dimanche 15 septembre 2024

L'ESPRIT COUBERTIN(Jérémie Sein, 2024)


2016 : Paul Bosquet, jeune prodige au tir au pistolet, manque les Jeux Olympiques après s'être qualifié parce que sa coach, Sonia Gomez-Meynadier, l'a embrassé langoureusement et lui a filé une infection à la langue. 2020 : Paul ne peut se rendre aux J.O. de Tokyo à cause la pandémie de Covid. 2024 : cette fois, c'est la bonne, quintuple champion de sa discipline, il arrive, toujours accompagné par Sonia, au village olympique.
 

Marie-Aude, l'intendante, n'a toutefois pas une bonne nouvelle : Paul va devoir partager sa chambre avec un nageur, Jacob Taufa, de Vanuatu. Pire : après dix jours de compétition, la France n'a remporté aucune médaille d'or et les médias ricanent des contre-performances des athlètes engagés. La cohabitation entre Paulet Jacob s'annonce mal, ce dernier fumant des joints en permanence et, sachant qu'il n'a aucune chance d'être sur le podium, préfère coucher avec le maximum d'athlètes féminines.


Paul tente néanmoins de rester concentré, même si les problèmes continuent : son pistolet a été égaré (mais Sonia convainc l'équipe coréenne de lui en prêter un). Et Lionel, le président du comité d'organistation, ancien champion de judo, met la pression sur Paul pour décrocher enfin l'Or en le prévenant que la Ministre des sports va venir au Club France...


Après vous avoir parlé, en bien, de Bis Repetita d'Emilie Noblet, j'ai décidé de poursuivre mon exploration de cette nouvelle vague de la comédie française au cinéma avec L'Esprit Coubertin, sorti en salles en Mai dernier. Je n'avais pas cependant pas prémédité d'écrire dessus au lendemain de la fin des Jeux Olympiques mais l'occasion fait le larron.


Tandis que tout le monde prédisait il y a deux mois que les J.O. seraient un échec cuisant, moins au niveau sportif que populaire, on a pu apprécier à quel point ces oiseaux de mauvais augure s'étaient trompés. Pour ma part, j'ai vraiment été emballé par le spectacle, la découverte de nombreux athlètes et de leur discipline, et cela s'est poursuivi avec les Paralympiques. Et pourtant je suis loin d'être sportif moi-même, encore moins spectateur (même si j'ai eu ma période foot puis tennis puis re-foot, devant mon écran de télé).


On ne peut pas taxer Jérémie Sein d'avoir voulu surfer sur la vague avec L'Esprit Coubertin, tourné un an auparavant, et sorti avant les J.O.. Le film a rencontré un succès d'estime, qu'il n'aurait sûrement pas eu s'il avait été exploité en salles durant la compétition : et pour cause, le public était massivement en train de suivre les exploits tricolores et surtout le long métrage en prend le contrepied.


Le héros est un nigaud mais aussi un prodige dans sa discipline : le tir au pistolet. Mais repéré à l'adolescence, il joue de malchance : malgré son adresse étonnante, il est coaché par une femme qui, après l'avoir langoureusement embrassé pour le féliciter, lui refile une infection qui le cloue sur son lit d'hôpital et le prive de compétition à Rio. Re-belote quatre ans plus tard pour Tokyo à cause du Covid. Mais en 2024 : c'est la bonne et en plus c'est à la maison.

On se dit alors qu'on va assister au récit d'une revanche sur le destin en mode comique, celui d'un surdoué limite attardé qui va briller devant son public. Sauf que pas du tout : le scénario écrit par Jérémie Sein avec Mathias Gavary et Fanny Burdino est certes une comédie mais qui joue à fond la carte de l'absurdité et de la satire.

Les difficultés vont ainsi se multiplier dès l'arrivée de Paul et Sonia, sa coach, au village olympique : cohabitation forcé avec un nageur gros consommateur de cannabis et qui baise toutes les filles athlètes qu'il peut, perte de son pistolet fétiche, remarque maladroite envers une sportive noire, prise en grippe par l'intendante du Club France, parasitage incessant du président du comité d'organisation, visite de la Ministre des sports...

Pour Paul qui a besoin d'être concentré et qui fait tout son possible pour s'isoler et ne penser à rien, c'est un enfer. Et ça empire quand, au bout de dix jours, la France n'a récolté aucune médaille d'or. Les médias se gaussent, les commentateurs en plateau ricanent, les athlètes sont sur les nerfs et pour décompresser couchent les uns avec les autres, transformant le village olympique en vaste lupanar.

On rit déjà beaucoup de ces péripéties et de personnages irrésistiblement campés, mais le plus surprenant, c'est qu'on s'attache à Paul. Son attitude psychorigide trahit en fait une timidité maladive : gendarme dans le civil, il vit toujours dans l'ombre d'un père, pourtant depuis longtemps décédé, mais qui l'a éduqué à la dure, pour en faire un champion et un exemple. Et puis Paul n'a jamais connu l'amour : il est puceau et ose à peine se masturber (de peur que son voisin de chambre ne le surprenne, certes, mais aussi parce qu'il appréhende l'effet que cela pourrait avoir sur sa maîtrise au tir).

Au moment où le film semble poursuivre sa route sans sortir de ses rails burlesques, un événement va tout changer : Jacob, le nageur qui cohabite avec Paul, et qui est intimement convaincu que Jacques Chirac est son père parce qu'il a une photo de lui avec sa mère dansant collé-serré lors d'une visite présidentiel sur l'île de Vanuatu, est exclu de la délégation française pour "comportement inapproprié envers des athlètes féminines". L'accusation est injuste, Paul le sait, d'autant plus que, lorsqu'on le raccompagne vers la sortie du village olympique, toutes ses conquêtes viennent l'enlacer et l'embrasser une dernière fois.

Jacob aura sa revanche (mais je ne vous dis pas comment, seulement que c'est à mourir de rire, franchement). Par contre, pour Paul, cela déclenche quelque chose : soudain, alors qu'il s'engage dans les qualifications, il se libère. Il ose avouer sa flamme. Il accomplit un exploit historique. Puis lors de la finale, il commet l'impensable, se libérant d'un poids devenu trop lourd à porter, l'empêchant de respirer, de vivre. Et ce dénouement fait chavirer toute son histoire non pas vers une revanche mais un accomplissement.

Jérémie Sein, comme Emilie Noblet avec Xavier Lacaille, a trouvé son clown et, là encore, surprise, c'est un jeune acteur qu'on n'attendait pas là, puisqu'il a été révélé par François Ozon (dans Eté 85) : Benjamin Voisin ose une composition comme on en voit rarement dans les comédies françaises, un pur personnage de slapstick - c'est-à-dire un personnage défini uniquement par ses actions physiques. Paul Bosquet est représenté comme un jeune homme bourré de tics (il fronce le nez en permanence comme si ses lunettes glissaient sans arrêt sur son nez), à la démarche rigide, le regard fixe et vide, maniaque à l'excès. Le plus fort, c'est qu'il tient cette note pendant les 80' que dure le film : jamais il ne cherche à rendre son personnage plus normal, et c'est à la fois très drôle et un peu flippant aussi.

Cette bizarrerie est soulignée par le jeu des autres comédiens, plus expressifs : Emmanuelle Bercot est absolument géniale en coach toujours au taquet ; Grégoire Ludig est époustouflant en ex-judoka bas du front et sur les nerfs ; Aure Atika n'a qu'une seule scène mais elle est également fabuleuse en Ministre qui prend bien son temps pour toucher les athlètes masculins, et Laure Felpin est excellente en intendante dépassée. Enfin, il y a une vraie révélation en la personne de Rivaldo Pawawi, un acteur kanak extraordinaire, à la fois touchant et décalé dans le rôle de Jacob.

L'Esprit Coubertin, c'est sûrement le cauchemar qu'a dû faire Tony Estanguet avant les J.O.. Mais la réalité et la fiction ont eu en commun de procurer une émotion précieuse : l'euphorie.

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