jeudi 12 septembre 2024

TIME WAITS #1 (Chip Zdarsky & David Brothers / Marcus To)


Venu du futur, un groupe paramilitaire de cinq individus débarquent de nuit aux alentours d'une petite ville des Etats-Unis. Il pénètre dans un bâtiment qui abrite un laboratoire et la production de graines. Des agents de sécurité interviennent et déclenchent une fusillade... Dix ans après, Blue, l'un des membres du commando est resté sur place et a fait sa vie avec Grace Hardy, la shérif du coin, avec laquelle il s'apprête à adopter Duke, placé en foyer...


DSTLRY présente sa nouvelle production avec à nouveau des vedettes aux commandes puisque l'éditeur a réussi à attirer le scénariste Chip Zdarsky et le dessinateur Marcus To pour une mini-série en quatre numéros qui paraîtra à un rythme bimestriel (donc le prochain n° sortira en Novembre - c'est bien, je vois que vous suivez).
 

Comme d'habitude, DSTLRY se distingue de Marvel et DC en ne produisant pas d'histoires de super-héros. Il faut rappeler que ceux qui travaillent pour cette maison d'édition en sont ou en deviennent actionnaires, ils possèdent donc les droits sur leurs créations et participent aux décisions éditoriales à part égale avec leurs confrères et les fondateurs de la boîte.


Cela veut dire, concrètement, qu'ils jouissent d'une liberté totale concernant le fond et la forme de leurs projets. Dans le cas précis qui nous intéresse, Time Waits sera bouclée au mois de Mars 2025 mais aussi que chaque épisode comptera 50 pages de BD. Pour 8,99 $, me direz-vous en suggérant que c'est cher, et je vous répondrai : trouvez-moi une BD franco-belge de 50 pages pour 8,12 E...


Bon mais que c'est au juste, Time Waits ? Tout d'abord, je n'ai pas été assez précis : le scénario est écrit par Chip Zdarsky ET David Brothers, un editor (qui a notamment supervisé des séries comme Lazarus de Greg Rucka et Michael Lark, ou Velvet de Ed Brubaker et Steve Epting). Et les deux hommes se sont rencontrés lors d'une interview pour un podcast où ils ont échangé sur leur amour pour les fictions.


L'idée fondatrice de Time Waits s'inspire des séries noires et de la figure de l'homme rattrapé par son passé, un cliché qui a nourri une abondante littérature, souvent adaptée au cinéma. Mais le twist ici, c'est que ce n'est pas le passé qui rattrape le héros, mais son futur.

Blue est un ancien soldat qui, après avoir servi dans l'armée, est devenu un mercenaire à la solde d'une multinationale si puissante qu'elle outrepasse, sans avoir à s'en inquiéter, la loi. Un commando de cinq individus, sous le commandement d'un certain Wyatt, est donc téléporté dans le passé aux abords d'une petite ville où un laboratoire met au point des semences et les produit. Quelle est la particularité de ces graines ? On l'ignore en terminant cet épisode mais cela devrait être éclairci par la suite - à moins que les auteurs n'exploitent un autre motif littéraire bien connu, le MacGuffin (un objet mystérieux qui sert de prétexte à l'intrigue et qui est convoité par plusieurs personnes en conflit).

Mais la mission tourne mal, notamment quand Blue et Wyatt s'opposent sur la manière de repartir : le premier souhaite filer sans faire davantage de dégâts tandis que le second veut supprimer tous les témoins.

Puis on fait un bond dans le temps de dix ans. Blue est resté sur place et a refait sa vie avec la shérif du coin, qui sait (plus ou moins) dans quoi il a trempé. Ensemble, ils mènent une vie paisible et sont sur e point d'adopter un jeune garçon, Duke. C'est évidemment là que le passé, ou plutôt le futur va rattraper Blue...

L'avantage de développer son histoire sur un format aussi long (plus de deux fois la taille d'un comic-book traditionnel), c'est que les auteurs ont le temps d'installer leur intrigue, leurs personnages, une ambiance. Zdarsky et Brothers en profitent surtout pour faire ressentir au lecteur le trouble de Blue, qui souffre de migraines à répétition, sans qu'on comprenne au début pourquoi. Il passe une journée pénible même s'il s'occuper d'activités assez plaisantes (jardiner, confectionner le gâteau d'anniversaire de sa femme).

Pendant ce temps, Grace Hardy prend du temps pour mieux faire connaissance avec Duke : elle l'emmène au McDo du coin, puis faire du vélo dans la nature, parler de leur passé. Contrairement à Blue, elle apparaît comme quelqu'un de zen, qui se maîtrise, qui se prépare avec gaieté à son rôle de mère adoptive (alors que Blue est plus réticent à la perspective d'élever un enfant). Le contraste entre eux accentue ce malaise diffus : on sent que quelque chose va merder, et dans de grosses proportions, mais sans savoir quand et comment.

Cette sensation est accentuée par le dessin de Marcus To. Comme j'ai déjà eu l'occasion de dire tout le bien que je pense de cet artiste, qui est également à l'oeuvre actuellement sur la série X-Force chez Marvel, je vais me répéter en soulignant la beauté de son trait, la lisibilité impeccable de sa narration, ce souci permanent qu'il a de guider le lecteur, surtout comme ici dans un récit qui joue avec les temporalités et les ambiances.

Il est soutenu par un encreur (Marvin Sianipar), qui lui permet sans doute de pouvoir cumuler deux séries, et surtout par Matt Wilson aux couleurs. L'ancien partenaire de Chris Samnee est un choix imparable car il utilise une palette très nuancée où le dessin de To lui laisse de l'espace pour s'exprimer. Wilson favorise les teintes douces, les lumières chaleureuses, pour l'action au présent, tandis que les scènes avec le commando privilégie les tons froids, parce que l'action se déroule de nuit mais aussi pour souligner la tension entre Wyatt et Blue et l'issue dramatique de la mission.

Comme toujours avec les comics de DSTLRY, l'exemplaire est plus grand qu'un floppy normal, le papier d'une qualité supérieure, c'est un régal de l'avoir dans les mains, et ça aussi, ça justifie le prix. Voilà un éditeur qui ne se fiche pas du monde, ni de ses auteurs ni de ses clients. Et visiblement, ça paie puisque ça se vend bien. C'est aussi un bon argument pour ne pas attendre forcément l'album (qui, pour prendre l'exemple de Somna, propose peu de bonus).

Time Waits a en tout cas d'excellents arguments en sa faveur. Zdarsky et Brothers détournent astucieusement les codes du polar en y injectant une dose de fantastique, To met ça en images superbement, et ce sera bouclé en quatre numéros. 

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