mardi 3 septembre 2024

KINDS OF KINDNESS (Yorgos Lanthimos, 2024)


- La Mort de R.M.F. - Robert Fletcher suit à la lettre tous les ordres de son patron, Raymond, qui le reçoit chez lui avec sa jeune femme Vivian, pour lui dire quoi manger, quand faire l'amour à son épouse, comment s'habiller et se coiffer. Un jour, il lui commande de tuer un certain R.M.F. en le percutant avec sa voiture mais Robert ne peut s'y résoudre, craignant de périr aussi dans l'accident. Raymond se fâche et renvoie Robert dont la vie s'effondre complètement. Jusqu'à sa rencontre avec Rita, une fleuriste...



- R.M.F. vole. - Daniel, agent de police, apprend que sa femme, Liz, biologiste marine, portée disparue en mer, vient d'être retrouvée saine et sauve. Pourtant, de retour chez eux, elle attire les soupçons de son mari : leur chat la griffe, elle ne rentre plus dans ses chaussures, se met à manger du chocolat (ce qu'elle détestait auparavant). Daniel est persuadé qu'il s'agit d'une impostrice et se met à imaginer d'horribles stratagèmes pour l'éprouver et la démasquer...
 


- R.M.F. mange un sandwich. - Emily et Andrew sont membres d'une secte dirigée par Omi et Aka pour laquelle ils cherchent une jeune femme capable de ranimer des morts. Ils rencontrent Anna qui, comme il se doit avait une soeur jumelle qui est morte, mais qui s'avère incapable de produire le miracle attendu. Alors qu'ils se restaurent dans un diner, ils sont abordés par Rebecca qui est convaincue que sa soeur Ruth est l'élue et leur laisse sa carte de visite. La nuit venue, Emily quitte le motel où elle et Andrew sont descendus pour aller voir son ex-mari, Joseph, et leur fille. Ce qui va entraîner son bannissement de la secte. A moins que Ruth soit celle qu'elle cherche...



Après les réussites que furent La Favorite et Pauvres Créatures, j'attendais beaucoup du nouveau film de Yorgos Lanthimos qui marque sa quatrième collaboration avec Emma Stone (ils ont également tourné un court métrage, Bleat), qui a reçu l'Oscar de la meilleure actrice pour son rôle de Bella Baxter en Février dernier grâce au réalisateur grec.

Cette fois, le projet est encore plus atypique puisqu'il s'agit d'un film à sketches de 2h. 45. D'abord intitulé R.M.F. puis And, c'est une oeuvre qui semble avoir été conçu comme une transition, une parenthèse entre deux longs métrages traditionnels, bien que le cinéaste renoue avec sa veine la plus acide et contemporaine (cf. The Lobster, Mise à Mort du Cerf sacré).

Bien entendu, comme tous les films anthologiques, les segments sont inégaux. Mais il faut bien convenir que le résultat n'est surtout pas à la hauteur des espérances. En vérité, tout ça est bien trop long, complaisamment boursouflé et abscons, comme si Lanthimos et son scénariste Efthimis Flippou avaient voulu concevoir un lot d'histoires traînant dans leurs tiroirs mais sans qu'elles aient l'épaisseur pour en faire un film chacune.

Prenons le premier chapitre, La mort de R.M.F. : le postulat est farfelu à souhait - un patron dominateur ordonne à un de ses employés tout ce qu'il doit faire, y compris dans son intimité, et ce dernier s'exécute avec une docilité absolue. Jusqu'à ce qu'il doive commettre un meurtre maquillé en accident de la route... Renvoyé, quitté par sa femme, il sombre complètement jusqu'à ce qu'il rencontre une jeune fleuriste dont il va découvrir le secret vertigineux.

Il déploie son intrigue avec un début, un milieu et une fin. Lanthimos développe cet argument délirant avec un flegme tout aussi renversant. Pourtant, le scénario est trop mécanique pour convaincre, particulièrement parce qu'il commet l'erreur de connecter la fleuriste à l'univers du héros et de son patron alors que rien ne l'y relie. Pour que cela fonctionne efficacement, il aurait pourtant suffi d'en faire une collègue du héros, ou du moins quelqu'un qui travaille dans la même boîte mais qu'il n'aurait jamais croisée. Au lieu de ça, c'est un personnage qui semble tomber du ciel de manière trop providentielle pour alimenter un récit trop huilé. Dommage.

