lundi 16 septembre 2024

ET PLUS SI AFFINITES (Olivier Ducray & Wilfried Méance, 2024)

 

Xavier, professeur de musique et compositeur frustré, et Sophie, employée dans une agence de voyages, sont en couple depuis 25 ans. Leur fille poursuit des études en Angleterre et les rejoint un weel-end sur deux dans leur appartement parisien. Et leur chien, Alto, dix ans, souffre d'une santé défaillante dues à l'âge. Après une journée harassante, Xavier espère profiter d'une soirée de repos mais Sophie lui rappelle qu'elle a invité leurs jeunes voisins du dessus à dîner.


Or ceux-ci leur tapent sur les nerfs à cause de leurs ébats bruyants. Et les voilà qui sonnent à leur porte. Tout ce beau monde passe dans le salon pour déguster un bon vin choisi par Xavier - et déjà celui-ci s'agace quand Alban fait étalage de sa culture oenologique puis, interrogé sur sa profession, déclare être pilote de ligne, tandis que sa compagne, Adèle est psychologue et comportementaliste.


Très vite, les invités mettent les pieds dans le plat en s'excusant pour leurs ébats amoureux très sonores, même si Sophie joue l'apaisement en jurant ne les avoir jamais remarqués, ce qui fait ricaner Xavier. Les deux couples passent à table et là encore, Alban et Adèle jouent cartes sur table en racontant être adeptes de l'échangisme. Le malaise grandit entre ces jeunes amants libérés et leurs hôtes dont les failles conjugales se dévoilent...


Olivier Ducray et Wilfried Méance s'étaient fait remarquer avec leur premier long métrage, Jumeaux mais pas trop, avec Ahmed Sylla et Bertrand Usclat (sur deux frères qui découvrent l'existence l'un de l'autre et surtout le fait que l'un est noir et l'autre blanc). Un coup d'essai sympathique mais sans plus. Cette fois ils signent le remake d'un film espagnol, Sentimental, qui leur a valu le grand prix du public et un double prix d'interprétation au Festival du film de l'Alpe d'Huez, suivi d'un joli succès en salles.


Je n'ai pas vu Sentimental, mais il a très mauvaise presse, et donc j'ai abordé ce remake avec méfiance. Première (bonne) surprise : tout est expédié en à peine 75' ! On le sait, pour une comédie, le rythme est essentiel et rares sont celles pour qui une durée trop longue est une bonne idée. Là, tout est ramassé, dense, un petit exploit qui montre l'effort des deux cinéastes pour se réapproprier le matériau d'origine.


Deuxième (bonne) surprise : si, comme c'est souvent le cas dans certains comédies françaises, l'influence théâtrale, voire vaudevillesque, est indéniable, elle est parfaitement assumée, au point que les quelques plans sur l'immeuble où habitent les quatre protagonistes sont parfaitement inutiles sinon pour indiquer que la soirée commence alors qu'il fait encore jour et se termine la nuit tombée. Tant qu'à faire, les réalisateurs auraient dû maintenir le huis clos pour rendre leur film encore plus oppressant et malaisant.


Car, et c'est la troisième (bonne) surprise si, Et plus si affinités, est drôle pendant les trois quarts de sa durée, le dénouement s'avère beaucoup plus troublant et poignant qu'on pouvait le soupçonner. Grâce à ce twist inattendu mais accompli, Ducray et Méance réussissent une oeuvre plus ambitieuse et étonnante que son postulat ne le laissait penser.

En effet, ce dîner entre un couple usé et un autre passionné pouvait sombrer dans une pseudo-farce boulevardière assez indigeste. Mais du fait de son format très concis, l'éléphant dans la pièce surgit très vite : devançant leurs hôtes, Alban et Adèle avouent leur gène quand au bruit qu'ils font lorsqu'ils jouissent en faisant l'amour. Ils ne s'excusent pas de leur passion, ce sont deux amants épanouis qui ont en fait une idée derrière la tête.

Durant le dîner qui suit, ils évoquent, tout aussi librement, leurs fantasmes et leur réalisation : ils sont échangistes, et participent même à des orgies qu'ils organisent à l'occasion chez eux. Ils en parlent de façon très décomplexée mais Sophie et Xavier réagissent très différemment à ce discours. Lui est passablement irrité, d'autant plus quand les invités se moquent gentiment d'une nuit où il est allé sonner chez eux en essayant de ne pas se faire remarquer. Elle, on le sent, est beaucoup plus émoustillée, mais surtout en vérité parce qu'elle envie cet amour encore frais et vif alors que son propre couple s'est éteint dans une routine terrible (chacun dormant dans le même grand lit, assez grand pour ne pas réveiller l'autre en bougeant durant le sommeil).

Xavier, on le comprend, est un homme aigri : il a raté sa vie, il se rêvait compositeur et n'a jamais signé qu'une musique pour une pub pour des yaourts, aujourd'hui il enseigne à des élèves médiocres qu'il écoute d'une oreille distraite. Ses échecs ont rejailli sur sa vie conjugale, reprochant à Sophie d'être plus gaie, plus insouciante, plus optimiste que lui. Alors quand il voit ses yeux briller devant Alban et Adèle exposant leur liberté sexuelle, c'en est trop : il les provoque en les invitant à partouzer puisque, déjà, Alban a surpris Sophie en train de déambuler nue depuis sa fenêtre et que Adèle à remarqué qu'il matait sa poitrine dans l'ascenseur.

Jusque-là, le film est souvent très drôle, grâce aux dialogues ciselés par Ducray, Méance et Jean-Paul Bathany. Mais progressivement, subtilement, un malaise très lourd s'installe et chasse la fausse bonne humeur des débuts. Le prétexte des ébats bruyants révèle des douleurs enfouis, des frustrations mesquines, qui volent en éclats au détour d'une révélation vraiment superbement amenée sur une infidélité de Alban lors du week-end précédent et qui impacte profondément à la fois Adèle mais surtout Sophie et Xavier (je ne spoile pas, mais là encore, le coup de théâtre est assez fou).

Puis donc, dans son dernier quart, un ultime événement va transformer cette soirée infernale en petit drame déchirant, s'achevant par une reprise au piano de la mélodie de "La chanson des vieux amants" de Jacques Brel et Gérard Jouannest. Un moment suspendu et magnifique, qui achève de transformer Et plus si affinités en autre chose qu'une comédie.

Le casting se limite donc à quatre acteurs, tous prodigieux. Récompensés donc pour leurs interprétations à l'Alpe d'Huez, Isabelle Carré et Bernard Campan ont l'habitude de se donner la réplique depuis Se souvenir des belles choses et confirment encore une fois leur complémentarité : elle toujours d'une finesse remarquable, lui toujours épatant dans ce registre si éloigné des Inconnus (ce qui explique sans doute pourquoi il traîne des quatre fers pour renouer avec Didier Bourdon et Pascal Légitimus, qui n'ont jamais su/voulu aller aussi loin). Julia Faure est extraordinaire en psychologue à la franchise décapante. Et Pablo Pauly est exceptionnel dans la peau du type suffisant qui finit par commettre une énorme bourde.

Et plus si affinités est un film plein de culot, de chausse-trappe, de pièges, dont le principal est de prendre le spectateur complètement au dépourvu en commençant comme une pure comédie de vaudeville pour s'achever en une histoire émouvante, dépourvue de toute facilité.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire