dimanche 8 septembre 2024

DEADPOOL & WOLVERINE (Shawn Levy, 2024) (Critique partiellement réécrite parce que pas content du résultat !)

Attention ! Ce qui suit contient des spoilers !



En 2018, après avoir utilisé la machine temporelle de Cable pour sauver sa petite amie Vanessa, Deadpool est passé de la Terre 10005 à la Terre 616 dans l'espoir d'intégrer les Avengers. Sa candidature rejetée par Happy Hogan, il rentre chez lui. Six ans plus tard, séparé de Vanessa, Wade Wilson a pris sa retraite et vend désormais des voitures d'occasion avec son ex-partenaire au sein de la X-Force, Peter Wisdom.


Lors de sa fête d'anniversaire, il est capturé par le T.V.A. (Tribunal des Variations Anachroniques) et confronté par Paradox qui lui annonce que son univers va être effacé du multivers en raison de la mort de Logan/Wolverine, qui en incarnait le point d'ancrage. Deadpool dérobe le TemPad de Paradox pour vister plusieurs Terres parallèles à la recherche d'un variant de Wolverine et le ramène au Q.G. du TVA.
 

Mais Paradox lui explique qu'il ne peut espérer sauver son univers avec un variant et il les expédie tous les deux dans le Néant où sont exilés tous les héros et vilains devenus obsolètes. Ils sont capturés par les sbires de Cassandra Nova, qui règne sur ce territoire en accord avec le TVA, mais réussissent à s'échapper. Ils croisent ensuite la route de Nicepool qui les oriente vers un groupe de résistants que Deadpool convainc d'affronter Cassandra Nova pour lui dérober un passe dimensionnel qu'elle possède et qui pourrait leur permettre, à lui et Wolverine, de sauver le multivers des manigances de Paradox...
 

Après l'avoir incarné une première fois dans le médiocre X-Men Origins : Wolverine (2009) puis dans Deadpool 1 et 2  (2016 et 2018), Ryan Reynolds a bien dû croire qu'il n'enfilerait plus le costume du mercenaire grande gueule quand Disney a racheté en 2019 la 20th Century Fox qui détenait les droits d'adaptation cinématographique du personnage.


Il a pourtant rencontré à de nombreuses reprises Kevin Feige, l'architecte du MCU, et lui a soumis de multiples versions de scénario pour un troisième long métrage Deadpool, mais sans parvenir à ses fins. Mais en Septembre 2022, Reynolds créé un énorme buzz avec une vidéo où il s'affiche en compagnie de Hugh Jackman à qui il demande s'il voudrait bien reprendre son rôle de Wolverine, alors que l'acteur australien avait juré qu'on ne l'y reprendrait plus après Logan (2017).


Dès lors, les choses s'emballent et l'année dernière, le tournage de Deadpool & Wolverine débute. Pour Marvel Studios, dont ce sera la seule sortie cinéma en 2024, le projet revêt un enjeu énorme car le MCU est en plein marasme créatif et commercial, avec des films qui performent moins et des à-côtés embarrassants (l'affaire Jonathan Majors en particulier : l'acteur qui incarne le méchant Kang est condamné pour violences conjugales et renvoyé).


Résultat : Deadpool & Wolverine est un carton énorme (à l'heure où j'écris ces lignes, il file vers le milliard de $ de recettes mondial, un exploit pour un film R16 (pour violence graphique, références sexuelles et langage offensant). Cela suffit-il à en faire le sauveur du MCU ? Et plus pragmatiquement un bon film ?

Je l'avoue : les deux premiers films Deadpool m'avaient plu, mais sans que je sois transporté. Ce sont des divertissements amusants, mais écrasés par le contrôle exercé par Reynolds, qui a participé à leur écriture et à leur production et s'en est servi comme d'un véhicule destiné à prouver ses compétences dans ces domaines. A tout prendre, j'ai quand même une nette préférence pour le 2 où la présence de Josh Brolin dans le rôle de Cable équilibre l'affaire et où l'intrigue est plus consistante.

Après il faut bien dire que je ne suis tout simplement pas fan de Deadpool comme personnage. Les comics qui lui sont consacrés me sont toujours tombés des mains. Je crois que c'est un héros surcôté qui est plus appréciable dans des team-books, comme Uncanny X-Force (de Rick Remender) ou Uncanny Avengers (de Gerry Duggan), où sa personnalité décalée est contrebalancée par ses co-équipiers.

Deadpool comme Wolverine est un produit du projet Weapon X dans les comics, destinés à recréer des super-soldats sur le modèle de Captain America, à la suite d'expériences atroces. Wade Wilson a perdu la raison à cause ça et développé un cancer que son facteur régénérant empêche de le tuer tandis que Logan a un squelette métallique et des griffes qui lui sortent des mains tout en ayant longuement souffert de troubles de la mémoire. Il est donc légitime de les associer dans les comics et a fortiori dans un film.

Reynolds a raconté (peut-être en plaisantant) que parmi les idées qu'il avait eues pour réunir les deux personnages, l'une était un huis-clos, et l'autre un road movie. Ici, on a droit à quelque chose de certainement moins audacieux mais plus ambitieux et sarcastique. Le scénario, co-écrit avec Shawn Levy (le réalisateur, qui succède à Tim Miller et David Leitch), Rhett Reese et Paul Wernick Wells, est ancré dans le multivers qui occupe le MCU depuis un an et demi, à travers les films et les séries sur Disney +, tout en le commentant de manière critique.

Bon maintenant que j'ai resitué tout ça, passons à la critique proprement dite. Dire que Deadpool & Wolverine est le messie pour le MCU comme le prétend Wade Wilson face à Paradox est aussi outrancier que mensonger. Ses audaces verbales, sa violence gratuite détonent certes avec tout ce que Kevin Feige a bâti auparavant, mais pas plus que Dusney, la Fox n'était un studio qui prenait des risques - sauf à considérer que produire des films de super-héros majoritairement mauvais soit un risque autre que financier.

Mais sorti de là, on ne peut pas dire non plus que Deadpool se soit "Disney-ifié", autrement dit assagi, ramolli. Le personnage reste grossier et même vulgaire, et Ryan Reynolds a sur ce plan gagné sa bataille contre la major qui le paie. Le sang y coule à flot, avec une sorte de sauvagerie enfantine, mais ce n'est pas non plus choquant ou malaisant, puisque c'est cartoonesque au possible. Non, le vrai souci, c'est cette affirmation que le film est insolent.

Reynolds est un garnement, mais un gentil garnement qui sait jusqu'où il ne peut pas aller trop loin. Les références homoérotiques entre Deadpool et Wolverine ? Plus potaches que franches. Les allusions à la drogue ? Jamais plus que des allusions justement. Les remarques acides sur les déroutes commerciales et artistiques du MCU dans la Phase V ? Plus piquantes que méchantes. Au fond, Reynolds est un gamin qui fait des grimaces dans le dos de Disney et Marvel, mais ne se risque pas à les faire en face. C'est ça qui est un peu dérangeant : se prétendre plus culotté et irrévérencieux qu'il l'est vraiment.

Si Deadpool & Wolverine assume bien un élément narratif, c'est de parler des losers : tous les personnages, sans exception, échouent. Littéralement quand ils sont envoyés dans cette décharge qu'est le Néant, où le logo de la Fox est rongé par l'érosion, où Cassandra Nova règne sur une cour des miracles de personnages au rebut depuis la mort du studio. Métaphoriquement quand ils sont confrontés à leurs ratages perpétuels (Wade incapable de sauver et de conserver l'amour de Vanessa, Logan incapable de se remettre de la mort de ses X-Men, Paradox incapable d'opérer efficacement et discrètement au sein du TVA, Cassandra Nova incapable de faire parler intelligemment sa puissance).

Si le film prenait le temps d'arrêter de balancer des vannes à tout bout de champ, il y aurait eu de la place pour la mélancolie qui étreint profondément tous ces perdants et cela les aurait rendus moins drôles certes, mais plus touchants et assurément plus mémorables. C'est particulièrement frappant quand on rencontre la grappe de résistants à Cassandra Nova (même si cela n'explique pas pourquoi elle les a épargnés puisqu'elle peut les localiser et les tuer facilement) : On retrouve Elektra, Blade, X-23 et même Gambit, autant de reliques d'un autre âge, issus de films qui vont du navet absolu (Elektra) au petit chef d'oeuvre (Blade 2) en passant par le coup de maître (Logan). Et qui resurgissent là, lestés, eux, d'une vraie tristesse, celle de personnages et d'acteurs sacrifiés.

Cette scène avec les résistants est la meilleure des 90 premières minutes du film, avec son dialogue amer et sa bataille désespérée. Avant ça, une longue, trop longue déambulation avec Deadpool et Wolverine qui se mettent sur la tronche et se plantent des katanas et des griffes à la moindre occasion, dans un no man's land qui pastiche celui de l'univers Mad Max ou dans les bureaux dépouillés du TVA. Marrant au début, lassant ensuite (sachant que cette suite occupe bien trop de place).