Le deuxième chapitre, R.M.F. vole, a un peu la même tare : la relation de cette épouse que son mari croyait morte qui tourne au conte paranoïaque est au cauchemar audacieux. Mais Lanthimos pèche par excès de provocation gratuite. Ainsi très vite on apprend que le héros, sa femme et un couple d'amis pratiquaient l'échangisme et filmaient leurs ébats - mais ça n'ajoute strictement rien au sujet. Ensuite, tout se resserre sur Daniel et Liz dans leur maison où se noue un drame sadique et horrible à cause des soupçons du premier et du glissement malade de la seconde pour convaincre qu'elle est bien qui elle est. Pourtant, là encore, Lanthimos juge utile d'agrémenter son discours de réflexion sur la violence conjugale - ce qui est inutile puisque c'est évident. Le dénouement n'est qu'une pirouette trop facile pour être troublante. Et entre temps, on a vu Liz se masturber dans des conditions limites comme pour souligner que c'est décidément son obsession (entre l'onanisme et les partouzes).

Et puis il y a le troisième épisode, R.M.F. mange un sandwich. Pour moi, le plus réussi, parce que le plus tenu. On peut remarquer que la sujétion est au coeur du film : Robert est sous la coupe de Raymond, Liz sous celle de Daniel. Ici, Emily et Andrew sont membres d'une secte, c'est encore plus clair et net. Leur quête est aussi démente que dans les autres parties mais elle n'est pas entravée par des artifices narratifs maladroits ou gratuits. Emily devient à la fois la victime et l'héroïne de cette histoire et la manière dont elle se termine est à la fois hilarante et pathétique. Lanthimos impose, encore une fois inutilement, une scène de viol par soumission chimique. Mais l'ensemble est plus maîtrisé, tout a un sens, une direction, il n'y a pas de déviations (sinon mentales) superfétatoires. C'est cette histoire là qui aurait mérité un film entier, quelque chose de rapide, ramassé, concis, grinçant et absurde, mais à peine 1h. 05, tout est là.

La réalisation est moins sophistiquée que dans Pauvres Créatures, même s'il y a encore des transitions de la couleur au noir et blanc, mais très classiques (le n&b servant principalement pour des flashbacks). Lanthimos s'amuse comme un excellent styliste qui a les moyens désormais de ses ambitions, il sait installer une ambiance malsaine, malaisante, puissante, qui donne ses meilleurs moments à son triptyque. Toutefois, il y a des longueurs coupables, des moments dispensables, des espèces de lubies complaisantes qui plombent l'ouvrage (principalement son insistance à vouloir sexualiser de manière puérile les situations dans le but affiché de choquer alors que c'est juste embarrassant).

Il a à sa disposition un casting prestigieux, avec des nouveaux venus chez lui. On notera qu'il leur donne rarement de quoi briller : le plus déplorable exemple est celui de Hunter Schafer, comédienne transgenre révélée par la série Euphoria (comme Zendaya et Sydney Sweeney) qui n'a en tout et pour tout que deux pauvres scènes. Joe Alwyn est invisible à part dans le dernier segment où il est particulièrement bon en mari dépossédé. Mamoudou Athie pourrait très bien ne pas figurer au générique sans qu'on s'aperçoive de son absence à l'écran tellement sa partition est transparente. Hong Chau est également sous-exploitée.

En revanche, le habitués de Lanthimos sont plus gâtés. Willem Dafoe interprète dans les épisodes 1 et 3 de sombres salauds complètement dérangés : pas très original pour un acteur coutumier du fait, mais il est impeccable. Margaret Qualley est magistrale dans le dernier chapitre avec un double rôle. Jesse Plemons a reçu le Prix d'interprétation masculine au dernier Festival de Cannes pour ses trois compositions ici, même si son jeu très sur la réserve, son manque d'expressivité et cette manière de marmonner sont assez lassants. Enfin Emma Stone monte en puissance tout au long du triptyque : discrète dans la partie 1, brillante dans la 2, et impériale dans la 3, elle affiche un aplomb assez extraordinaire, malgré le fantasme fatigant de Lanthimos à toujours vouloir la déshabiller et l'humilier dans ses rôles - elle va pourtant encore tourner avec lui prochainement, mais j'espère qu'ensuite elle changera quand même d'air.

Malgré de bons passages, et un dernier morceau très au-dessus des autres, Kinds of Kindness déçoit. A cause d'idées inabouties, de provocs puériles, mais aussi sans doute parce que le film arrive trop vite après le coup de maître que fut Pauvres Créatures à côté duquel il ne fait pas le poids.

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