit écran, il faut bien reconnaître que le paysage des films humoristiques en France est désolant.


Non seulement les longs métrages ne fédèrent plus qu'un public âgé mais les séries ne fonctionnent que sur des héros caricaturaux et grotesques qui évoluent dans des polars affligeants (voire les cartons de Capitaine Marleau ou H.P.I.). Le magazine "Première" a pourtant publié un dossier en Avril dernier pour informer ses lecteurs d'une nouvelle génération d'auteurs et d'acteurs censés renouveler le genre.
 

S'il est encore trop tôt pour savoir si cette nouvelle vague comique séduira un large public et donc rafraîchira l'offre, force est de constater qu'il existe effectivement des cinéastes et des comédiens prêts à prendre le relais. Et Emilie Noblet en fait partie. Pourtant rien ne la destinait à cela...


En effet Noblet sort de la très sérieuse école de la Femis et Bis Repetita marque ses débuts derrière la caméra après plusieurs courts métrages qui, bien que primés, n'empêchèrent pas la jeune femme d'avoir peur de franchir le pas vers un format plus long. D'ailleurs, l'idée originale de son premier effort vient de sa co-scénariste, Clémence Dargent.

Au box office, Bis Repetita n'a pas vraiment fait d'étincelles (100 00 entrées France), mais a dû rentrer dans ses fonds et a suffi à combler les espoirs de sa metteuse en scène et de ses producteurs puisque, dans la foulée, elle a enchaîné en signant quatre épisodes (sur huit) de la série Zorro avec Jean Dujardin (pour Paramount + et France 2).

Je ne saurai, pour ma part, que vous inciter à voir Bis Repetita s'il est encore projeté près de chez vous ou alors en VOD (ou en attendant sa première diffusion sur C+) car c'est en tous points excellent. On y suit donc les (més)aventures d'une prof de latin qui, en notant trop bien ses élèves aussi glandeurs qu'elle, sont sélectionnés pour un concours en Italie face à aux meilleurs élèves du monde entier.

Si l'intrigue emprunte dans le deuxième acte à des films comme P.R.O.F.S. (Patrick Schulmann, 1985) ou même Les Sous Doués (Claude Zidi, 1980), son script, ciselé, échappe aux facilités de ses devanciers. Certes, les jeunes héros et leur professeur usent de tricheries diverses et variées pour ne pas être ridicules durant les examens auxquels ils sont soumis, mais l'essentiel est ailleurs.

Delphine doit faire équipe avec Rodolphe, qui croit dur comme fer aux vertus de la méthode qu'il développe dans sa thèse, celle d'une immersion dans la culture latine pour donner goût aux élèves d'apprendre cette langue morte. Il ne comprend pas la démission de Delphine jusqu'à ce qu'elle lui explique ce qui a causé son désenchantement : comme lui, elle fut une brillante étudiante qui tomba amoureuse de son enseignant avant de découvrir qu'il rédigeait un article reprenant intégralement les idées qu'elle avait mises en forme dans sa propre thèse. Dès lors, devenue prof, elle a refusé de s'impliquer pour ne plus subir de revers.

Ce personnage de jeune enseignante qui a perdu ses illusions n'est pas le moteur de la comédie : elle boit plus de raison, couche avec celui qui partage son ivresse, se fiche du monde. Pourtant, au fond d'elle, il subsiste encore un peu de la flamme de sa vocation, comme quand elle se met à réciter du Shakespeare devant une fresque antique - superbe moment suspendu qui dit que le film n'est pas là que pour lâcher des vannes.

Tous les personnages sont en équilibre entre cette mélancolie et la déconnade : parmi les élèves, il y a un garçon dyslexique qui en pince pour sa prof et n'étudie que pour elle, un petit débrouillard génial qui trouve toujours des astuces pour tricher sans être pris, une fille revancharde, une autre qui admet mal qu'on la prenne pour une nulle à cause de son enseignante, un accro aux réseaux sociaux qui va découvrir via le mythe de la gorgone la vraie puissance du féminisme. Et bien sûr il y a Rodolphe, celui qui donne le ton au projet car constamment en décalage par rapport au reste de la troupe, un jeune homme honnête, sentimental, passionné, aveugle à l'évidence.

C'est ainsi qu'Emilie Noblet évite tous les écueils : ce n'est pas un teen movie aux blagues potaches, ni une rom-com prévisible, ni une ode aux losers magnifiques. C'est bien plus fin et touchant, sans oublier d'être drôle par la malice des situations et l'honnêteté de leur traitement, filmé avec élégance dans un cadre magnifique.

Dans un monde parfait, Louise Bourgoin serait une superstar du cinéma hexagonal, aussi demandée et acclamée que Virginie Efira par exemple. Pourtant, malgré ses choix exigeants et ses interprétations toujours impeccables, l'ex miss météo du "Grand Journal" n'a toujours pas la place de reine qui lui revient. Car elle est royale encore une fois ici : débordante de charme, avec ce soupçon de tristesse nonchalante, elle s'impose avec classe. Face à elle, Xavier Lacaille confirme qu'il est l'acteur à suivre dans une génération qui compte déjà pas mal de talents affirmés (Cf. Sébastien Chassagne, Benjamin Voisin) : il est également parfait en type lunaire et intègre, une bonne pomme dans un panier percé. Noémie Lvovsky, sorte de grande tante pour tous ces cinéastes et comédiens en devenir, est une fois de plus merveilleuse dans un second rôle. Et tous les jeunes qui jouent les élèves sont épatants, attachants et irrésistibles.

Bis Repetita est un film qui fait du bien, pour toutes ses qualités propres, mais aussi, voir surtout, pour l'air frais qu'il fait entrer dans le cinéma humoristique français. Emilie Noblet a tout pour nous y refaire croire, comme en leur temps Pierre Salvadori et Cédric Klapisch : on lui souhaite la même belle carrière.

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