mardi 17 septembre 2024

NOUS, LES LEROY (Florent Bernard, 2024)


Après plus de vingt ans de mariage, Sandrine Leroy est fatiguée. Employée dans une agence de voyages, elle se met à pleurer devant des clients quand ils lui demandent où passer des vacances romantiques comme elle l'a fait avec son mari. Et ce dernier, Christophe, ne s'aperçoit de rien, depuis le garage où il loue des voitures, ne consultant jamais son répondeur où elle lui laisse des messages.


Sandrine décide de mettre sa fille, Loreleï, et son fils, Bastien, dans la confidence : si elle ne va pas bien, c'est parce qu'elle n'est plus heureuse avec leur père et qu'elle se prépare à le quitter, mais sans risquer de leur causer du chagrin. Eux s'en fichent un peu : Bastien va partir poursuivre ses études en fac à Paris et Loreleï le suivra dans un an puisqu'elle est en terminale au lycée.


Par contre, quand Sandrine annonce son intention de le quitter à Christophe, il tombe des nues et refuse cette échéance. Sa solution pour recoller les morceaux avec sa femme et ses enfants : un road trip pendant un week-end sur les lieux où ils ont passé leurs meilleurs moments. Mais sera-ce suffisant ?


Après avoir parlé de Bis Repetita, L'Esprit Coubertin et Et Plus si affinités, je poursuis mon exploration de cette nouvelle comédie française qui est apparue en 2024. Soyez rassurés pour ceux que ça indiffère (et vu le nombre de vues sur ces articles, mon idée ne rencontre pas un franc succès), je pense m'en tenir là. Mais ce ne sera pas à cause de Nous, les Leroy, qui vaut vraiment, encore une fois, le détour.


Le scénariste et réalisateur Florent Bernard a fait partie du collectif Golden Moustache, une bande qui a produit des sketches sur Internet et pour laquelle il a occupé plusieurs postes (mise en scène, cadrage, écriture, montage...). Puis il a pris son indépendance en signant des scénarios pour le cinéma (le film d'horreur Vermines) et la télé (la série La Flamme). Nous, les Leroy est son premier long métrage et c'est une franche réussite, couronnée par le Grand Prix au festival de l'Alpe d'Huez.


Mais Nous, les Leroy est-il vraiment une comédie ? Bien que Florent Bernard cite parmi ses références Judd Apatow, c'est plutôt du côté de Patrice Leconte (à qui il avait d'ailleurs proposé un petit rôle, mais que le cinéaste n'a pu honorer à cause d'un problème d'emploi du temps) qu'il faut chercher une vraie influence. Et plus précisément le Patrice Leconte de Tandem et du Mari de la coiffeuse. Donc ce que les américains appellent la dramedy (ou comédie dramatique en bon français).


Ici, l'histoire est nettement découpée en deux temps, une construction très casse-gueule car il faut que les deux parties soient aussi bonnes l'une que l'autre. De fait, le début du film peine à prendre son envol en s'attardant un petit peu trop sur la déprime de Sandrine et sa difficulté à l'admettre et à parler de ce qui ne va pas à ses enfants et son mari.

On pourrait d'ailleurs croire que l'intrigue va surtout tourner autour de cette femme proche de la cinquantaine, épouse et mère de famille, avant de trouver son véritable équilibre quand la situation s'éclaircit : Sandrine est lasse. Elle est au bout de sa vie de couple pour deux raisons : d'abord, son mari l'a négligée depuis trop longtemps, et ensuite, ses enfants vont bientôt quitter le nid et elle ne supporte pas la perspective de vivre sans eux. Elle leur annonce donc son intention de se séparer de Christophe.

Etonnamment, cela se fait sans effusion : ce ne sont plus des mômes, mais des post-adolescents qui ont autre chose à penser que l'extinction de la flamme entre leurs parents. Bastien vient de plaquer Melha, sa copine, parce que, contrairement à ce qu'elle lui avait promis, elle part en fac à Bordeaux alors que lui monte à Paris, et il regrette déjà sa décision. Loreleï, elle, supporte mal qu'on la voit uniquement comme une jolie fille sans histoire et fait croire qu'elle s'automutile pour se créer un personnage qui attirera l'attention autrement.

En revanche, Christophe est dans le déni complet quand Sandrine lui fait part de son projet de le quitter. Il se réfugie chez son collègue, Claude, récemment divorcé et qui lui vante les mérites du célibat. Sauf que lui ne veut pas être quitté et finir seul, alors il a une idée pour recoller les morceaux...

Le début du road trip qui embarque les Leroy donne une idée de l'échec programmé de Christophe : il emmène femme et enfants dans des endroits chers à son coeur, comme autant de jalons du bonheur passé. Sauf que ces lieux ont perdu tout leur charme : un appartement occupé par d'autres qui l'ont entièrement reconfiguré, un jardin public misérable, un caricaturiste méprisant, un restaurant avec un serveur lourdingue... C'est la cata absolue. Sandrine plie bagages après une dispute et laisse tout le monde en plan.

On a ri, mais sans s'esclaffer jusque-là. Parce qu'au fond, il y a une amertume, un peu de rancoeur, beaucoup de déni et d'indifférence dans tout ça. Les Leroy, selon Christophe, ne sont pas les Leroy selon Sandrine ni même selon leurs enfants. Il fantasme non seulement sur son couple, sa famille, mais quand la réalité le rattrape, il refuse de l'admettre. Et le second acte va achever de lui mettre les yeux en face des trous.

Pourtant, Florent Bernard refuse le drame, la gravité, l'aigreur. En fait, son récit devient celui de l'acceptation et de l'apaisement, sinon de la réconciliation (avec le réel plutôt qu'avec le bonheur). Et cette rupture de ton, qui en vérité s'effectue en douceur, très subtilement, transforme la comédie en dramedy, en quelque chose de très émouvant, de très touchant, de très fin. Comme dans les meilleurs Patrice Leconte, Florent Bernard n'occulte rien : ni l'ennui qui a eu raison du couple, ni les l'empathie qu'on éprouve et pour Sandrine et pour Christophe (il n'y a pas de méchant mari ou méchante épouse dans cette affaire). Et c'est pour cela qu'on ressent ce frisson, rare, parce que les personnages, leur histoire, sont profondément humains.

Par ailleurs, et ça, c'est la différence avec Bis Repetita, L'Esprit Coubertin, Et Plus si affinités, Nous, les Leroy est superbement filmé et photographié. Le cinéaste a voulu rendre cinématographique les paysages, surtout les plus banals, les plus familiers, comme les parkings, les aires d'autoroute, un jardin public, un resto. On sent une exigence esthétique plus affirmée dans ce rapport à l'espace, à la mise en scène.

Par ailleurs, le réalisateur a pu s'appuyer à la fois sur des acteurs confirmés sans passer à côté de jeunes talents. Ces derniers sont incarnés par Lily Aubry et Hadrien Haulmé qui sont d'une justesse impeccable, jamais dans la caricature facile des post-ados. Luis Rego joue un grand-père sensible épatant. Lyes Salem est drôlissime en collègue gaffeur mais bonne pâte. Et enfin, surtout, le film offre à José Garcia et Charlotte Gainsbourg leurs plus beaux rôles depuis des lustres : Garcia est d'une finesse merveilleuse en mec dépassé qui voit son monde s'écrouler tandis que Charlotte (for ever) renoue avec ce qu'elle fait de mieux, la femme fragile mais décidée.

Nous, les Leroy est donc une excellente surprise, un film inattendu et élégant. Le tout dernier plan, avec ce panneau de signalisation sur lequel on peut lire "Autres directions" est presque un manifeste de l'ambition de Florent Bernard qui a voulu faire autrement et qui a surtout fait mieux.

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