mardi 10 septembre 2024

LES TRADUCTEURS (Régis Roinsard, 2019)


La publication du troisième et dernier tome de la série de romans "Dedalus" est imminente et son succès, comme les précédents, assuré d'être colossal. L'éditeur Eric Angstrom veut s'assurer qu'il n'y aura ni fuite ni spoiler et recrute donc neuf traducteurs triés sur le volet pour qu'ils travaillent chacun dans leur langue sur le manuscrit afin de garantir une sortie mondiale simultanée.


Dans la mesure où personne n'a jamais vu l'auteur, Oscar Brach, les heureux élus sont captivés par le défi et espèrent, outre la bonne rémunération qu'ils recevront, rencontrer le romancier. Il y a la russe Katerina Anisinova, la danoise Helene Tuxen, l'espagnol Javier Casal, l'italien Dario Farelli, le grec Konstantions Kedrinos, la portugaise Telma Alves, l'allemande Ingrid Korbel, le chinois Chen Yao et l'anglais Alex Goodman.
 

Mais leurs conditions de travail seront drastiques : ils sont tous réunis dans le bunker d'un château et doivent rester dans la même pièce, sans moyen de communiquer avec l'extérieur. Ils sont nourris et logés sur place mais surveillés en permanence par des agents de sécurité et Angstrom lui-même, qui ne se sépare jamais de la mallette dans laquelle se trouve l'intégralité du manuscrit en français. Leur séjour doit durer deux mois et ils n'ont accès qu'à des portions du texte chaque fois qu'ils se mettent à l'ouvrage. 


L'excitation des débuts retombe vite pour la plupart d'entre eux. Jusqu'à ce que Angstrom reçoive un message sur son portable lui révélant que les vingt premières pages du roman sont disponibles sur Internet et que le responsable de ce piratage lui réclame une rançon exorbitante, faute de quoi cela continuera. L'éditeur est convaincu que le maître-chanteur est un des traducteurs...


Régis Roinsard est un de nos plus talentueux réalisateurs mais, à la manière d'un Jean-Paul Rappeneau, il n'est pas pressé. Jugez-en par vous-mêmes : trois films en dix ans - Populaire (2012), Les Traducteurs (2019), En Attendant Bojangles (2022). La contrepartie, c'est qu'à chaque fois la qualité est au rendez-vous.
 

Les Traducteurs est sorti la même année (2019) qu'A couteaux tirés, de Rian Johnson, avec lequel il partage son genre : c'est un whodunnit en quasi huis clos. Mais tandis que Knives Out est un polar à la Agatha Christie avec un avatar de Hercule Poirot dans le rôle principal, le film de Régis Roinsard s'appuie sur un argument beaucoup plus original puisqu'il n'y a pas de meurtre à élucider ni de détective pour résoudre l'affaire.


Avec ses co-scénaristes, Daniel Presley et Romain Compingt, Roinsard a trouvé son inspiration dans une situation réelle : lors de la parution d'Inferno, nouveau tome de la série Da Vinci Code de Dan Brown, l'éditeur de celui-ci avait fait en sorte, pour éviter toute fuite avant la sortie du roman qu'il soit traduit simultanément pour le monde entier en enfermant les traducteurs dans une propriété aux alentours de Milan.

Le point de départ est similaire : Eric Angstrom sélectionne neuf traducteurs dans le monde entier et les cloisonne dans un bunker. Ils sont privés de leur téléphone portable et n'ont plus accès à Internet pendant deux mois et ils doivent travailler chaque jour sur une portion du texte dans la même pièce avec à leur disposition les précédents ouvrages de l'auteur et des dictionnaires et autres encyclopédies. Ils sont en outre nourris et logés sur place et sous bonne garde.

Malgré ce verrouillage strict, la hantise de Angstrom se réalise pourtant : le début du livre circule sur le Net et le responsable lui réclame une rançon s'il ne veut pas que la suite connaisse le même sort. Pour l'éditeur, seul un des traducteurs a pu le trahir et très vite la tension va grimper en flèche, chacun soupçonnant ses collègues. Mais quel est le mobile du coupable ?

Le scénario se joue habilement du spectateur en brouillant les pistes. Par exemple, le suspect le plus évident est l'espagnol qui s'est providentiellement cassé l'avant-bras gauche une semaine avant son arrivée au château et porte un plâtre qui pourrait cacher un portable. Mais quand se jette sur lui pour s'en assurer, pas de doute : il est effectivement blessé. A moins que ce soit la belle russe qui est allée jusqu'à se coiffer et vêtir comme Rebecca, une des héroïnes du roman, et s'invite dans le bureau de Angstrom pour participer à la promo du livre. Ou alors l'italien qui flatte constamment Angstrom dans l'espoir qu'il lui confie d'autres traductions de best-sellers. Ou la suédoise qui a caché le fait qu'elle rédigeait son propre manuscrit sur son temps libre alors que son contrat stipulait qu'elle ne devait que se consacrer au roman...

Faire exister, donner de la consistance à neuf personnages (dix avec Angstrom, voire onze avec son assistante Rose-Marie), est une vraie gageure que le film parvient presque à surmonter. En effet, plus l'intrigue progresse, plus on est forcé de constater que tous les protagonistes ne sont pas tous soigneusement développés et semblent parfois se résumer à des faire-valoir que seule leur nationalité et quelques caractéristiques sommaires distinguent (comme le grec pour qui c'est un boulot alimentaire et qui ne trouve aucun talent à l'auteur ou la portugaise rebelle qui n'est définie que par son look et son attitude désinvolte).

Les Traducteurs n'évite donc pas quelques clichés faciles et quelques disparités dommageables. Peut-être qu'avec une troupe plus réduite, il y aurait eu plus de place et de temps accordés à chacun. Toutefois, l'originalité de la situation, l'intensité croissante, les humiliations infligées, sont assez inventives pour qu'on ne reproche pas au projet d'avoir été sans doute un peu trop ambitieux. Roinsard fait preuve, comme toujours, d'un sens du rythme irréprochable (voir la scène de course-poursuite dans les rues de Paris) et le script ménage jusqu'au bout le suspense. Les raisons pour laquelle Angstrom n'a pas la conscience tranquille et le mobile du hackeur sont très habilement dévoilés.

Le casting réussit aussi ne pas être qu'une troupe cosmopolite. Même si Manolis Mavromatakis, Anna Maria Sturm, Maria Leite sont un peu trop en retraits, les compositions de Riccardo Scamarcio, Sidse Babett Knudsen, Frédéric Chau, Eduardo Noriega et surtout Olga Kurylenko (la plus belle femme du monde, doublée d'une excellente actrice) et d'Alex Lawther (remarqué dans the End of the Fucking World sur Netflix) sont épatantes. Lambert Wilson est impeccable dans le rôle d'Angstrom, tout comme Patrick Bauchau dans le rôle de Oscar Brach, le romancier à succès (ou pas...).

C'est un excellent whodunnit mais aussi howdunnit et whydunnit. Espérons maintenant que Régis Roinsard ne nous fasse pas attendre trop longtemps avant de délivrer sa prochaine pépite.

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