jeudi 5 septembre 2024

ABSOLUTE POWER #3 (Mark Waid / Dan Mora)


Les super-héros ont trouvé refuge sur l'île de Themyscera où Nubia, la reine des amazones, a accepté leur présence à titre exceptionnel et provisoire. Des tensions surgissent lorsqu'il s'agit de discuter du sort à réserver à Jon Kent, possédé par Brainiac Queen. Nightwing confie des missions à ses collègues tandis que Barry Allen est contacté par un mystérieux correspondant qui lui indique comment vaincre Amanda Waller...


Dans un mois, c'en sera fait de Absolute Power et cet épisode révèle quelques indices sur la façon dont cet event va déboucher sur la création de la ligne Absolute et plus largement le nouveau statu quo baptisé DC All-In. Mais tout ça rentre dans la catégorie spoiler si j'en dis plus...


... Aussi vais-je revenir sur le contenu de ce troisième numéro dont je vais dire qu'il m'a quand même désappointé. D'une certaine manière, je m'y attendais, ce qui ne signifie pas que je m'y étais préparé, du moins pas dans ces proportions. Car le problème de Absolute Power réside dans son format même.
 

Flashback : en 2010, DC et Marvel lancent quasiment en même temps leurs sagas événements. DC mise alors tout sur Geoff Johns et Green Lantern, la série la plus populaire de l'éditeur. Marvel joue la carte du contre : aux huit épisodes de Blackest Night répondent les quatre de Siege, écrit par la star de la maison des idées, Brian Michael Bendis.


Le raisonnement de Marvel est simple : à l'époque, Joe Quesada, l'editor-in-chief, et Axel Alonso, son second, pensent que s'est installée une "event fatigue" chez les fans, lassés de ces grandes sagas ponctuelles, et donc ils optent pour une histoire ramassée qui servira à clore la période Dark Reign et à inaugurer la suivante, l'Heroic Age. Mais cette stratégie se soldera par un succès moindre que prévu, surtout en la comparant au triomphe de Blackest Night.

Depuis, DC comme Marvel ont globalement privilégié les sagas événements à des mini-séries de six numéros, même si récemment Blood Hunt comptait seulement cinq épisodes et que donc Absolute Power n'en a que quatre. En fait on assiste à un renversement de situation : aujourd'hui, DC est dans la position de Marvel en 2010, préparant un nouveau statu quo avec un event concis.

Autrement dit, Absolute Power est à la fois la conclusion des manigances d'Amanda Waller contre les super-héros (et les méta-humains en général) et la rampe de lancement pour de nouvelles équipes créatives sur certains titres mais aussi et surtout sur cette collection Absolute qui proposera de nouvelles versions des héros emblématiques dans un autre monde.

Réussir ce tour de force en seulement quatre chapitres est un défi et il n'est donc pas étonnant que DC ait confié cette mission à un auteur expérimenté comme Mark Waid et à un artiste en plein boum comme Dan Mora. Pourtant, comme Bendis et Olivier Coipel pour Siege, on retrouve les mêmes écueils.

Que reprochait-on à Siege à l'époque ? Une intrigue-ptétexte (Norman Osborn, devenu Iron Patriot, voulait annexer Asgard, basé en Oklahoma, pour empêcher Thor et les siens de devenir une poche de résistance). Résultat : cette histoire a vite révélé son absurdité et s'est dénouée de manière si expéditive qu'on a préféré l'oublier pour passer effectivement très vite à la suite.

Absolute Power bénéficie d'un argument mieux construit puisque Amanda Waller rumine son plan depuis longtemps, qu'elle a orchestré ses manoeuvres avec intelligence et détermination, n'attaquant qu'au moment opportun. Mais l'exécution de ce grand final dévoile comme Siege ses faiblesses dans ce pénultième épisode où entre rebondissements trop faciles, mystères cousus de fil blanc et failles providentielles, le lecteur ne peut décemment être satisfait.

Bien entendu, c'est écrit avec métier et dessiné avec énergie. Mais c'est loin de ce que Waid comme Mora ont fait de mieux. Il se trouve qu'en scrollant sur Twitter aujourd'hui même je suis tombé sur un post de Mora qui avouait, tenez-vous bien, être fatigué : tu m'étonnes, le mec enchaîne les épisodes à toute allure, souvent en produisant deux séries mensuelles, depuis plusieurs années maintenant, et DC ne compte pas le laisser souffler puisque plus personne ne tient un tel rythme (des speedsters comme Romita Jr. et Mark Bagley ont abdiqué, Immonen ne fait plus rien).

