lundi 23 septembre 2024

THE POWER FANTASY #2 (Kieron Gillen / Caspar Wijngaard)


Conséquence immédiate de l'action menée par Etienne qui reconnaît les faits publiquement : il devient l'homme le plus recherché du monde. Pour protéger Tonya, il la confie à Ray qui lui-même abrite dans son havre une réunion avec ses pairs pour décider que faire si Etienne venait à les manipuler psychiquement...
 

Ce deuxième épisode de The Power Fantasy comporte deux documents importants pour bien apprécier le projet de cette série. Le premier ouvre l'épisode et révèle les catégories de surhommes dans le monde dans lequel se déroule l'histoire : d'un côté, il y a la "famille nucléaire", c'est-à-dire des humains extraordinaires (parmi lesquels Etienne Lux, Ray Harris, Morishita Masumi) ; et de l'autre les "anges et démons", des entités extra-dimensionnnelles (Jacky Magus, Santa Valentina, Eliza Hellbound).
 

Ainsi définies et répertoriées, on saisit mieux à qui on a affaire (même si, en réalité, la "famille nucléaire" est composé de plusieurs millions d'individus et que seuls les trois premiers sont mis en avant). J'ai apprécié cet effort de clarification car il n'est pas toujours chez Kieron Gillen, qui aime manier les high concepts sans donner toutes les clés au lecteur (c'est un peu le principe, me direz-vous, mais autant on peut faire avec dans le cadre d'un univers familier comme ceux de Marvel et DC, autant dans le cadre inédit d'une oeuvre en creator-owned, ces présentations sont agréables).


Ensuite, à la fin de l'épisode, Kieron Gillen se fend d'une postface en bonne et due forme. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un texte où il revient sur le genèse du projet mais plutôt de ce qui l'a motivé. Le scénariste a l'habitude d'alterner work for hire et oeuvres indépendantes, et les premiers alimentent les secondes. Young Avengers a inspiré The Wicked + The Divine par exemple. Et Immortal X-Men a servi de base à The Power Fantasy.


Gillen détaille comment il s'est trouvé à écrire Immortal X-Men qui mettait en scène le conseil de Krakoa dans les séries X-Men, autrement dit le gouvernement mutant composé de personnages aux pouvoirs quasi-divins, les représentants les plus puissants/influents de la nation X. Et il a développé la série en tentant au maximum de se tenir hors du folklore super-héroïques, donc en privilégiant les jeux de pouvoir politique, les luttes d'influence plus que les combats spectaculaires.

Chemin faisant a germé l'idée qui allait devenir The Power Fantasy, c'est-à-dire une série qui mettrait vraiment en scène les personnages les plus puissants de la Terre sans qu'aucune bataille physique ne les oppose. En somme du super-héros sans le folklore des batailles spectaculaires. Pour éviter de s'éparpiller, il a réduit leur nombre à six, six individus dotés d'une puissance divine, issus de deux clans et veillant, chacun à leur manière, sur le monde. En somme, Immortal X-Men sans toutes les autres séries X (et leurs personnages) autour.

Jusqu'à ce qu'un événement ne bouleverse cette organisation. Et c'est ce qui s'est passé dans le premier épisode avec la menace de Ray Harris de détruire une région de l'Amérique du Nord après que le gouvernement américain ait tenté de le tuer. Etienne Lux est alors intervenu pour le raisonner en exauçant ce qu'il estimait être une juste riposte, soit tuer le Président des Etats-Unis et quelques-uns de ses cadres les plus importants.

Etienne avoue publiquement, à la télé, ses exécutions et devient donc le surhomme le plus recherché dans le monde. Mais peut-on arrêter un télépathe (ou plutôt comme il est défini, un "omnipathe") aussi puissant ? En tout cas, la famille nucléaire et sa contrepartie, les anges et démons, se réunissent pour décider quoi faire si Etienne décidait de les manipuler mentalement eux aussi. Pas question de guerre ouverte contre un des leurs, mais plutôt prévenir que guérir.

La démarche de Gillen est à double tranchant : d'un côté, il nous éclaire donc sur la nature de son projet, mais de l'autre, il prend le risque de nous en livrer très vite les clés, le mode d'emploi, presque de nous donner sa feuille de route. Le premier arc narratif sera d'ailleurs bref puisque, comme on l'a appris en découvrant les sollicitations d'Image Comics pour Décembre 2024, il ne comptera que cinq épisodes.

Toutefois comme je l'ai dit plus haut, je suis plutôt content de cette façon de faire, qui n'est pas courante pour Gillen, et parce que, au final, après ce deuxième épisode, je constate que ça ne nuit pas à l'intérêt que je porte à The Power Fantasy. J'aime bien le principe d'une série avec des personnages surpuissants qui ne pensent pas à se mettre sur la gueule, voire à s'entretuer à la première tension. Cela suppose une intelligence qu'ignore superbement les comics habituellement. Et ça pique ma curiosité sur les agissements à venir d'Etienne et celles de ses semblables. Comment Gillen va développer cette situation ?

Enfin, cela renvoie à Jenny Sparks de Tom King et Jeff Spokes, dont j'ai parlé plus tôt, qui aborde aussi la question de la divinité à travers les personnages de Jenny et Captain Atom, l'une se fichant de l'autre qui s'auto-proclame Dieu et exige d'être désormais reconnu comme tel en commettant ici des meurtres gratuits, là une guérison miracle. C'est intéressant de voir des auteurs s'emparer de ces notions (de surhommes, de divinités) à une époque où la religion prend cela comme prétexte pour justifier des atrocités (comme souvent) et où les comics (aussi souvent) ne font qu'effleurer la surface des héros (et vilains) les plus puissants en restant dans le registre du divertissement, de la fantaisie. King bâtit Jenny Sparks sur la dichotomie entre une femme qui a littéralement tué Dieu et un homme qui investi de la toute puissance exige d'être considéré comme Dieu. Gillen, lui, fonde The Power Fantasy sur une nombre limité d'individus investis de pouvoirs divins et qui choisissent de ne pas se battre en eux (conscients qu'ils détruiraient le monde et s'entretueraient) mais qui sont confrontés à l'un des leurs en mesure de les manipuler.

Caspar Wijngaard renoue avec des visuels plus radicaux dans cet épisode - pas tant au niveau du découpage, qui se résume à quelque chose de sobre, avec beaucoup de fluidité dans les enchaînements et la représentation de la divinité, mais davantage dans le choix des couleurs qu'il assure lui-même. La palette employée favorise les tons vifs et décalés (l'emploi du bleu et du rose notamment), les contrastes violents. L'effet est d'autant plus saisissant que Wijngaard représente décors et personnages de façon très simple, expressive.

La manière dont les pouvoirs sont visualisés est donc très franche et basique : quand Etienne maîtrise quelqu'un mentalement, les yeux de son sujet deviennent blancs. Ray qui a des capacités télékinétiques est montré faisant flotter des objets sans aucun effet. Lorsque Etienne communique télépathiquement avec Morishita, là encore, pas d'effets spéciaux. Non, là où les couleurs tranchent, c'est pour souligner les ambiances, comme celle à l'intérieur de la Pyramide où les surhommes tiennent conseil dans une quasi-obscurité qui renforce de manière très théâtrale la tension, tandis que l'échange entre Etienne et Morishita se déroule dans un environnement plus doux.

On comprend en tout cas à la fois pourquoi Gillen avait envie de travailler avec Wijngaard, qui a ce talent étonnant de faire ressentir au lecteur l'anormalité de ces héros tout en ne forçant pas le trait, et surtout comment son travail chez Marvel lui a permis d'accoucher de sa version indépendante d'Immortal X-Men. Le résultat est bien supérieur à ce qu'il a fait avec cette dernière série car plus intrigant et personnel, en plus d'être bien mieux illustré.

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