Cassandra Nova est une méchante qui sort un peu de nulle part dans ce contexte (alors que dans les comics, elle est la soeur jumelle de Charles Xavier et une vilaine complètement ravagée). Toutefois la représentation de ses pouvoirs est impressionnante et malaisante au possible, bien que trop peu exploitée. Surtout, le scénario se dispense de justifier pourquoi un tel adversaire se contente de cette poubelle dimensionnelle quand elle a les moyens de s'en échapper et d'accomplir des choses bien plus grandiosement terrifiantes (et qui aurait mérité un vrai développement au lieu de passer tant de temps à accompagner les deux protagonistes dans leur virée ponctuée de chamailleries puériles).

Reste en tout cas une demi-heure de film avant la fin. Et on n'en retiendra non pas le dénouement, mais une bataille épique entre Wade Wilson et Logan contre une armée de variants de Deadpool, qui aurait pu donner lieu à un plan-séquence dément si Shawn Levy n'avait pas encore céder à la mauvaise idée de glisser un plan de coupe pour une énième réplique soi-disant drôle. Le faux sacrifice des héros aurait pu aussi faire du film ce qu'il produisait de meilleur, à savoir célébrer l'époque super-héroïque de la Fox et tourner la page -mais visiblement il fallait préserver Deadpool (et Ryan Reynolds) pour son prévisible quatrième opus complètement intégré au MCU. Néanmoins, voir Wolverine avec son masque dans cette dernière partie fait son effet (et confirme que ce n'est pas ridicule).

Omniprésent, Ryan Reynolds peut donc pousser le caractère méta de son personnage dans ses dernières extrémités comme quand il prend carrément la caméra dans ses mains pour une de ses célèbres apartés (brisant le fameux quatrième mur). Comme dans les comics, Deadpool est donc à la fois fatigant, éreintant même, mais adapté avec une fidélité absolue. Et Reynolds embrasse ce paradoxe ultime d'être sur tous les fronts du film mais de ne pas faire comme tant d'acteurs jouant des super-héros masqués mais enlevant leur masque à la moindre occasion : lui reste le plus souvent caché sous sa cagoule rouge ou même sous l'épais maquillage vérolé de Wade Wilson.

Hugh Jackman s'est visiblement beaucoup amusé à lui donner la réplique et joue avec une modestie exemplaire le faire-valoir. Son Wolverine ici est grincheux et exaspéré mais aussi très marqué par les épreuves, le dégoût de soi. Il exprime tout ça contre lui-même mais aussi contre ce Deadpool qu'il suit contraint et forcé, découvrant tardivement ses mensonges, mais dépassant sa rancoeur pour être le héros qu'il désespérait de redevenir. C'est assez chouette.

Emma Corrin n'a finalement que peu de bonnes scènes, étant donné l'ineptie de l'arc narratif de son personnage, mais elle se montre vraiment flippante quand elle en a l'occasion, avec une représentation de ses pouvoirs très bien exécutée au niveau des effets spéciaux. Matthew MacFadyen est autrement plus décevant en Paradox qui a oublié son charisme dans sa loge. Jennifer Garner a de beaux restes, tout comme Wesley Snipes a la classe. Channing Tatum, espérons-le, ne rejouera jamais Gambit. Dafne Keen est toujours fabuleuse (et Kevin Feige serait inspiré de s'en souvenir au moment d'enfin produire un film X-Men dans le MCU : au lieu de chercher un successeur à Jackman pour Wolverine, qu'il le remplace directement par Laura Kinney, comme depuis peu dans les comics). Reynolds a aussi appelé les copains comme Nathan Fillion ou Matthew McConaughey et sa femme Blake Lively pour prêter leur voix aux variants de Deadpool. Le caméo de Henry Cavill (dont le nom revient régulièrement pour incarner Logan dans le MCU) est hélas ! trop rapide pour qu'on le savoure. Chris Evans a dû toucher un bon gros chèque pour camper à nouveau Johnny Storm avec une belle autodérision.   

En définitive, Deadpool & Wolverine a les défauts de ses qualités et vice-versa : pas assez acide, mais tout de même transgressif. Trop gros mais pas très consistant. Il est exactement ce qu'il dénonce : un produit du multivers ou plus rien n'est grave et donc plus rien ne compte. Loin de l'audace vantée par son scénariste-acteur-producteur. Mais raccord avec cet ultime regard en arrière sur l'ère Marvel/Fox, cette relique kitsch qui permit malgré tout à tout ce qui suivit d'exister encore aujourd'hui - et demain.

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