Et, effectivement, à plusieurs reprises, Mora semble complètement à bout de souffle. Ses personnages, qui ne manquent jamais d'allure, de majesté, de puissance, sont parfois franchement bâclés, les décors disparaissent vite dans le tumulte de batailles au découpage peu lisible et aux compositions brouillonnes. Il y a comme une sorte d'hystérie dans ses pages qui a supplanté le dynamisme si percutant auquel il nous avait habitués et qui trahit l'épuisement d'un dessinateur soumis à des cadences infernales, comme trahi par son propre appétit. Evidemment, dans ce genre de cas, on évoque Kirby qui en faisait le double ou le triple, mais Kirby aussi faisait des pages moyennes ou se contentait de découpages sommaires avec quatre cases et deux bandes par page.

Quant à Waid, il nous assène au milieu de scènes pleines de bruit et de fureur, un dialogue d'une naïveté embarrassante entre Aquaman et Aiwave sur le fait qu'aucun super-pouvoir ne remplace le coeur avec lequel on se bat. Un twist avec les Amazos est carrément risible. Et pour ce qui est de la baston, le match retour sur Themyscera entre Jon Kent, Brainiac Queen et les super-héros est résolue de manière bien trop simple et rapide pour qu'on le savoure. Waid a visiblement reçu pour consigne de ne tuer personne et il s'y plie, mais pour le coup c'est presque dommage car son histoire manque d'une dimension tragique qu'un héros tombant au champ d'honneur aurait pu apporter.

Et c'est là que le bat blesse : ce qui fait défaut à Absolute Power, c'est l'émotion, la surprise, l'effroi, l'intensité. Malgré les coups portés par Waller et ses troupes, jamais on ne croit que ça puisse mal se terminer, ou du moins qu'il puisse y avoir des conséquences durables (à la perte des pouvoirs des super-héros, à la campagne de dénigrement dont ils ont été l'objet, au changement de paradigme). Ce n'est pas que la faute de Waid : DC, comme Marvel, a annoncé trop en avance la création de la ligne Absolute et l'obligation de rédiger les sollicitations pour les sorties de Novembre fait que personne ne peut ignorer que tout ça va continuer comme si ça n'avait été qu'une parenthèse (et non un climax susceptible de tout bouleverser).

C'est ce qui distingue une grosse firme comme DC d'un univers indépendant comme le Millarverse avec Big Game où le lecteur pouvait se demander jusqu'à la fin si le scénariste n'allait pas brûler tout ce qu'il avait patiemment construit dans un sidérant jeu de massacres. Millar pouvait se le permettre et a joué avec les nerfs de ses fans tout en accomplissant un event palpitant, spectaculaire, jouissif. Waid mais aussi DC ne peuvent s'autoriser une telle licence en prétendant tout raser, même avec la promesse d'une ligne Absolute. La seule fois où DC a fait ce pari, c'était avec les New 52, expérience stupéfiante mais très inégale, qui a rendu fou une partie de leur fan base, et qui a été corrigée avec DC Rebirth. Mais, au fond, ni DC ni Marvel n'ont les couilles de tout relancer, de tout réécrire : il y a les tentatives et la réalité - et la réalité, c'est qu'on est toujours revenu aux fondamentaux, malgré tout.

Comme je le disais en ouverture, la fin de cet épisode révèle assez clairement comment Absolute Power va expliquer la ligne Absolute et, de manière plus globale, comment Waller va échouer (même si ce sera u prix d'une bataille sans doute épique). Il faut espérer que Mora aura encore la force de bien dessiner cette conclusion et Waid l'inspiration de bien l'écrire. Mais les events sont devenus des Ouroboros : quel que soit le talent de ceux qui les conçoivent et les réalisent, ils ne peuvent plus surprendre et Absolute Power l'exprime de manière cruellement lucide par ce que ses auteurs racontent - il ne s'agit plus de passer vraiment à autre chose, juste de ponctuer les publications de l'année en cours.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire