lundi 23 septembre 2024

HELEN OF WYNDHORN #4 (Tom King / Bilquis Evely)


Encore toute excitée par son voyage dans l'Autre Monde avec son grand-père, Helen demande à ce dernier de faire d'elle une guerrière de sa trempe. Il confie son entraînement à Joseph, le majordome, au grand désespoir de Lilith Appleton, la gouvernante. Après un an de préparation, Helen est fin prête à repartir...


Le dernier numéro de Helen of Wyndhorn datait de Juin dernier et il a donc fallu s'armer de patience pour lire la suite. Mais, bonne nouvelle, la publication de la mini-série de Tom King et Bilquis Evely semble repartir de plus belle belle et devrait s'achever en Novembre prochain. Le recueil en vo est même sollicitée par Dark Horse pour Décembre (de quoi faire un beau cadeau).
 

Pourtant, malgré ce retard, on replonge dans cette histoire sans aucune difficulté. L'écriture de King permet ce tour de force, le lecteur n'est pas perdu, n'a rien oublié : c'est tout dire de la puissance de cette fiction qui a réussi l'exploit de se faire une place à part dans nos têtes. Et surtout, de manière inattendue, on se rend compte que l'attente de ce numéro correspond à celle de son héroïne...


En effet, après avoir découvert ce qu'elle appelle l'Autre Monde avec son grand-père, Helen n'a plus qu'une envie : y retourner. Qu'importe les dangers, qu'importe les lamentations de sa gouvernante, la jeune femme a goûté au grand frisson, a découvert que ce qu'écrivait son père, C.K. Cole, dans ses romans, existe et elle en redemande.


Surprise : Barnabas ne s'y oppose pas - au contraire, il accepte que Joseph, son majordome (dont les compétences vont bien au-delà de cette fonction) entraîne sa petite-fille à devenir une guerrière aguerrie.

Le premier tiers de l'épisode se consacre donc à cette préparation. La voix-off, si chère à Tom King, s'avère très utile dans la mesure où elle synthétise rien moins qu'une année en quelques planches tandis que les dessins, toujours magnifiques (et encore, le qualificatif est en-deçà de ce qu'on éprouve en tournant les pages), de Bilquis Evely embrassent cette relation elliptique des faits pour n'en montrer que les aspects les plus spectaculaires. Les couleurs de Mat Lopes sont également somptueuses, encore une fois.

Le deuxième acte est encore plus marqué à cet égard : on est pratiquement dans le domaine du récit illustré, plus de l'art séquentiel. Des nouveaux périples dans l'Autre Monde, on ne voit que des fragments, ponctués par les retours et les retrouvailles entre Helen et Lilith Appleton. Celle-ci retranscrit l'exaltation de sa protégée mais aussi ses craintes à son sujet, car les descriptions de l'Autre Monde et de ses créatures, de ses soirées à boire, de ses combats, sont aussi affligeantes pour la gouvernantes que terrifiantes.

En définitive, dans cette partie, le lecteur épouse le point de vue de Lilith car il comprend que Helen est à peine une adulte jetée dans un monde plein de dangers, suivant un grand-père qui, lui, a l'expérience de ce terrain et fait confiance à l'entraînement qu'a prodigué son majordome à sa petite-fille. Surtout, on sait que c'est une fuite en avant pour Helen qui, depuis la mort de son père, cherche à échapper au drame qui l'a frappée, sans se soucier de savoir si le chemin qu'elle emprunte est risqué.

Puis le dernier acte scelle le drame. Helen revient d'un voyage à l'agonie. Barnabas refuse de la confier à un médecin et s'en remet une nouvelle fois à Joseph. Helen se remet, lentement, mais va subir une terrible désillusion au terme de son rétablissement...

On l'aura compris, c'est une initiation express et brutale que suit Helen dans ce numéro. On commence par la joie, on continue dans l'affirmation, et on termine par un désaveu, cruel, injuste. Mais peut-être aussi salutaire pour sa survie. Surtout la figure de Barnabas est toujours aussi fuyante : il a recueilli cet enfant sans plaisir, puis lui a fait découvrir un monde merveilleux et sauvage, il a accepté qu'elle devienne quasiment son égal... Que veut-il au fond ? Faire de sa petite-fille ce que son fils n'a pas été ? La tester ? Ou se rend-t-il compte de son erreur ?

Le récit a une sorte de deuxième couche dont je n'ai pas parlé jusqu'à présent : à chaque début et fin d'épisode, on est de nos jours, donc bien des années après ce qu'a vécu Helen, et on assiste à un autre voyage, celui de documents ayant appartenu à C.K. Cole (manuscrits, ouvrages, bandes magnétiques contenant des enregistrements rares et précieux). King suggère que tout ce matériel constitue des preuves que ce que racontait le romancier était en fait authentique. Mais il ne fait que le suggérer. King appuie davantage sur le fait que ces documents ont de la valeur, pour des collectionneurs, des curieux, des geeks...

Nul doute qu'à la fin, ces deux époques vont se rejoindre et que le véritable propos de la mini-série se révélera. Peut-être sera-ce sous la forme d'un commentaire méta-textuel (la fiction comme prolongement de la réalité ?) ? Ou bien comme un témoignage sur la crédibilité de l'histoire de Helen (et si c'était en fait la dernière histoire de C.K. Cole, imaginant sa fille en héroïne) ? Mais ce qui est d'ores et déjà certain, c'est que Helen of Wyndhorn n'est pas qu'une histoire située dans le passé, dans le registre initiatique et fantasy. Il y a plus que ça et c'est aussi ce qui intrigue.

Je disais plus haut que Bilquis Evely accomplit encore une fois un travail somptueux, tout en soulignant que c'était en-dessous de la vérité. Que la série ait pris du retard, c'est alors presque normal car on ne peut réaliser des planches comme les siennes en en produisant quasiment une trentaine chaque mois. Evely travaille à l'ancienne, au crayon et à l'encre, c'est déjà particulier à une époque où pratiquement tous les artistes utilisent des tablettes et des fichiers d'aide. Mais avec ce degré de détails, des images aussi ouvragées, on touche à quelque chose qui n'est clairement pas de l'ordre de la production traditionnelle des comics.

Certains fans de comics se plaignent, ou en tout cas déplorent que certains éditeurs, pour attirer des lecteurs de franco-belge, fassent désormais tout leur possible pour éditer des albums qui ne soient pas rangés dans les rayons dévolus aux super-héros. Mais Helen of Wyndhorn n'appartient de toute façon pas au rayon super-héros et je ne crois pas qu'il faille se plaindre de cette compartimentalisation : si les les fans ne sont pas curieux de ce que des auteurs américains, venus des super-héros, font à côté, alors tant pis pour eux. 

Franchement, ça ne veut rien dire d'opposer de beaux albums pour des récits non super-héroïques et le reste de la production traditionnelle des Big Two. Alors quoi, ça voudrait dire que Tom King est plus sexy quand il écrit Batman ou Wonder Woman ? Ou que Bilquis Evely est moins intéressante avec Helen of Wyndhorn qu'avec Supergirl : Woman of Tomorrow ? Moi, j'espère que les lecteurs de franco-belges qui découvriront King et Evely avec Helen of Wyndhorn voudront acheter Supergirl : Woman of Tomorrow et vice-versa. Si les éditeurs français rusent pour ça, alors je dis : oui. 

Bon, maintenant, croisons les doigts pour que les deux derniers épisodes sortent comme annoncés par Dark Horse. Et puis quelle semaine quand même, que de bonnes sorties : à tous les déclinistes, je dis qu'on vit quand même encore de sacrés bons moments de lecture, Big Two et indés confondus.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire